LE PÉNITENCIER DE COTI-CHIAVARI.
Le pénitencier de Coti-Chiavari.
 
 
Réputé pour être un lieu maudit et le témoin d’une sombre histoire, le pénitencier de Chiavari (avec son annexe estivale de Coti), dont il ne reste aujourd’hui qu’un seul bâtiment debout et de nombreuses ruines, fut l’un des trois grands pénitenciers agricoles pour adultes de Corse avec ceux de Casabianda et de Castelluccio (annexe de la Colonie correctionnelle de Saint-Antoine). Leur raison d’être était simple : « L’amélioration des condamnés, l’assainissement du pays, la mise en valeur d’un sol mouvementé et inculte ».
 
 
La fondation du pénitencier


Situé à une trentaine de kilomètres au sud de la ville d’Ajaccio et offrant une magnifique vue sur la baie, l’histoire de Chiavari remonte à l’occupation génoise de la Corse à la fin du treizième siècle.

En effet, la République de Gêne, s’emparant des terres inoccupées ou abandonnées, s’adjugea un vaste territoire dans la région de la Costa et y fonda une première colonie autour du village de Coti.

Cependant, les troubles et les revendications territoriales eurent raison de chaque implantation jusqu’à ce que l’État français se rende propriétaire du domaine de Chiavari et en fasse l’acquisition le 12 janvier 1855 pour la somme de 300 000 de francs.

Il fut par ailleurs décidé que la situation géographique et la qualité des sols du domaine étaient favorables à l’établissement d’une colonie agricole.

Prenant à la fois le parti d’exproprier les habitants présents sur le domaine de plus de deux milles hectares et de rénover plutôt que de raser le seul bâtiment génois encore existant à Chiavari, les cinquante premiers détenus du pénitencier purent arriver par bateau dès le 10 février 1855.

Il s’agissait principalement de détenus civils avec des peines variant de trois à dix ans ainsi que de détenus militaires et de marins condamnés à quinze ou vingt ans de fers.

Commença alors une période de construction et d’installation au cours de laquelle la mortalité chez les détenus allait atteindre plus de 80%. En effet, tout était à rénover ou à construire.

 

Ainsi, les détenus de la première année durent par exemple construire, en pierre taillée, des pavillons d’administration, des bâtiments pour la détention, des logements et des bureaux pour les employés ou encore deux kiosques pour les latrines.

Occupés à ce travail, ils passèrent l’été dans des conditions déplorables de précarité, écrasés par la chaleur et en proie aux moustiques.

A l’automne, la malaria décima les rangs des condamnés, tuant parfois jusqu’à vingt-sept hommes en trois jours comme ce fut le cas entre le 30 octobre et le 2 novembre 1855.

Dès 1856, les employés et les détenus passèrent les étés à Coti car les conditions de vie à Chiavari avaient été reconnues trop malsaines et la fièvre paludéenne y régnait en maître de juillet à septembre.

Les conditions de vie

Les détenus de Chiavari vivaient sous le contrôle de leurs gardiens dans un état de semi-liberté dans la mesure où il était impossible d’enclore tout le domaine agricole. Cependant, les prisonniers étaient astreints à un rythme de travail conséquent et éprouvant compte tenu des mauvaises conditions d’hygiène et du régime alimentaire insuffisant.

Ainsi, alors que pendant les premières années, les objectifs s’attachaient à la construction de routes et au défrichage de terrains pour assurer une production de légumes susceptible de faire vivre le pénitencier, l’exploitation agricole des terres prit ensuite son envol avec par exemple plus de six cent hectares de pâturages, prairies naturelles et vergers et deux cent trente trois hectares de vignes et de bois.
 
En 1862, l’inventaire de la ferme du pénitencier faisait aussi apparaitre seize bœufs, vingt-cinq mulets, neufs chevaux, dix-huit vaches, deux taureaux, neufs génisses, dix veaux et cinq cent moutons.

Ce travail intensif associé aux conditions climatiques et à l’insalubrité des lieux provoquait la mort de vingt à cent détenus par an et les évasions, en particulier pendant les premières années d’existence du pénitencier, furent nombreuses.
En effet, les contacts avec la population pendant les déplacements et le travail dans le maquis fournissaient moyens et opportunités aux candidats à la cavale.
Par exemple, juillet 1885 vit la réalisation de quatorze évasions et de mai à octobre 1855, on n’en compta pas moins de quatre-vingt.
Des sanctions sévères furent alors mise en place pour ceux qui étaient rattrapés : six mois de détention en cellule obscure avec les fers aux pieds.
Des conditions proprement insalubres pendant les mois d’été qui conduiront vingt et un détenus de ces cellules sur vingt-deux à l’infirmerie en 1857.
Le procédé fut dissuasif, en tout cas jusqu’à l’arrivée de nouveaux détenus car c’était tout un système qui s’était mis en place comme le montre Dominique Boudon :
« Des maisons étaient un lieu d’asile pour les évadés. On leur fournissait, pour fuir, du pain, du vin et des vêtements. D’autres encore, en accord avec les évadés, les hébergeaient quelque temps, puis les dénonçaient pour pouvoir se partager la prime de capture.»

 

Face à ces détenus tentés de retrouver leur liberté, on comptait en 1856 un total de vingt-trois gardiens pour sept cent soixante-dix-sept détenus soit un gardien pour trente-trois hommes.

Ce sont principalement d’anciens engagés militaires sans profession que l’Inspecteur Général de l’Agriculture décrit en 1860 comme totalement incompétents.

 

La fermeture et la reconversion du pénitencier


Victime de son manque de rentabilité, le pénitencier de Chiavari ferme ses portes au 1er juillet de l’année 1906.

En effet, il représentait un excédent de dépenses pour l’État de plus de dix millions de francs.

En 1906, le domaine ainsi que les bâtiments furent donc remis à la direction générale des Eaux et Forêts pour être intégré au domaine forestier de l’État.

Les quelques deux cents détenus encore présents sur le site furent transférés à Cayenne.

Depuis cette date et jusqu’à aujourd’hui, le domaine a été l’objet de projets dont peu malheureusement se sont réalisés laissant les bâtiments se dégrader et la nature reprendre inexorablement ses droits.

Cependant, réquisitionné pendant la seconde guerre mondiale, il semble avoir été utilisé comme prison pour des soldats allemands.

Ainsi, outre des tentatives d’exploiter le potentiel agricole des terres qui furent toutes des échecs, il y eu un projet de création d’un hôpital psychiatrique en 1943 qui fut abandonné en raison de l’impossibilité d’une coexistence entre une telle structure et une zone agricole.

En 1969, la Société du Lotissement du Domaine de la Pinède racheta le domaine et fit raser la plus grande partie des bâtiments encore debout pour construire un complexe touristique.

Celui-ci ne vit jamais le jour et le domaine resta inexploité jusqu’au milieu des années 2000.

A cette date, et dans le cadre du Plan d’Aménagement et de Développement Durable de la Corse (PADDUC), un nouveau projet avec des ambitions culturelles vit le jour, il s’agissait de reconvertir l’ancien pénitencier en pole d’activité entièrement dédié à la culture, l’enseignement et l’artisanat par l’implantation d’ateliers artisanaux, d’un centre de formation et d’un musée tout en maintenant l’usage du lieu en temps que site de promenade.

Le seul bâtiment restant du pénitencier, la grange à fourrage, a donc été restauré pour devenir une salle de spectacle et d’exposition et il accueille, notamment pendant l’été, des concerts de musique et des expositions d’art.

 

Source : criminocorpus.hypotheses.org / article de 

Source : Dominique Boudon,  Le pénitencier de Coti-Chiavari, Cahors, La Marge, 1989, p.26/27

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