Porto-Vecchio de 1539 à 1565

En 1539, la maigre production de blé et les difficultés rencontrées pour s'approvisionner auprès des autres états font que la République de Gênes décide de mettre en culture le plus de terres possible de ses domaines, afin de ne pas dépendre des provinces étrangères pour le ravitaillement en blé.

L'administration procède donc à une étude des domaines génois pour repérer la terre la mieux appropriée à une telle culture et enfin le choix se fixe sur la Corse.

L'ouvrage de A. Giustiniani, analyste génois et évêque du Nebbio, «Dialogo Nominato Corsica », contribuant à la connaissance de l'île, ne fut sans doute pas étranger à ce choix. En effet, l'île, notamment sur sa partie orientale, présentait le long de la côte de nombreuses étendues plates que les habitants avaient abandonnées à la suite des invasions des corsaires pour se réfugier sur les terres de l'intérieur.

En cultivant et en repeuplant ces zones côtières, le gouvernement pense non seulement pouvoir s'assurer le blé nécessaire, mais il pense aussi réussir à enrayer les incursions des corsaires turcs qui avaient installé leurs bases dans les villages dépeuplés de Corse. En plus du développement de l'agriculture, il y aurait une augmentation du bien-être des habitants de l'île qui, ainsi, ne se révolteraient plus contre l'autorité centrale.

Pour décider des terres à cultiver, l'Office de Saint-Georges  envoie en Corse Francesco Grimaldo de Bracelli et Troilo Negrone (commissaires en titre) chargés d'effectuer une complète reconnaissance et faire un rapport sur l'état de l'île, avec projets et plans, devant être présentés aux protecteurs de l'Office.

Les deux commissaires repèrent parmi les zones les plus aptes à la réalisation de ce projet de l'Office, celles d'Aléria et de Porto-Vecchio abandonnées par leurs habitants qui, craignant les infidèles, s'étaient rendus dans les montagnes et ne reviendraient volontiers sur la côte que si l'on construisait des fortifications <3>.

 

 

Voici comment G. Banchero, dans l'exposé de ces faits, décrit Porto-Vecchio : « cet excellent port, du nom de Tolomeo Philonius Portus, s'étend sur 10 milles et se situe à une distance de 18 milles de Bonifacio.

De chaque côté de l'entrée, il y a un îlot ou plutôt un rocher. Au fond du port on voit une petite île nommée « Ciglio » bordée d'un étang, repaire secret des corsaires. Il peut recevoir toute embarcation et il est un abri sûr en cas de tempête. En y entrant par temps de mistral il convient de faire preuve d adresse en choisissant la partie la plus profonde. Des poissons de toute sorte y abondent. Une petite rivière y débouche. De chaque côté on découvre tout autour une très belle région de 60 milles inculte et en friche mais communément réputée bonne pour la culture de l'avoine et de tout autre produit de la terre ; mais en réalité il n'en a pas été ainsi, car la malaria, qui provoquait en été parmi les habitants de graves maladies souvent mortelles, a fait que l'on n'a pas pu poursuivre l'occupation qui de temps en temps y a été entreprise. Une fatalité presque certaine empêchait les étrangers de tirer profit de la mise en culture de l'île et jamais ils ne retrouvaient les sommes dépensées. »

Le programme des protecteurs des « Acquisitions » de Saint-Georges prévoyait un envoi massif, dans l'île, d'hommes auxquels on devait donner des terrains en friche. Avant de réaliser un tel programme il fallait cependant écarter un autre obstacle ; les terres de Corse étaient soumises à la dîme due à l'Église, alors que d'autres régions d'Italie n'étaient pas grevées par ce tribut, et on aurait alors difficilement trouvé des gens disposés à émigrer en Corse où ils seraient exposés aux incursions des corsaires et de plus soumis à un impôt sur la terre. Les protecteurs s'adressent donc au Saint-Siège pour obtenir l'exemption de la dîme sur les terres en friche depuis plus de 8 ans.

Naturellement il n'est pas facile d'atteindre cet objectif, et très habilement pour mieux réussir dans cette entreprise ardue, ils font en sorte que la mise en culture de la Corse n'apparaisse que comme un moyen de la libérer des infidèles qui menacent non seulement l'île mais même les côtes italiennes, y compris les côtes romaines, avec un grand préjudice pour la chrétienté. En fait la Corse inhabitée est un refuge sûr pour les corsaires qui, partant de là, peuvent accéder aux côtes italiennes et attaquer les états chrétiens et enlever plusieurs personnes contraintes ensuite de renier la religion catholique.

Devant un tel danger, le pape Paul III, par une lettre solennelle en date du 5 mars 1540, accorde l'exemption de la dîme à perpétuité pour les terres en friche depuis plus de 8 ans.

Alors, au mois d'avril 1540, les protecteurs commencent à donner en concession les terres en friche et en même temps ils entreprennent les travaux de construction des tours et des forts pour la défense des cultivateurs qui

 

viendront dans l'île. La région de Porto-Vecchio est donnée à Giovanni et Tomaso De Marini volontaires pour semer chaque année sur les terres de Porto-Vecchio et dans la vallée du Pruno 1800 mines de froment.

Le 28 mai 1540, Gaspare Grimaldi de Bracelli, Paolo di Negro, Battista Cattaneo et Gerolamo Cybo de Sopranis, députés « Super Rebus Corsicae... Pro fabricis dictae insulae » nomment Pietro Barabino q. Leonardo directeur des travaux de Porto-Vecchio et, sous sa direction, le 25 juillet de la même année, débute la construction des remparts qui, comme on le constate sur les grands-livres établis à ce propos, se poursuivra pendant quelques années.

Ce premier essai de repeuplement de la région de Porto-Vecchio ne donne aucun résultat positif ou durable. En 1546 les commissaires Troilo Negrone et Paolo Guistiniani, envoyés en visite dans l'île, constatent que la première tentative pour fonder une colonie à Porto-Vecchio a échoué, la population étant décimée par la malaria (7).

Banchero raconte ainsi les faits : « ce climat malsain de Porto-Vecchio avait causé la mort d'une grande partie des habitants et donc l'occupation de la région se réduisait tous les jours et les Corses eux-mêmes de leur plein gré ne souhaitaient pas y habiter. On pressait outre mesure les commissaires de maintenir ce territoire qui, à grands frais pour le trésor public, avait été pourvu de constructions défensives, et voyant que chacun évitait comme il pouvait d'aller s'y établir, on décréta que chaque paroisse devait, pour satisfaire aux corvées, envoyer un certain nombre de familles y élire définitivement domicile(8). »

L'Office de Saint-Georges, qui, comme nous l'avons vu, n'avait pas l'intention d'abandonner la ville pour laquelle il avait dépensé tant d'argent, décide d'y envoyer un certain nombre de familles d'autres localités de l'île. On confie aux « Nobles 12 » le choix des personnes qui devaient aller vivre à Porto-Vecchio et ceux-ci profitent de cette charge pour transformer l'opération de repeuplement de Porto-Vecchio en une opération lucrative en leur faveur. Au lieu de tirer au sort les hommes destinés à quitter leur village pour se rendre à Porto-Vecchio, ils veillent à ne pas faire partir des membres de leur famille, ou ceux qui leur avaient donné en échange de cette faveur de l'argent, du blé, du bétail ou des chiens de chasse selon leurs possibilités. Dans plusieurs villages, les chefs de famille réunis sur la place de l'église décident de s'imposer une taxe à verser aux « Nobles 12 » plutôt que de risquer d'être inscrits sur la liste de ceux qui doivent partir pour Porto-Vecchio.

Enfin le scandale est tellement évident que les commissaires du gouvernement interviennent et complètent eux même laxiste des personnes envoyées à Porto-Vecchio en même temps qu'ils destituent de leur charge les Nobles 12, tout en ordonnant qu'à l'avenir on n'élisent plus de 12.

 

En 1553 l'armée franco-turque occupe la Corse : dans les rangs de cette armée on trouve même Sampiero et d'autres Corses qui, en raison de leur connaissance de 1île, favorisent l'invasion.

Le Général Paolo Termes confie pour la conquête de Porto-Vecchio, le commandement de quelques compagnies de nationaux à Bernardino d'Ornano et Napoleone dalla Vie.

Entre temps l' armée turque se dirigeant vers Bonifacio, après avoir pris Aléria et d'autre localités de la côte sur son passage, arrive à Porto-Vecchio ; avec les compagnies commandées par Bernardino et Napoleone, elle marche vers la ville qui se rend sans opposer de résistance.

Porto-Vecchio demeure possession des Français jusqu'au traité de Cateau Cambresis, le 3 avril 1559.

Cette paix voulue par Phifippe II d'Espagne met fin à quarante années de lutte.

Les deux traités distincts ( entre la France et l'Angleterre et entre la france et l'Espagne ) confirment pratiquement la suprématie espagnole en Italie.
La france obtient quelques concession, mais elle est obligée de renoncer  la Corse qui dépend nouveau de l'Office de Saint Georges.

Les  Français remettent aux Génois les villes corses qui concerne Porto-Vecchio, Tomaso Oderico Gentile et le capitaine Barella s'y rendent avec une compagnie de soldats, le 17 septembre ils reçoivent l'investiture et mettent en place Cristoforo Negri comme commissaire.

Mais Sampiero de Bastelica, décidé à chasser les Génois de l'île trouve refuge en France et essaye de convaincre la cour royale de lui prêter main-forte pour réaliser son projet.

Dans ce but il a même recours au pirate Dragut qui capturé en 1540 près de la Girolata par Giannettino Doria, embarqué sur les galères d'Andrea Dona et ensuite racheté par Khair al Din dit Barberousse nourrissait des projets de vengeance contre les Génois.

En 1561, 0nt Iieu Plusieurs incursions de pirates barbaresques en Corse et les débarquements à Ajaccio et à Porto-Vecchio sont particulièrement meurtriers.

L'Office de Saint-Georges, ne réussissant plus à contrôler de manière autonome la situation en Corse, offre de céder l'île à la République de Gênes. Le « Maggior Consiglio » s'étant réuni, après avoir évalué scrupuleusement les éventuels avantages et désavantages découlant de cette possession, décide d'en accepter l'acquisition, même si «... la République devait dépenser chaque année 70 000 L... », parce qu'il considère que de ce fait la République en aura du prestige et avec le temps et une bonne administration, elle pourra même en tirer profit.

En 1563, les quelques habitants de Porto-Vecchio, qui avaient échappé à l'invasion franco-turque et à la malaria, adressent une supplique au gouvernement génois par l'entremise de Stefano Massa, maire de la ville et procureur des Anciens. Par cette supplique ils demandent qu'on leur fasse quelques concessions indispensables pour pouvoir continuer à vivre à Porto-Vecchio, dans le cas contraire « qu'il leur soit permis de quitter la ville et d'aller habiter où bon leur semblera et plaira....»

Ces requêtes concernent surtout la confirmation des chapitres, privilèges, immunités et exemptions accordés aux habitants de Porto-Vecchio par Troilo Negrone et Paolo Giustiniani, commissaires de l'Office de Saint-Georges, le 26 octobre 1546, ainsi que les avantages accordés par l'Office même le 7 juillet 1562, à savoir l'apport de 200 autres familles, et la dispense des tours de garde la nuit sur les remparts de la ville pour les habitants qui, parce qu'ils étaient cultivateurs, rentraient le soir, fatigués après avoir travaillé tout le jour dans les champs, et n'auraient pas été en mesure de passer la nuit à monter la garde.

Pour assurer la sécurité de la ville et de ses occupants on demande que soient envoyés d'autres soldats à pied et à cheval, que l'on crée plus de postes de garde pour surveiller la côte, et qu'on place, pour défendre les travailleurs, des soldats en nombre suffisant dans les champs pendant la récolte. Toujours afin de pouvoir tirer un plus grand profit des cultures, les habitants de Porto-Vecchio demandent même qu'au moment de la moisson le lieutenant ordonne à la population des villages voisins de venir les aider dans leur travail, en échange d'une récompense satisfaisante. On exige que la ville soit ravitaillée et reçoive les outils nécessaires au travail quotidien, ce qui est indispensable ; on demande de faire réparer et consolider les moulins le long des rivières et de construire un moulin à vent qui servirait l'été quand les rivières sont à sec, enfin on demande un prêt de 200 lires pour l'abattoir.

Par cette requête on voudrait aussi que soit accordé un délai de paiement pour les dettes contractées jusqu'à ce jour, que le lieutenant soit plus rigoureux vis-à-vis des voleurs, que l'on envoie de Gênes des ardoises pour les toitures des maisons et de plus qu'enfin on entreprenne la construction de l'église promise et de la citerne.

En outre il semble indispensable que soit constitué un fonds où pourraient puiser les familles de ceux qui ont été capturés par les pirates barbaresques, pour pourvoir à leur rachat. Les sommes seraient ensuite remboursées par acomptes à court terme. Il apparaît évident à partir de ce document que la population, soumise à de durs travaux et à la merci des incursions des pirates, vit très misérablement. Le gouvernement de la République occupé à faire front aux incursions continuelles dans l'île des pillards turcs et aux rebellions de l'intérieur provoquées par Sampiero, ne jugeant pas opportun d'engager d'autres capitaux en Corse, au moins jusqu'à ce que les tumultes soient apaisés, va décevoir en grande partie les espoirs des demandeurs.

L'Office de Corse, reconnaissant cependant dans la plupart des cas la légitimité de ces requêtes, ne refuse pas catégoriquement de fournir aux habitants de Porto-Vecchio les provisions nécessaires, mais considère que «... on ne peut pour le moment satisfaire à leur demande... » et assure que «... dès que cela sera possible, on ordonnera que leur soit accordé ce qu'ils demandent... ».

Les vagues promesses du gouvernement ne suffisent certes pas à satis­ faire les besoins urgents de la population, ni encore moins à faire que cette population ne quitte pas la ville qui, alors presque dépeuplée, est atta­ quée en juillet de l'année 1564 par les nationalistes corses conduits par Sampiero.

Malgré la vaillante défense opposée par le capitaine Cola Papalitro à la tête de 140 soldats génois, le 25 juillet, après 20 heures de lutte, la ville doit se rendre passant ainsi aux mains de Sampiero qui en donne la direction à Francesco Maria da Luco avec une compagnie de 100 hommes.

Le succès de Sampiero n'est pas de longue durée car la République, ayant eu connaissance de ses exploits, envoie en Corse Stefano Doria, seigneur de Dolceacqua avec sous ses ordres 22 galères (3 génoises, 19 des alliés espagnols) et 2 500 soldats

pour reconquérir les villes occupées par les Corses et rétablir l'ordre dans l'île. Stefano Doria arrive à Bastia le 24 novembre 1564 et après avoir donné l'ordre à Francesco Giustiniani de se rendre à Porto-Vecchio par voie de terre avec 300 cavaliers, il prend la même direction avec mille soldats par voie de mer.

Doria et Giustiniani arrivent devant la ville presque en même temps et intiment au commandant Francesco Maria da Luco l'ordre de se rendre; devant son refus, 1artillerie attaque en force.

Les troupes génoises prépondé­rantes ne tardent pas à reprendre Porto-Vecchio.

Après la reddition, Stefano Doria en personne entre dans la ville, Francesco Maria da Luco et les autres officiers sont exécutés, les soldats sont mis aux fers. Stefano Doria part pour Bonifacio laissant sur place une bonne garnison pour défendre Porto- Vecchio.

 

 

A la suite de ces événements Porto-Vecchio est abandonnée par la population et il ne reste plus que les soldats qui la défendent. Pour éviter les dépenses nécessaires au maintien de la garnison ou pour pouvoir utiliser les hommes ailleurs mais en même temps ne pas laisser la ville sans défense, car elle pouvait devenir un repaire de rebelles, la République, en l'an 1565, décide de la détruire complètement.

Le 19 février 1565 cette proposition est exposée devant le « Minor Consiglio » qui, le jour suivant, approuve la destruction de Porto-Vecchio en donnant cette raison : «... quia non exiguam impensam in illo custodiendo adfert Republicae non reddit stationem et portum navibus securum, non est redactus nec situatus in loco tuto, et de facili ammititur ac cum difficultate et impensa recuperatur. Laudarunt tamen ad demolitionem predictam non esse de presenti deveniendum stantibus tumultibus Corsicae... ».

Vers la fin du mois de juin Stefano Doria informe le gouvernement que le moment est propice à la démolition de Porto-Vecchio, et quelques jours après il reçoit l'ordre de commencer les travaux de démolition.

Il n'a pas dû être facile de trouver des démolisseurs, des tailleurs de pierres et d'autres ouvriers disposés à se rendre en un lieu abandonné et dangereux comme Porto-Vecchio l'était alors ; en effet on peut lire dans une lettre du 30 novembre 1565 adressée par Bernabò Giustiniani aux gouverneurs de la République, que les préposés à la destruction de Porto-Vecchio n'étaient arrivés que le 17 novembre.

En raison du petit nombre d'hommes employés, des mauvaises conditions climatiques et du manque de vivres, les travaux se poursuivent pendant plusieurs mois. Probablement pour ne pas mourir de faim comme cela était déjà arrivé aux habitants, les uns s'enfuient, d'autres volent du bétail et tout ce qui pouvait servir à leur subsistance, s'exposant ainsi aux réactions

justifiées des propriétaires corses qui avaient placé 30 arquebusiers pour protéger leurs biens.

A la fin du mois de novembre, on a déjà abattu une partie des remparts et malgré les renforts arrivés de Bonifacio on prévoit que les travaux ne pourront être terminés qu'au mois de janvier de l'année suivante. 

 

Fausto AMALBERTI.

 

Source : Edition Cumpagnia d'I. Ventemigliusi.

 

Traduction française de Viviane Gottardi.

 

 

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