UNE CAPTIVITÉ INSULAIRE :  PRISONNIERS DE GUERRE ET INTERNÉS CIVILS EN CORSE 1914 -1918.

UNE CAPTIVITÉ INSULAIRE : 

PRISONNIERS DE GUERRE ET INTERNÉS CIVILS EN CORSE 1914 -1918.

Au cours de la Grande Guerre, plus de 2 000 internés civils et prisonniers de guerre séjournent en Corse.

Leur présence dans cette île méditerranéenne met la population directement en contact avec l’ennemi et révèle les limites de l’effort de guerre dans une région périphérique.

En effet, dans ce département considérablement affaibli par des conditions de mobilisation particulières, l’utilisation de ces captifs comme main-d’œuvre agricole et industrielle aurait dû pallier l’absence de près de 40 000 actifs.

En fait, ce système est inefficace.

Il engendre des tensions entre les autorités militaires, civiles et politiques.

Celles-ci se disputent la gestion des prisonniers tandis que le gouvernement refuse l’envoi de nouveaux captifs et tente même d’en diminuer le nombre.

Sans remettre en cause l’attachement des Corses à la Nation, cette situation se répercute dans l’opinion insulaire mettant en lumière la résurgence d’un sentiment d’exclusion de la communauté nationale et relativisant ainsi le concept de consensus de l’arrière.

Des captifs d’origines diverses mais en nombre limité

Le 26 septembre 1914, le préfet demande aux sous-préfets de lui indiquer les bâtiments dépendants de leur circonscription susceptibles d’abriter le plus rapidement possible des internés germaniques.

Ce sont donc des bâtiments désaffectés qui sont choisis : les anciens pénitenciers de Casabianda, Castellucio et Coti-Chiavari.

Mais aussi quelques couvents n’abritant plus de communautés monastiques, comme ceux de Cervione, Corbara, Luri, Oletta ou Morsiglia.

La configuration de ces édifices religieux se prête en effet parfaitement à leur nouvelle fonction : les cellules des moines servent de chambrées, la cour centrale permet de procéder aux appels quotidiens et aux rassemblements des prisonniers, enfin le nombre limité d’issues facilite la surveillance des détenus.

Enfin, ultérieurement, des officiers allemands seront internés à Corte au Palais Gaffory mais également dans la citadelle.

Les officiers turcs seront quant à eux scindés en deux groupes : l’un détenu dans le Palais des gouverneurs génois, au cœur de la citadelle de ­Bastia , l’autre dans l’ancienne capitale paoline .

Une fois réglé le problème des lieux dans lesquels les prisonniers seraient détenus, demeure celui de leur encadrement.

Comme évoqué plus haut, la plupart des hommes valides étant sur le front, il ne reste plus dans l’île que quelques vieux mobilisés de l’armée territoriale auxquels s’ajoutent des gendarmes et les gardes des eaux et forêts, ces derniers étant alors eux-mêmes rattachés au ministère de la Guerre

Le 6 octobre 1914, le bâtiment Le Golo amène à Bastia un premier convoi de 77 prisonniers allemands.

Ces hommes sont conduits par train à Casabianda.

Ils seront suivis, quelques jours plus tard, d’un contingent de 48 officiers débarqué dans ce même port par le navire Le Pelion.

Il est aussitôt acheminé vers Corte .

Le 4 janvier 1915, débarquent à Bastia 235 internés austro-allemands pour Oletta et Cervione, et 306 PG pour Casabianda.

Début mars 1915, c’est un convoi de 347 prisonniers allemands qui est acheminé vers la Corse par le navire Le ­Tibet.

Au début de l’année 1915, l’île abrite déjà 1 267 PG.

D’autres arrivées suivront régulièrement tout au long de la guerre.

En août 1916, leur effectif s’élève à 1 602 détenus.

Fin 1916, 150 soldats turcs séjournent également en captivité dans l’île qui sert initialement d’escale de quelques semaines à ces convois de prisonniers venant, par voie maritime, du front d’Orient.

Le 12 octobre 1916, ce sont 733 prisonniers bosniaques qui sont installés dans le couvent de Cervione.

Il s’agit en fait de soldats ayant combattu aux côtés des Français dans les Balkans, mais dont l’unité a été dissoute pour indiscipline et « troubles graves ».

À ces militaires captifs, s’ajoutent rapidement des internés civils.

Il s’agit d’abord de quelques rares ressortissants allemands et autrichiens présents en Corse à la déclaration de guerre et que la République considère comme des espions potentiels.

« Une main-d’œuvre inespérée », l’ennemi au service de l’économie corse

Le but est de profiter de la situation pour mener à bien des programmes d’investissement et d’infrastructures votés avant le conflit (aménagements routiers, assainissement de la plaine orientale principalement).

L’État n’entend donc pas céder cette main-d’œuvre à l’agriculture, et encore moins au secteur privé.

Du moins initialement.

Ainsi, par exemple, les prisonniers de guerre turcs sont affectés par l’administration des ponts et chaussées à des travaux d’adduction d’eaux de source sur les chantiers de Borgo et d’Ortale.

Seuls, ceux détenus à Casabianda travaillent dans les champs et les vignes dépendant de cet établissement pénitentiaire.

La gestion des prisonniers de guerre, cause de tensions politiques

Face à l’inefficace gestion économique des prisonniers de guerre, le pouvoir civil et l’autorité militaire s’opposent un moment.

Le préfet souhaiterait que la situation insulaire de la Corse soit prise en compte, afin de ne pas voir des décisions nationales être systématiquement et aveuglément appliquées dans le département.

Le cas de la Corse – pour singulier qu’il soit par l’ampleur humaine de la mobilisation et la faiblesse structurelle et conjoncturelle de son économie – rappelle que les régions éloignées du front n’en ont pas moins subi le poids du conflit et que l’histoire de la Grande Guerre doit également s’appréhender à travers celle des sociétés civiles méditerranéennes confrontées, elles aussi, à ce conflit fondateur de l’entrée dans la modernité du XXe siècle.

Source : cdlm.revues.org

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