André François Miot de Mélito avec sa famille par Louis Gauffier

André François Miot de Mélito avec sa famille par Louis Gauffier

 

Le cas de la Corse où, manifestement, les préfets mis en place dès 1800 lors de la première fournée, ne furent, y compris sous l'Empire, que des personnages de second plan en raison des mesures particulières prises par Bonaparte pour son île natale composée - rappelons-le - de deux départements, ceux du Golo et du Liamone.

Ce qui a prévalu ici, aux yeux du Premier consul, c'est qu'il avait affaire à une île, que celle-ci, même si le danger a été exagéré, vivait sous la menace d'une reconquête de la part de l'Angleterre et que, encore en 1800, l'agitation intérieure de type contre-révolutionnaire, y était inquiétante.

En Corse, les préfets sont coiffés, moins d'un an après leur nomination, par un administrateur général (janvier 1801) en la personne de Miot qui s'était fait connaître de Bonaparte lors de la campagne d'Italie lorsqu'il était ministre plénipotentiaire en Toscane.

Bonaparte avait eu recours à lui une première fois pour la Corse après la reconquête de l'île sur les Anglais en 1796 et il le reconduisait en 1801 dans une fonction exceptionnelle avec le titre d'administrateur général en le dotant de larges pouvoirs tandis que l'île était placée sous régime d'exception.

 

À son arrivée dans l'île, en mars 1801, Miot dresse un sombre tableau de la situation : plusieurs révoltes y ont éclaté, notamment dans le Fiumorbo et dans la région de Porto Vecchio où des émigrés pro-anglais ont débarqué sur les côtes avec l'appui logistique de la Russie ; ils troublent encore l'ordre public, ce qui nécessite la mobilisation de près de 5 000 hommes de troupes pour en venir à bout...

Miot parle d'une « nouvelle Vendée » face à ces actions qui ne peuvent être mises sur le compte du simple brigandage : elles sont de type contre-révolutionnaire et inquiètent le régime.

Dans ses instructions de décembre 1800, Bonaparte lui avait écrit : « Votre premier soin sera d'appeler auprès de vous les préfets du Golo et du Liamone et les commandants militaires et de proclamer la Corse " hors constitution ", décision conforme à l'article 92 de la constitution de l'an VIII qui prévoit que " dans le cas de révolte à main armée ou de troubles qui menacent la sûreté de l'État, la loi peut suspendre dans les lieux et les temps qu'elle délimite l'Empire de la Constitution " ».

Observons cependant que, pour ne pas être « préfectoraux », les pouvoirs de Miot n'en étaient pas moins civils et que l'homme n'était pas un général.

Il s'agit moins ici de pouvoir militaire que de régime d'exception.

Miot déclare qu'avant son arrivée régnait en Corse « une sorte de gouvernement militaire [...] » et qu'au commencement de l'an VII « le général commandant la 23e division réunissait pour ainsi dire tous les pouvoirs, quoique les administrations centrales eussent cessé leur fonction à l'arrivée des préfets ».

Il dut affronter les généraux dépouillés de fait de leurs prérogatives par sa nomination et évoque en ces termes la situation qu'il rencontre : « Les militaires [étaient] blessés des pouvoirs extraordinaires qui m'étaient confiés et se montraient tout à fait hostiles [...] Loin de m'aider dans les mesures prises pour le rétablissement de la tranquillité publique, ils les entravaient de toute leur force.

Le général Muller qui commandait la division, brave guerrier mais d'un esprit peu éclairé, se déclara si ouvertement contre moi, il se porta à de telles inconvenances de conduite que je fus obligé, pour sauver mon autorité, de le faire repasser en France.

Cet acte de fermeté que le premier Consul ne désapprouva pas rendit ma position meilleure ». Quant à Muller, avant d'être rappelé, il déclarait - et là apparaît bien le fond du problème - : « Les troupes qui sont en Corse ne sont pas, que je sache, hors constitution et le gouvernement ne m'a pas imposé de devoir obéir à l'administration ».

 

Miot super-préfet, préfet de région avant la lettre ?...

On sait que cette question institutionnelle s'était posée lors de la préparation de la loi de pluviôse et on constate qu'en dépit du rejet de la formule « régionale » et malgré l'option pour l'échelon départemental, les réalités révèlent ces cas d'exception à la règle et la Corse est ici un bon laboratoire d'analyse.

Miot ne manqua pas de rencontrer dans l'exercice de sa fonction l'opposition du corps préfectoral, celle de Jean-Antoine Pietri dans le Golo et de J.-B. Galeazzini dans le Liamone. Contre eux, il se réclamait de son arrêté de nomination qui prévoyait explicitement que « les deux préfectures devinssent autorités subordonnées et secondaires » et encore « que les préfets ne peuvent publier aucun acte sans autorisation et [qu'] ils doivent lui rendre des comptes ».

Le 3 août 1802, il écrivait au ministre de l'Intérieur : « Il est normal de penser que privées par ma présence d'une partie des pouvoirs qu'elles [les autorités préfectorales] peuvent développer, elles ne le supportent qu'avec peine » et, à leur propos encore, il parle de « rouages tout à fait nuisibles » si sa mission devait se prolonger.

Le 28 septembre 1802, il écrivait encore : « Dans les départements où le préfet est le centre de l'autorité administrative, il a de droit la préséance sur toutes les autres autorités, mais ma présence en Corse porte nécessairement au second rang les fonctions de préfet ».

Les fonctions de Miot sont suspendues le 14 septembre 1802 et, en octobre suivant, après la signature de la paix avec l'Angleterre, la Corse rentre à nouveau sous l'empire de la Constitution, mais elle ne retrouve pas pour autant un régime normal puisque, en lieu et place de l'administrateur général, y est nommé un gouverneur militaire en la personne du général Morand doté des pouvoirs d'administration et de haute police.

Il restera en poste jusqu'en 1809 et régnera en maître, plaçant sous sa botte les malheureux préfets.

Plus que jamais, et comme en Piémont ou comme plus tard dans les départements hanséatiques, la référence n'est pas le département - la correspondance officielle l'atteste largement - mais le cadre de la division militaire que commande Morand réunissant les deux pouvoirs, civil et militaire, et entretenant habilement la peur d'un retour des Anglais pour conforter sa position.

Retour à l'accueil