Kelly Smith l'a enregistrée dans Vietgone

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LES CORSES ET LES COLONIES.

 

Ah ! Le bon temps des colonies !

 

Le colonisateur corse eut un comportement différent des autres, plus proches des colonisés, colonisé lui-même sans s’en rendre compte.

 

La politique suivie par les administrateurs corses est conforme à ce qui était attendu par la Métropole.

 

Le comportement des petits chefs corses ne se distingua nullement de celui des autres petits chefs.

Les comportements courageux et équitables n’étaient pas une caractéristique des seuls Corses pas plus que le comportement brutal et raciste et que si certains n’ont pas dédaigné les unions avec les filles des colonies, elles ne furent pas nécessairement définitives et que pour quelques mariages exotiques combien se sont comportés en satrapes en leur harem.

 

Enfin, les colons corses n’ont pas non plus ignoré leur intérêt bien compris.

 

Sans doute peut-on citer quelques engagements anticolonialistes ou, au moins, respectueux de l’indigène, mais ils n’étaient pas si nombreux et ne se démarquaient nullement de l’engagement d’autres Français.

 

Il y a quelque malséance à se couvrir de lauriers d’une conscience tiers-mondiste bien anachronique et c’est proprement insultant pour les ressortissants des colonies authentiques.

 

Mais avant tout, furent-ils les fourriers de l’Empire, lancés dans une aventure à leur corps défendant, l’épée dans les reins comme le proclame une certaine vulgate?

 

L’épée dans les reins, vraiment ?

 

Les colonies furent exploitées pour leurs ressources que ces ressources consistent en terres arables sans limitation dans l’espace ou l’utilisation d’une main d’œuvre bon marché sinon gratuite dans le cadre de grandes propriétés latifundiaires, ou qu’elles consistent en ressources naturelles et en matières premières (café, caoutchouc, nickel, etc.).

 

Grandes propriétés latifundiaires (grand domaine agricole, tel qu'ils furent constitués par les Romains riches dans l'Antiquité)

 

Dans toutes les colonies, la ressource humaine abondante et peu chère a permis une extension de la production sans gain de productivité notable.

 

La question qui est posée est celle-ci :

les Corses furent-ils des colonisateurs colonisés, ou, en d’autres termes, la France a-t-elle recherché une main d’œuvre militaire ou civile pour l’administration de ses colonies ?

 

Une telle question ferait sourire si elle n’était pas exprimée le plus sérieusement du monde, non pas aussi brutalement, mais insidieusement, et ce dès la parution de la revue corsiste de Santu Casanova, A Tramuntana, en évoquant le racolage dans les villages, à l’image des incorporations forcées dans les armées royales deux siècles plus tôt.

 

Les Corses furent pendant longtemps les Suisses des puissances européennes, ou pour mieux dire, à l’image des républiques de la péninsule, ils se posèrent en condottieri, en ce sens qu’ils prêtèrent leur épée aux princes et étaient connus et appréciés pour leur valeur au combat.

 

Les habitants des îles aux maigres ressources ont souvent une propension à chercher gloire et fortune ailleurs ; déjà Hérodote signalait que Carthage employait des mercenaires corses pour investir et contrôler l’arrière pays des côtes siciliennes.

 

Pendant deux siècles, Pise et Gênes rivalisent pour annexer l’île, et pendant cette période, les chefs corses prêtent leur épée alternativement à l’une ou à l’autre, maniant le renversement des alliances en fonction d’intérêts propres ou selon les inimitiés entre clans.

 

Ainsi, au milieu du XIIIè siècle, de retour de Pise le Seigneur Sinucellu della Rocca, prend possession de ses terres et gouverne sous la tutelle de la République de Pise.

 

Cette aventure va traverser le siècle, et le rendre maître de presque toute la Corse, sous le nom de Juge de Cinarca (Ghjudice di Cinarca) en reconnaissant officiellement la souveraineté de Gênes mais en protestant de ses sentiments de féal vassal auprès de Pise !

 

Il se retourne contre Gênes en 1259 mais se rallie en 1276. En 1289, il est à nouveau en lutte ouverte contre Gênes mais après une guerre de dix-sept années, la paix officielle est enfin signée entre Gênes et Pise ce qui aboutit au bannissement de Corse du Ghjudice qui est fait prisonnier, et mourut en prison à l’âge de 98 ans en 1307.

 

Ses descendants et partisans transformèrent l’œuvre du Juge en entreprise de domination sous prétexte de légitimité génoise (sic), suscitant par là même une alliance du peuple et des « barons » menée avec l’appui de Gênes par Sambucucciu d’Alandu qui secoua ainsi le joug des Seigneurs.

Au XIVè Siècle les ambitions du roi d’Aragon furent contenues empêchant ainsi l'intégration dans l'aire aragonaise qui pouvait (et avait) tenté les seigneurs et les mercenaires corses.

 

Par la suite, devant les multiples guerres privées, Gênes afferma la Corse à l’office de Saint-Georges après l’échec de la Maona.

 

Rapidement certains Corses prêtèrent leur épée à l’extérieur de l’île, faute d’alliances lucratives ou porteuses, Gênes ayant désormais assis son autorité sans pouvoir d’ailleurs établir une police réellement efficace des populations.

 

Hormis les occasions que certains surent saisir comme ce Hassan Corso enlevé par les barbaresques et qui devint Régent d’Alger, le grand condottiere corse est bien sûr Sampiero Corso, sur les aventures duquel il est inutile de revenir.

 

Mais bien avant, des mercenaires corses furent engagés dans des compagnies privées dès le XIVè siècle en France.

 

Plus d’un millier de soldats corses se distinguent en 1525, à Pavie sous les ordres de Ghjucante della Casabianca.

 

D’autres servent dans le camp opposé, ainsi au siège de Florence, en 1529, dans les armées de Charles Quint.

 

De l’autre côté de la Tyrrhénienne, les bandes de mercenaires de la Renaissance italienne comprennent des éléments corses et sardes.

 

En 1573, un régiment de mercenaires corses composé de huit compagnies, soit 829 hommes, commandées par des officiers corses est levé pour le compte de Gênes.

 

L’année suivante, Gênes autorise la levée d’un millier d’hommes supplémentaires qu’Alphonse d’Ornano met aussitôt au service du roi de France.

 

C’est le début du Régiment Royal Corse qui, après moult avatars et recréations, fera parler de lui jusqu’à la Révolution Française.

 

En 1673, Louis XIV s’attache les services d’un Régiment d’infanterie corse commandé par François Marie Peri (1000 hommes, 12 compagnies) et confie le commandement d’une compagnie de chevaux-légers à un Corse. 

 

Mais le Roi de France n’est pas le seul Prince européen à vouloir bénéficier du militarisme corse.

 

Ainsi, si Venise bénéficiait également des services d’un régiment corse, au XVIIè siècle, le régiment corse d’Espagne et le régiment corse de Naples au XVIIIè siècle (dont Hyacinthe Paoli fut colonel) étaient réputés.

 

Mais, bien avant, les Corses servaient les Papes sans que l’on connaisse avec précision les conditions de la création de cette garde corse pontificale.

 

On peut seulement conjecturer qu’avec l’installation définitive du siège de la papauté à Rome, en 1378, les Papes décidèrent de créer une garde composée de ressortissants des territoires qu’ils contrôlaient.

 

Ainsi, de façon permanente, jusqu’à sa dissolution, la Garde corse comprenait entre 600 et 800 soldats

 

 La garde pontificale corse est congédiée en 1664, à la suite d’un grave incident l'ayant opposé aux gardes de l’Ambassadeur de France, incident pour lequel Louis XIV exigea un châtiment exemplaire, plus dans le but d’assurer sa prééminence et asseoir son pouvoir aux dépens du Pape que pour satisfaire un prurit anti-corse malgré la pyramide d’infamie qui fut alors érigée à Rome.

 

Durant le dix-huitième siècle, et en particulier à l’occasion des diverses interventions françaises en Corse, plusieurs compagnies de Volontaires corses furent créées sans compter les carrières militaires qui se déroulent au sein du régiment Royal Corse.

 

Enfin, faut-il rappeler qu’il y eut près de 900 soldats des Volontaires corses dans les troupes de Vaux engagés dans l’affrontement de Ponte Novo face aux 2000 patriotes de Paoli ?

 

En bref, les Corses furent longtemps les mercenaires de l’Europe, après avoir été les mercenaires de leurs maîtres.

 

C’est donc tout naturellement que les insulaires se trouvèrent aux avant-postes de la Coloniale dès la conquête de l’Algérie.

 

Il serait partiel et partial de limiter l’explication à la crise économique que connaît la Corse, car celle-ci a son impact le plus important à la fin du XIXè siècle, pas en 1830.

 

Il y eut donc bien un engouement, une propension certaine à l’engagement outre-mer.

 

Les Corses ne seront cependant pas uniquement soldats mais aussi, et c’est la différence avec leur passé de condottieri, administrateurs, archéologues, cartographes, colons, artisans.

 

Cet attrait pour la carrière coloniale, plus encore que l’installation comme colon, va perdurer et augmenter tout au long du XIXè siècle, soutenu par l’approfondissement de la crise économique que connaît l’île et tiré par l’attrait économique, le prestige social, la certitude d’un revenu pour les cadets des familles, ou les hommes des branches issues de filiation par les femmes qui n’héritaient pas des meilleurs terres  et, pourquoi le cacher, la réputation d’une vie moins rude, éloignée du carcan clanique et villageois.

 

Traditionnellement les terrains du bord de mer, le plus souvent insalubres, étaient attribués aux filles, les terrains « nobles », ceux qui se voyaient du village, étaient réservés aux héritiers mâles.

On imagine sans peine l’ironie du sort de se retrouver heureux héritier des anciens terrains insalubres, aujourd’hui, après le boum touristique qu’a connu l’île depuis quarante ans !
 

Les Corses n’hésitent pas à tenter l’aventure mais il est bien clair pour tout le monde que ce n’est pas un départ sans retour, ni que tous les ponts sont coupés ;

le jeune Corse s’en va seulement respirer le parfum de la liberté et de l’aventure, tout en assurant la subsistance de ceux qui restent.

 

Il est tentant de rapprocher la démarche des insulaires qui partent de la situation des immigrés d’aujourd’hui, à défaut d’une comparaison sans véritable objet autre qu’apologétique avec la situation des colonisés d’hier.

 

En effet, on y retrouve le lien maintenu avec la famille ainsi que les transferts de revenus.

 

Il reste plusieurs différences sensibles.

 

Tout d’abord, le départ n’est pas définitif, et le retour au village au moment de la retraite est quasi systématique à l’exception de ceux qui sont partis comme colons (et ils sont peu nombreux), alors que les immigrés d’aujourd’hui, s’ils tiennent un discours de retour au pays, n’y retournent pas, sauf parfois pour y être ensevelis.

 

En outre, il n’y a aucun phénomène de regroupement familial, et lorsque des couples sont constitués aux Colonies, les épouses et les enfants du couple ont suivi le militaire ou le fonctionnaire colonial de poste en poste, ou bien les couples se sont formés sur place, parfois avec des autochtones.

 

Enfin, la position sociale du Corse aux colonies est celle du maître, de l’administrateur, parfois du petit blanc, mais dans tous les cas il participe d’une manière ou d’une autre de l’autorité de la Nation colonisatrice.

 

Il n’a pas à justifier de sa présence, celle-ci étant commandée, il n’a pas non plus à solliciter des emplois, il est venu avec, quitte à avoir fait jouer toutes ses relations ou sa clientèle pour en avoir la promesse avant le départ.

 

Et puis, tout de même, le candidat au départ dans les Colonies est citoyen français, il bénéficie de toutes les prérogatives et tous les droits attachés à cette qualité. 

 

Une comparaison plus pertinente peut être avancée avec les phénomènes de migration des paysans sans terre ou chassés par l’augmentation de la productivité agricole, à ceci près, qu’en Corse, il s’agit moins de l’amélioration de la productivité agricole corse que de la persistance d’une économie d’appropriation mêlée de structures communautaires, où les grands domaines d’un seul tenant sont encore rares et, en tout cas, insuffisants pour concurrencer les produits continentaux.

 

Les terres composées de jardins et de vergers privatifs, de pâtures communautaires, voire de propriétés arboraires, sont réparties selon une structure foncière peu propice au développement de la productivité de l’agriculture et de l’élevage, ce qui incite les jeunes Corses à trouver ailleurs les moyens de subsistance et donc les emplois.

 

Il s’agit d’une curiosité insulaire où un individu peut posséder un arbre voire une partie d’arbre au milieu d’un terrain communal ou privé appartenant à un autre individu (souvent de la même famille).

 

Néanmoins, le choix de la coloniale ne peut se réduire à un pis-aller de ruraux chassés de leur terre par la dure loi du marché :

on l’a vu, l’enthousiasme ne manque pas et l’attrait de la carrière est réel, à tel point qu’en 1934, on évaluait la proportion d’officiers d’origine insulaire à 6 %, pour une présence corse dans la Coloniale atteignant 22 % tous grades confondus.

 

Quant à la question du racolage, il semble qu’on touche ici du doigt, hormis les présupposés idéologiques, l’effet d’une myopie dans l’analyse historique.

 

Il est vrai que l’emploi public, civil et militaire, a fait l’objet d’une forte réclame pendant la IIIè République.

 

Mais cette réclame n’est nullement spécifique à la Corse.

 

En réalité, le phénomène est général sur le Continent, c’est la grande époque où l’appareil d’Etat se développe grâce à un système administratif de plus en plus étendu et complexe qui lui même repose sur une fonction publique structurée en corps et en grades.

 

C’est l’époque des « colonisations ministérielles », c’est-à-dire de l’arrivée en masse d’employés originaires des mêmes régions qui se répartissent les ministères, le Sud-Ouest aux PTT, la Corse dans les douanes, la police et les colonies, l’Est aux Armées et au ministère de la Guerre, le Massif Central à l’Instruction Publique, etc.

Exemplaires et solidaires, les  administrateurs corses ?

 

Par administrateurs coloniaux nous entendons aussi bien les officiers que les administrateurs coloniaux, les chefs et sous-chefs de bureaux, l’appareil judiciaire aux colonies, les médecins des hôpitaux militaires ou les représentants du corps enseignants, en bref tous corps constitués qui exercent une autorité à même d’établir un contact avec les populations et de prendre des décisions les concernant.

 

Le rôle des missionnaires pourrait faire l’objet d’une étude spécifique mais s’agissant de l’action des Corses, en particulier, elle n’apporterait rien de bien probant.

 

En revanche, dans les sphères civile et militaire, l’impact corse est net et peut être évalué.

 

Ah ! Encore un beau sujet de contentement pour les chantres d’une colonisation corse exemplaire.

 

Plantons le décor :

oui, les Corses ont été colonisateurs mais ils ont joué un rôle de passeur de culture.

 

Leur spécificité (laquelle ?) les rapproche des peuples colonisés et c’est leur caractéristique là où sans doute les administrateurs provenant des autres régions françaises étalaient leur suffisance et leur incompréhension des réalités locales.

 

Voilà une affirmation de principe qui est souvent appuyée par des considérations sur l’apport corse aux côtés positifs de la colonisation.

 

Sans entrer dans ce débat qui n’est pas notre préoccupation du moment, osons simplement remarquer que les Corses sont sur-représentés dans les contingents coloniaux.

 

Ainsi, entre les deux guerres mondiales, de très nombreux Corses s’établissent dans les colonies pour l’essentiel en Algérie (plus de 100000 Corses), mais aussi en Indochine, en Tunisie, au Maroc, à Madagascar.

 

Si l’on prend en compte toutes les situations professionnelles, la présence corse dans l’administration coloniale, vers 1950, est cinq fois supérieure à celle de la moyenne des Continentaux.

 

Au vu de cette situation, il est aisé de comprendre que l’action des Corses ne peut être que très visible et qu'apparaissent avec plus de netteté les cas de Corses exemplaires dans le cadre de leurs contacts avec les populations colonisées.

 

Dans la moisson d’exemples favorables, il est piquant de constater que beaucoup d’aspects ont un air de déjà vu, bien avant la période des choix personnels difficiles de la Guerre d’Algérie.

 

Ainsi, lorsque certains administrateurs corses proclament leur respect du Coran et des libertés religieuses, se distinguent-ils vraiment des autres administrateurs ou ne font-ils qu’appliquer les instructions ministérielles ?

Dans le droit fil des législations lointaines héritières de l’Empire franco-arabe rêvé par Napoléon III (voir la seconde lettre de l’Empereur à Mac-Mahon – 20 juin 1865). 

Enfin dans le domaine culturel, les Corses sont moins nettement discernables malgré l’action de quelques uns, et tant mieux, puisque ainsi ils échappent à l’accusation de complicité d’un génocide culturel !

 

Jean Nicoli, par exemple, tirera de son séjour au Sénégal jusqu’en 1935, des principes d’éducations adaptés aux Africains, principes qu’il développe dans un livre :

« l’Ecole et la Nation ».

Jean Nicoli est, néanmoins, mieux connu pour son rôle dans la résistance corse et les conditions effrayantes de son exécution par les tortionnaires fascistes italiens.

 Les mots s’usent vite de nos jours.

La mise à toutes les sauces du terme génocide en est un bel exemple.

Voir la déclaration d’Abdelaziz Bouteflika, président de la République algérienne, lors d’une interview à la télévision algérienne le 17 avril 2006, dans laquelle la présence française est accusée d’avoir provoqué « un génocide de l'identité, de l'histoire, de la langue et des traditions algériennes ».

Dans les sites nationalistes sur l’internet, la notion de génocide est tout autant brinqueballée sans respect pour tous ceux qui furent victimes d’authentiques génocides.

De même leur action dans le domaine sanitaire demeure dans le cadre strict des obligations militaires et civiles, sans attitude particulièrement différente de celle des autres Français.

Enfin certains Corses luttèrent contre le fait colonial comme l’avocat Cancielleri en Indochine et l’ex-commis des postes François Vittori à Madagascar.

Citons aussi un Jérôme Zevaco qui soutient le projet Blum-Violette devant le Conseil Général d’Alger ou Laurent Preciozi également partisan de ce plan, mais…

Violette lui-même, ancien Gouverneur d’Algérie, auteur du plan,  n’est pas Corse.

D’autres, enfin, se distinguent dans le camp libéral pendant la guerre d’Algérie mais tous appartiennent à des associations ou des mouvements où militent des Français de toutes origines, ou d’origine pied-noir.

En résumé, le refus de la colonisation n’est pas l’apanage des insulaires qui le devraient à une proximité naturelle avec les autochtones mais d’autres le firent tout autant (et par centaines) voire même s’engagèrent dans la lutte armée, le soutien au FNL indochinois puis plus tard au FLN algérien.

Faut-il encore insister et renvoyer le lecteur aux porteurs de valise ou à certain commissaire politique français du Viet Minh.

Voir le réseau Jeanson de soutien au FLN ou le rôle de Georges Boudarel qui ralliera le VietMinh en 1951, à l’âge de 24 ans, et exercera des fonctions de commissaire politique jusqu’en 1954.

Il est remarquable que les textes qui exaltent une aptitude particulière des Corses à la proximité avec l’autochtone, comme relevant d’une situation particulière, d’un statut intermédiaire, n’avancent aucune preuve de l’aveu même de ceux qui l’évoquent (voir actes et catalogue Corse Colonies)

 

Ainsi, la petite société corse aux colonies n’a fait que reproduire toute la diversité qu’on pouvait constater chez d’autres, à ceci près, que le poids de la micro-société coloniale corse était plus visible mais qu’il reste pour le moins aventureux d’en inférer une capacité particulière des Corses à mieux communiquer avec les autochtones, à être plus humains, à mieux défendre l’idée d’une colonisation positive.

 

De la même manière mais en sens inverse, nombreux sont aussi les cas où ils se rendirent odieux, et où ils furent parfois utilisés aux tâches de répressions dans lesquelles ils montrèrent toute la valeur guerrière qui firent leur réputation.

 

 

Faut-il encore vraiment insister ?

Citons les frères Paul et Jules Cuttoli en Algérie ou bien encore Antoine Colonna du rassemblement Français en Tunisie ou le capitaine Jean Antoine Graziani ou les nombreux membres de l’OAS d’origine corse, même si certains parmi ces derniers retourneront leur engagement contre la marâtre patrie (la France).

 

 

Le satrape en son harem


Intéressons-nous au Corse dans la coloniale, Armée ou administration civile, en faisant abstraction de l’autorité qu’il détient.

En d’autres termes, observons l’agent public corse quelle que soit sa position hiérarchique dans son approche de la réalité coloniale.

On nous dit qu’il eut une meilleure compréhension des peuples sous domination française.

Que vaut une telle affirmation ?

Est-elle gratuite et ne peut être prouvée ?

Veut-elle nous dire quelque chose des relations de la Corse à la France, à la lumière des débats agitant la question corse aujourd’hui ?

L’appréciation du comportement des Corses à l’égard des populations qui leur ont été confiées est dépendante du lieu, du positionnement de l’agent de la coloniale et de la période.

Ainsi s’agissant du lieu, le statut de protectorat comme en Cochinchine, au Maroc ou au Liban ne peut en aucune façon constituer un environnement comparable à celui d’une colonie de plein exercice et de peuplement comme l’Algérie.

Dans le premier cas, un minimum d’égards et de respect d’une légalité autochtone est requis par l’administration française envers tous ses agents.

Ainsi le Maréchal Lyautey, commissaire-résident général du Maroc s’est montré respectueux de la culture locale comme de la dignité des marocains ;

il fut à l’origine de plusieurs lois visant notamment à protéger les centres anciens des grandes villes et, plus significatif, édicta des mesures réglementaires strictes laissant aux autochtones une relative autonomie de décision ou de gestion dans un cadre compatible avec les responsabilités de la France comme état protecteur du Maroc.

Ainsi, il alla jusqu’à interdire aux non-musulmans de pénétrer dans les mosquées. 

Il aura conduit l’administration coloniale et les colons à respecter l’autorité du roi du Maroc tout en rétablissant l’autorité de l'Etat et de l'administration locale, et notamment  l'enseignement et la justice. 

On le voit un lorrain d’origine franc-comtoise pouvait, lui aussi, être compréhensif à l’égard des colonisés.

Tout aussi illustratif est le cas du Général Catroux qui, dès son arrivée auprès du Haut Commissaire au Levant, Henri de Jouvenel, défend l’idée d’accorder l'indépendance réclamée par la Syrie et le Liban, indépendance qui pourrait être complétée par des accords politiques, économiques et culturels étroits avec la France.

Cette proposition reste sans suite mais, nommé membre du Conseil de Défense de l'Empire et commandant en chef et délégué général de la France libre au Moyen Orient en juin 1941, il proclame cette indépendance.

Cependant, pendant cette période du Mandat français, si tout ne fut pas rose, en raison notamment des luttes contre les nationalistes syriens, le pays, soumis à l’autorité d’un haut commissaire français, bénéficia d’un maximum de représentation par le moyen d’une commission administrative héritière de l’ancien conseil du petit Liban de la Montagne, et d’une administration locale maintenue.

Au rebours de ce comportement, des Corses du grand banditisme  investiront l’Indochine dans le cadre de la mise en place de la filière corse de la drogue, tandis que d’autres seront aux avant-postes de la guerre anti-subversive et participent aux répressions de 1936 contre des revendications pour de meilleures conditions de travail dans les plantations.

 

Voir l’aventure d’un Etienne Leandri lié à certains caïds comme Jo Renucci ou Antoine Guerini., in « Les requins », Julien Caumer, Flammarion, 1999.

 

Et de fait, la pression des caoutchoutiers et de la banque d’Indochine, propriétaire d’immenses plantations de caoutchouc rend nécessaire un contrôle policier important.

Les Corses, en Indochine, occupent une part non négligeable des emplois dans les douanes et la police, plus que dans l’administration civile proprement dite.

En Algérie, qui est une colonie de peuplement, les Corses sont moins des colons que des administrateurs, des salariés, des artisans ou des commerçants, et ils partagent les préjugés comme les élans des autres Français d’Algérie.

Que peut-on tirer de cette comparaison des mérites des uns et des autres ?

Que peut-on même inférer des témoignages, lettres et mémoires des Français aux colonies, qu’ils fussent Corses ou Continentaux ?

On y trouvera le pire et le meilleur chez tous.

Au total, et au regard des relations institutionnelles avec les autochtones, les Corses ne se distinguent pas vraiment du reste des agents coloniaux, aussi bien en ce qui concerne les témoignages de respect des populations et des coutumes locales qu’en ce qui concerne l’usage de la contrainte.

Mais qu’en est-il du comportement privé, voire intime ?

Il est de coutume, et les discours sur les Corses aux colonies en sont pleins, d’avancer pour preuve ultime, le commerce amoureux que les Corses n’ont pas hésité à pratiquer outre-mer, dans le respect des coutumes locales et des épousées.

Tout d’abord notons qu’il s’agit des Corses célibataires sauf à promouvoir l’adultère comme garantie d’un colonialisme présentable, en effet certains insulaires comme d’autres agents du continent sont partis avec leur épouse.

En tout état de cause, ils auraient moins hésité que d’autres à contracter mariage sur place, voire à ramener des épouses au village, voilà la grande preuve assénée comme une évidence.

Là encore il faut savoir ce que parler veut dire.

Qu’entend-on par mariage ?

Beaucoup ont vécu en couple mais peu sont revenus avec une femme légitime.

La pratique du concubinage était très répandue dans les colonies mais le sujet reste aujourd’hui toujours tabou.

S’agissant d’un véritable lien matrimonial, les « coloniaux » font des choix différents ;

si certains condescendent à ramener une femme indochinoise, peu reviennent au village au bras d’une Maghrébine ou d’une Africaine musulmane.

Et si les mariages légitimes peuvent parfois se conclure avec des femmes d’Afrique noire animiste ou de Madagascar, ils restent nettement plus nombreux avec des femmes du Sud-Est asiatique. 

Posséder un harem, c’est peut-être mieux comprendre les coutumes locales dans certains pays, est-ce vraiment être un passeur de culture ?

C’est faire passer le bon temps des colonies pour du militantisme tiers-mondiste ! 

 Enfin, sur le fait même et sa mesure :

dans combien de cas le mariage selon les coutumes locales était-il enregistré et l’épousée rapatriée en France ?

Plus globalement, si des Corses se sont mariés outre-mer avec des autochtones qu’en est-il de leur taux de nuptialité comparé à celui des autres régions.

En clair, si l’on dénombre des épouses corses d’origine indigène en plus grand nombre que les épouses indigènes de Continentaux, cela est moins dû à une propension plus grande des Corses à prendre femme « là-bas », et donc démontrer une grande largeur de vue ou un meilleure compréhension de l’Autre, mais tout simplement au fait que les Corses étaient sur-représentés aux Colonies.

Un colon honteux ?


Prenons d’abord conscience que si les Corses sont sur-représentés dans l’Armée et l’Administration coloniale, voire dans l’administration locale, ils ne le sont pas parmi les colons.

Comme dans le cas des agents coloniaux mais de façon encore plus marquée, il est tout à fait impossible de proposer un indicateur à la fois fiable et exhaustif relatif aux comportements pouvant prouver un rôle d’intermédiation entre le statut du colonisé et celui du colonisateur.

S’agissant du colon au sens strict du mot, il ne faut pas se voiler la face, sa fonction économique est réduite à celle de l’exploitation de la rente foncière recherchée là-bas parce que moins onéreuse.

Et ce rôle tout à fait habituel sous toutes les latitudes et en tout temps du colonat ne laisse aucune place à une quelconque spécificité corse d’un colon passeur de culture. 

Sans doute, toute recherche historique dans ce domaine est-elle parcellaire, les données restant très pauvres et partielles, voire dissimulées comme celles relatives aux relations sexuelles avec les autochtones.

Ainsi, jusqu’à aujourd’hui, les sources privées constituent l’essentiel des traces du rôle des agents coloniaux et des colons, et ces sources sont dispersées soit dans les archives de particuliers, lettres, photographies, plus rarement mémoires ou cahiers, soit dans les archives ou les annuaires voire les revues ou les lettres de liaison des Amicales corses fort nombreuses dans les territoires.

 

 


La sociabilité coloniale ou le foyer colonial corse


Les Corses peuvent être des colonisateurs, certes, mais pas des pionniers.

 

Ils sont peu enclins à envisager la rupture complète avec l’île, c’est une caractéristique qu’ils partagent avec les autres Français.

 

En Algérie qui fut la seule véritable colonie de peuplement, jusqu’au moment de l’indépendance, les Pieds-Noirs d’origine française gardaient des contacts avec les familles de métropole et sur un million de Pieds-Noirs, une grande partie n’était même pas originaire de la Métropole  ;

Si les immigrés de nationalité française étaient majoritaires, les étrangers représentèrent toujours une part importante jusqu'à atteindre la quasi parité au recensement de 1886.

Après la loi de naturalisation qui intervint trois ans plus tard, leur nombre diminuera rapidement, néanmoins on peut évaluer la composition de la population pied-noire d’origine non française à la veille de l’indépendance à quelques 350000 en provenance plus ou moins lointaine des différents pays d’Europe mais surtout Espagne et Italie, 150000 juifs algériens, le reste d’origine maltaise.

enfin, le mouvement migratoire vers l’Algérie a été toujours encouragé, parfois provoqué comme en 1848-1852 en éloignant des indésirables ou en 1871 avec la réinstallation d’Alsaciens-Lorrains, mais n’a jamais été le résultat d’un mouvement d’émigration de masse comme les 8 millions d’Irlandais et d’Anglais migrant aux Etats-Unis après les famines du XVIIIè siècle. 

 

Les Français partent donc, mais partent en retournant fréquemment la tête.

 

Ce sont parfois des pionniers, mais des pionniers nostalgiques.

 

De ce point de vue, les Corses caricaturent la manière d’être française.

 

Les retours au village rythment la vie coloniale autant que les moyens de transport de l’époque le permettent de même que beaucoup reviennent prendre leur retraite sur l’île.

 

De toutes les manières, administrateurs, gens de la ville ou colons, tous gardent un contact avec la Corse par le moyen des correspondances et des bulletins des amicales.

 

Le phénomène amicaliste corse va prendre un tel essor qu’il est devenu un archétype du souvenir colonial.

 

Mais c’est aussi et surtout un phénomène qui n’est pas le fruit du hasard.

 

En réalité, tout autant que l’impossibilité de la rupture avec les origines, il constitue la laisse que les notables mettent au cou de leur obligé, le jeune Corse à qui l’on a trouvé un emploi.

 

Ces amicales qui foisonnent tant sur le continent qu’aux Colonies sont un moyen de contrôle social des expatriés autant qu’un moyen de circulation de l’information au gré des mutations ou des permissions.

Enfin vient le temps du retour !

Le retour des agents de la colonie, une fois l’âge de la retraite atteint, est plus qu’une nostalgie, c’est une attente.

C’est dire que la destination des colonies n’a jamais représenté dans la mentalité des insulaires une planche de salut, un nouveau départ sans esprit de retour.

Le système clanique, reposant sur la reproduction de la classe des notables, fonctionne à plein régime avec de jeunes pousses villageoises que l’on transplante en terreau colonial pour y faire carrière (et non pour y être véritablement pionnier) et revenir grossir les rangs des obligés voire devenir notable à son tour dans le même cercle de soutien familial ou de phratrie.

Enfin le passage aux colonies est un investissement pour un retour glorieux au village qui profite à l’intéressé puisque, fort de son expérience et de sa formation, il peut faire profiter la communauté villageoise des savoir-faire acquis outre-mer mais aussi accéder à des responsabilités locales, finir par devenir maire et donc exercer à son tour la fonction de parrainage.

Ce système de clientélisme administratif et politique se grippe soudain avec la chute de l’Empire colonial, et donc la disparition des « places ». 

La Corse redevient une petite île, qui ne peut réellement se suffire à elle-même.

En outre, on le verra, l’identification à la France devient moins facile et moins prestigieuse.

Le sentiment d’une trahison, notamment chez les rapatriés d’Algérie, n’est pas le moindre facteur de ce recul de l’identification, trahison double, celle de la Grande Nation qui rétrécit avec la perte de son Empire et qui fait rétrécir la Corse, mais aussi trahison du pacte non dit entre les notables et l’appareil administratif, pacte qui donnait des emplois contre des recrues.


 

Source : © Les Plumes du Paon.

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