LA CORSE PAÏENNE.

Résumé

Le XI e siècle voit les derniers combats des païens corses contre les génois.

C’est la théorie que propose l’historien Diunisu Luciani. 

Il s’oppose à la vision largement répandue d’une corse chrétienne sous domination sarazine sauvée par une reconquête génoise.

Pour lui, les Corses, isolés du reste de la Chrétienté par les raid sarazins qui durent du VIII au XIe siècle, sont majoritairement païens.

Beaucoup sont retournés au paganisme après une christianisation aux premiers siècles de notre ère, d'autre, dans l'intérieur, sont restés païens.

Quand les seigneurs toscans viennent prendre possession de la Corse au nom du Saint-Siège.

Ils mènent une véritable croisade pour reconquerir l'île.

Diunisu Luciani propose une nouvelle lecture de la chronique médiévale de Giovanni Della Grossa qui decrit une croisade des toscans contre les maures pour "libérer" la Corse.

Pour cet historien, le terme « maure » régulièrement employé dans cet ouvrage ne désigne pas les sarazins mais doit être pris comme un terme générique pour désigner l’infidèle : en l’occurrence le païen.

Cette lecture explique la présence de la toponymie "maures" dans des cols ou sommets très isolés de l’intérieur de l’île.

Elle explique aussi que les historiens arabes n’aient jamais considéré la Corse comme terre d’Islam: alors même que les chrétiens la disent occupée par des maures.

Le  résumé est de Jean Pierre POLI.

Si nous osons une lecture de la chronique de GIOVANNI DELLA GROSSA effectuée en remplaçant “ maures ” par “ corses païens ” celle-ci acquiert ainsi une cohérence, la toponymie maure s'expliquant dans les montagnes corses comme des points de résistance des Corses païens à la reconquête effectuée par les armées chrétiennes envoyées par le Pape.

 

  • Seule source interne : la mémoire des Corses.

 

À partir du départ des romains ( Byzance) au IV° siècle la Balagne est convertie à l'Islam par un certain " Ali " et les convertis commandés par LANZANCISSA remportent des succès militaires qui conduisent le Gouverneur MARINO et l'Evêque CALIXTE à se réfugier à Rome.

Giovanni della Grossa indique que la Corse toute entière est sous l'autorité de Lanzancissa et qu'une partie des Corses “ redeviennent ” Sarrasins (“ ritornono sarragini ”).

Ce qui n’a de sens que si sarrasins veut dire païens.

Lanzancissa se proclame Roi de Corse puis, à sa mort, son fils Musi règne en “vivant pacifiquement” puis règnent Ferrandino, Scalabro et Nugulone, de père en fils.

Le roi réside à Cordovella en Balagne (promontoire dans la plaine de Montemaggiore qui porte toujours cette dénomination ).

Ugo Colonna débarque en provenance de Rome avec 1000 fantassins et 200 cavaliers à Aleria qui résiste.

Ce qui est quand même curieux pour des chrétiens que les chevaliers viennent libérer de l’emprise des musulmans.

Della Grossa fait la distinction au sein de la population entre ceux qui “se souvenant que leurs parents avaient été romains”, “ ceux qui s'étaient faits Maures ” et les “ Maures naturels qui étaient venus habiter Aleria ”.

Les trois catégories de population (anciens chrétiens romanisés restés en corse, corses christianisés redevenus païens, corses de l’intérieur de tous temps païens)

Il nous cite le nom des principali “ maures ” combattant au côté de Nugulone: Chiarello di Valle Umbria, Casone, Sibica, dont on peut constater que la mémoire n'a pas retenue des noms particulièrement sarrasins.

Il nous indique que certains des combattants sont des “ Maures de race chrétienne ” !

L'Ile est “ pleine d'ennemis ” et les chevaliers sont “ assiégés ”.

Les chevaliers sont présents pour lutter contre “ les infidèles ” et “ conquérir une terre qui avait appartenue à l'Eglise ”.

Après une bataille, pendant laquelle Ugo Colonna a fait preuve de beaucoup malice par rapport aux combattants de Nugulone qui sont présentés comme courageux et sans vices, les armées “ Maures ” se réfugient à CORTE qui résiste héroïquement à Ugo Colonna.

De véritables sarrasins auraient sans doute pris la mer pour fuir ; ils n’auraient pas rejoint les montagnes !

Les Chevaliers prennent Corte, massacrent la population, rasent les maisons et entreprennent la construction du Palazzo de Poggio de Venaco.

Au siège de Mariana, Ugo Colonna capture par surprise Masapo, le chef des défenseurs de la ville, un “ Maure de vieille souche ”, qui reconnaissant sa défaite se fait chrétien ; les habitants de la ville pour ne pas subir le sort des cortenais (tués ou vendus comme esclaves) se font eux aussi chrétiens.

Le Comte (Ugo Colonna) fait un tour des régions de Corse et “ donna quelques charges sur leurs terres aux Maures qui se faisaient chrétiens ”.

Le ralliement aux vainqueurs permettra à des familles locales de maintenir un certain pouvoir dans leur pieve (est-ce l’origine des cinarchesi ?)

Le Pape envoie cinq évêques et des prêtres “ pour éduquer dans la foi chrétienne les vieux chrétiens, les renégats et les maures naturels ”.

Della Grossa précise:

“ Après que le Comte eut présidé aux affaires spirituelles, il lui parut non moins nécessaire de peupler de chrétiens l'Ile de Corse, en prévision de ce qui pourrait advenir avec le temps ou même dans l'éventualité de la venue d'une flotte de sarrasins, ou enfin pour que les chrétiens fussent plus nombreux que les Maures qui restaient en Corse.

Le Comte présenta au Pape Pascal et au consistoire des Cardinaux et des Sénateurs de Rome le projet suivant: chaque romain qui commettrait un crime susceptible d'être puni de la peine capitale, de la mutilation d'un ou plusieurs membres ou d'un lourd tribut, pourrait voir sa condamnation gracieusement commuée en exil s'il acceptait d'aller habiter perpétuellement en Corse avec sa famille.

Cette disposition fut appliquée et dura longtemps ”.

Mais “ le Roi ” (ainsi est simplement désigné Nugulone dans la chronique par opposition au “ comte ” pour le chef des chevaliers ) “ revient ”, il reprend le combat.

Le Comte Boniface succédant à Ugo Colonna “ exhorte les chrétiens récents et les maures à être vigilants ”. Les conversions ne concernent donc pas encore la population dans son ensemble puisque des populations soumises ont gardé leur foi ancestrale.

Le Roi est accueilli par les gens de Fretto “ qui étaient Maures pour la plupart ”.

Les corses nombreux le rejoignent et les nouveaux chrétiens proposent au Roi de “redevenir Maures comme avant”.

Mais après avoir remporter les nombreuses victoires sur les chrétiens, Nugulone meurt au combat au siège de Poggio à la suite d'une ruse de Boniface.

Son fils ABITEL est désigné Roi par les Maures et il “est obéi de tous”.

Le nouveau Roi se rend à MOROSAGLIA et fortifie la montagne d'Accia.

Les Maures se cachent dans les montagnes ou près de la mer sur des promontoires et "le spelonche e caverne".

Le Comte Boniface aidé par le Comte de Barcelone (nécessité de faire apparaître l'Aragon allié naturel du Pape en Corse au XIV° comme participant à la reconquête de ce pays) passe Tenda et la Teta contraignant les “maures” à se réfugier dans toute la Région d'ACCIA.

Le Comte ordonne de tuer tous les maures, sauf s'ils “deviennent chrétiens très obéissants” et payent une dîme supplémentaire et s’ils donnent le dixième enfant comme serviteur pour la Cour de Rome.

Les chrétiens sont répartis à travers la Corse et sont chargés d’empêcher la tenue d'assemblée par les “ maures ” qui vivent en des “ lieux sauvages et élevés ”.

Des “ maures ” étaient “ tués quotidiennement ” et ils “ meurent de faim, de froid, de privation, hommes, femmes, enfants pendant quatre ans avant le retour du roi Abitel ”.

Quand Abitel revient “ les maures le rejoignent ” mais trop faibles face aux armées du Comte, ils doivent renoncer même à leur refuge d'ACCIA et, par le fer, le feu et sang, fais chrétiens.

Giovanni nous dit que “ les maures de race chrétienne redevenus chrétiens étaient terrorisés ”.

D'après Giovanni della Grossa, la guerre a duré 34 ans et se termine par la création de l'Evêché d'Accia, la construction de la Cathédrale SAN PIETRO (au pied du SAN PETRONE) regroupant les trois pièves d’Orezza, Ampugnani et Rustino.

La toponymie romaine des côtes (Mariana, Cardo, Ficaria, Sagone….) contraste avec, à l'intérieur et à côté des toponymes “ maures ”, des villages et sites qui comprennent des dénominations de Saints et particulièrement SAN PEDRO (noms remplaçant au moment de la deuxième christianisation au XIème siècle les noms usités antérieurement).

La création d’un sixième évêché corse à Accia n’est donc pas dû au hasard mais à cette victoire sur le dernier bastion des corses païens.

 

Texte : Diuniso Luciani.

Photo : alawata-tradition.blogspot.fr

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