NOUS DESCENDONS TOUS DE RESCAPÉS D'ÉPIDÉMIES.

NOUS DESCENDONS TOUS DE RESCAPÉS D'ÉPIDÉMIES.

Le 8 août 1728 meurt à Rogliano le Signor Angelo Santo Piacentini du hameau de Bettolacce. 63 ans.

On l’inhume en l’église paroissiale de Sant-Agnello auprès de son épouse Angela morte le 2 juillet 1727 et inhumée dans le même caveau, première chapelle à gauche en entrant dans la nef.

Un beau tableau de grande taille décore l’autel de celle-ci depuis 1731, offert par les deux fils du couple, Gio Andrea, mon 7e aïeul et son frère Santo, ancêtre du général Ciavaldini –polytechnicien- et de son petit-fils le Dr J.-F. Ciavaldini du CHU de Tours.

Cette œuvre a été offerte conformément au testament de feu leur père qui souhaitait faire ce don à l’église de son baptême si ses deux fils survivaient à l’épidémie.

En effet celle-ci fait rage et elle décapite la population du cap Corse tout au long des années 1727-1728.

Santo a survécu.

Gio Andrea aussi : il s’est même marié le 15 octobre 1727 trois mois après le décès de sa mère pour réintégrer une femme au sein de la famille.

En 1978-1984, nous avons publié une douzaine d’articles dans le vieux et très honorable Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse.

Et cette épidémie, jusqu’alors inconnue, nous avait interpellé.

Le 14 septembre 1728, Erasme Terami du hameau de Quercioli meurt à son tour. 77 ans.

C’est notre 8e aïeul.

Veuf depuis cinq ans, il perd en quelques semaines :

1) son gendre Saviero Ricci (8 septembre 1728), marié à sa fille Anna Terami (morte le 10 octobre 1728) ;

2) son fils Agostino Terami (mort le 1er août 1728) ;

3) son autre fils Francesco (mort le 9 août 1728) ;

4) son petit-fils Domenico Terami (mort au berceau le 27 mars 1728), fils de Francesco.

Mon 7e aïeul, Gio Batta Terami (1697-1784), est le seul rescapé de l’hécatombe.

Peut-être était-il en mer au moment de la tragédie ?

Ou à Livourne ?

Il est le père du célèbre corsaire paoliste Teramo Terami (1731-1822) mon 6e aïeul et du Signor abbate Giuseppe Maria Terami (1737-1825), proche soutien du Babbu lui aussi.

Teramo est aussi l’ancêtre direct de Philippe Lucchetti, toujours à Rogliano, dont il vient de publier la belle Histoire ce mois-ci aux éd. Sammarcelli à Bastia : Rogliano.

En étudiant au cas par cas la quarantaine de familles dont nous descendons en ligne directe nous constations chaque jour davantage que nous sommes aujourd’hui les descendants de rescapés.

Le noble capitaine messer Marco Aurelio Vivaldi (aussi du hameau de Bettolacce), notre 7e aïeul, ancêtre d’une foule de Roglianais d’aujourd’hui (les Vivaldi, Nicole Botto, etc…), perd dans l’épidémie son épouse Hieronyma Ferrandini de Tomino le 1er octobre 1728.

On l’inhume elle aussi en l’église Sant Agnello et non au couvent San Francesco où reposent les Terami.

Dès le 23 juillet 1729, messer Marco Aurelio se remarie à Innocenzia Benigni du hameau d’Olivo.

Et lui fait sept enfants car plusieurs des neuf nés de Hieronyma ont déjà été mis en terre par son frère l’Admirabile Reverendissimo Giacomo Santo Vivaldi, magnifico signor, reçu docteur en théologie et en droit canon de l’Université de Rome en 1685, vicaire de Mariana, curé puis recteur de Rogliano de 1688 à 1732 qui a refusé le poste de vicaire épiscopal pour rester au milieu de ses ouailles en détresse.

En effet, l’épidémie frappe chez les Vivaldi le 28 mars 1727, le 15 août 1727, le 28 août 1727, le 1er octobre 1728 (l’épouse de Marco Aurelio), le 19 octobre 1728, soit 5 décès.

Contre 6 décès chez les Terami (27 mars 1728. 1er août 1728. 9 août 1728. 8 septembre 1728. 14 septembre 1728 (Erasme). 10 octobre 1728.

Et sept décès chez les Piacentini.

Au hameau de Campiano, notre 8e aïeul le noble capitaine Simon Pietro Marchi meurt le 23 août 1727 et est inhumé le même jour (selon l’usage) au couvent San Francesco.

Au hameau de Quercioli, les Tully sont à peu près épargnés en dehors de l’épouse de Domenico Tully (morte le 14 novembre 1728).

En revanche, chez nos ancêtres Agostini (aussi de Bettolacce) c’est l’hécatombe.

Mon 6e aïeul Angelo Agostini, 31 ans, perd :

- sa mère Bartholomea (8 septembre 1728),

- sa fille Paoletta (11 septembre 1728),

- sa fille Barbara Maria (le même jour),

- son fils Agostino (le 27 août),

- sa tante (17 septembre 1727),

- son oncle Giuseppe Maria (30 janvier 1728),

- sa nièce (1er septembre 1727),

- son cousin germain Padoue (15 août 1728),

- son cousin germain Mariano (10 août 1727) frère de Padoue,

suivis ou précédés de leurs enfants

- 12 juillet 1727 : une fille de Padoue,

- 28 août 1727 : une fille de Mariano,

- 1er septembre 1727 : un fils de Marien,

- 24 novembre 1728 : autre fils de Marien.

Epluchés, les registres paroissiaux de Centuri et de Morsiglia aboutissaient aux mêmes résultats et on peut constater que les premières victimes étaient alors les enfants de moins de dix ans, puis leurs mères de 30 à 40 ans (le sexe dit « faible »), puis leurs pères quadragénaires, et enfin les vieillards de la famille qui résistent mieux car mithridatisés en quelque sorte puisque « vaccinés » du fait des nombreuses épidémies traversées au cours de leur vie.

Il en fut longtemps ainsi puisque ma propre mère, Odette Franceschi (1918-2012), est née à Marseille d’une mère cortenaise Lucie Baldacci (1891-1974) atteinte par la grippe espagnole qui développa sans doute chez elles des anti-corps efficaces !

Le seul Terami rescapé de l’épidémie de 1727-1728, Gio Batta (1697-1784), ne vécut-il pas 87 ans !

Il s’éteignit le 1er février 1784 à Rogliano et son épouse Innocenzia Mariani (de Magna Sottana), 84 ans, fut retrouvée morte le 14 avril suivant « dans son sommeil », par ses fils le corsaire paoliste Teramo Terami (1731-1822) et l’abbé don Giuseppe Maria Terami (1737-1825).

Preuve que malgré ce qu’il était coutume d’appeler « les malheurs des Temps », les Corses ont toujours su leur résister.

Mieux même que les Marseillais pendant la dernière peste du royaume (1720-1721) : malgré l’envoi par le Roi du Dr Chirac, son médecin particulier, 40 000 Marseillais succombèrent sur 80 000 habitants.

Les Toulonnais eurent 13 000 morts sur 23 000 habitants, plus que lors de la peste de 1664.

Ces épidémies étaient alors fréquentent jusqu’à ce qu’elles s’arrêtent d’elle-même en 1720-1721.

On ne sait pas trop pourquoi d’ailleurs.

Le choléra se maintint plus longtemps : sous Louis-Philippe, en 1832, il emporta aussi bien les ministres d’ailleurs que l’arrière-grand-père paternel du Général de Gaulle ! 

Ces Temps de malheurs paraissaient oubliés. Médiévaux…

On sort aujourd’hui d’Ajaccio en regardant d’un œil distrait un panneau de signalisation, sur la droite : « Lazaret ».

Avant d’être le magnifique pôle culturel qu’en a fait François Ollandini, le « Lazaret » avait bien entendu une autre vocation que celle d’abriter des œuvres d’art…

Ne désespérons pas toutefois.

Il y a 2000 ans, Diodore de Sicile ne disait-il pas : « la longévité des Corses est due au miel qu’ils mangent ».

Et puis, sous Louis-Philippe, l’espérance de vie parisienne était de 28 ans, contre 35 en Corse !

Et les bébés qui naissaient dans notre île avaient plus de chances de survivre à la naissance que ceux nés partout ailleurs sur le continent !

Donc pas de panique !

Mais de la prudence !

Du civisme, de la citoyenneté, par respect des autres, des plus fragiles et du personnel de santé qui n’a nul besoin de nos imprudences.

 

Vergé-Franceschi Michel.
Professeur émérite des universités.

Article proposé par Hubert Marty.

Photo : Mireille GRUMBERG. 

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