Robert Antelme publie L’Espèce humaine en 1947, deux ans après sa sortie du camp de Dachau. / Marc Foucault/Gallimard.

Robert Antelme publie L’Espèce humaine en 1947, deux ans après sa sortie du camp de Dachau. / Marc Foucault/Gallimard.

ROBERT ANTELME : L'homme n'est rien d'autre qu'une résistance absolue, inentamable, à l'anéantissement..

Né le 5 janvier 1917 à Sartène en Corse. Corse par sa mère, une Rocca Serra.

Étudiant en lettres et en droit à Paris en 1936, Robert Antelme a rencontré Marguerite Duras qu’il épouse en 1939.

Leur premier enfant, un garçon, meurt à la naissance en 1942.

En 1943, le couple entre dans le Mouvement de résistance des prisonniers de guerre et déportés (MRPGD) dirigé par ­François Mitterrand.

La même année Marguerite Duras fait la connaissance de Dionys Mascolo qui devient son amant.

Pendant l'Occupation, Marguerite Duras et Robert Antelme sont membres de la Résistance.

Leur groupe tombe dans un guet-apens, Marguerite Duras réussit à s'échapper aidée par Jacques Morland (nom de guerre de François Mitterrand), mais Robert Antelme est arrêté le et envoyé à Buchenwald par le convoi I. 265, dernier en partance du camp de Royallieu (Frontstalag 122) à Compiègne le 17 août 1944.

Puis il est conduit à Bad Gandersheim, un petit kommando dépendant de Buchenwald, où il est logé dans une ancienne église désaffectée, à proximité d'une usine.

À la fin de la guerre, en avril 1945, François Mitterrand retrouve Robert Antelme dans le camp de Dachau, épuisé et miné par des mois de détention dans des conditions très dures (il souffrait du typhus), et organise son retour à Paris.

Marguerite Duras a tiré de cette époque hors norme un récit intitulé La Douleur.

Robert Antelme a publié sur les camps un livre de grande portée, L'Espèce humaine, en 1947.

Le livre est dédié à Marie Louise, sa sœur morte en déportation.

Robert Antelme y montre des déportés qui conservent leur conscience face aux « pires cruautés humaines ».

Les hommes qu'il décrit, réduits à l'état de "mangeurs d'épluchures", vivent dans le besoin obsédant mais aussi dans la conscience de vivre.

Robert Antelme fonda, en 1945, avec Marguerite Duras, les éditions de la Cité Universelle.

Le couple divorça en 1946, mais ils travaillèrent encore ensemble, comme en 1959 où, à la demande de Raymond Rouleau, il adapta, avec Marguerite Duras, Les papiers d'Aspern, pièce de Michael Redgrave, d'après une nouvelle de Henry James.

Après la guerre, il continue donc un travail discret dans les milieux littéraires, collabore aux Temps modernes et milite au Parti communiste français, dont il est exclu en 1956, après la répression par les troupes du pacte de Varsovie de l'insurrection de Budapest.

Pendant la guerre d'Algérie, Robert Antelme est signataire du Manifeste des 121.

Immobilisé à partir de 1983 par un accident cérébral-vasculaire, Robert Antelme meurt le 26 octobre 1990.

Survivant de l’indicible

De retour d’une année dans un Kommando de Buchenwald, Robert Antelme a livré avec L’Espèce humaine un récit fort qui va bien au-delà du témoignage individuel.

En avril 1945, lorsque se rapprochent les Alliés, les nazis achèvent les plus faibles et entraînent les autres, dont Robert Antelme, dans une marche forcée de dix jours.

Les déportés passent ensuite treize jours enfermés dans un wagon de marchandise qui les conduit à Dachau où ils arrivent le 27 avril.

Deux jours plus tard, les Américains entrent dans le camp et découvrent l’indicible : cadavres dans les caniveaux et partout dans les baraquements des hommes squelettiques, dont beaucoup continueront à mourir dans les jours et les semaines qui suivent.

En raison du typhus, les déportés sont maintenus en quarantaine dans le camp.

En mai 1945, Robert Antelme est méconnaissable, la peau grise, 38 kg, malade du typhus.

Son ami Dionys Mascolo le retrouve dans le camp de Dachau parmi les déportés, morts et survivants :

« Je n’ai reconnu Robert qu’à l’espace qui séparait ses deux incisives supérieures », expliquera-t-il.

Commence un long retour à Paris en voiture.

« Il se sentait menacé de mort et il voulait peut-être en dire le plus possible avant de mourir. Jour et nuit, il n’a pas cessé de parler. C’étaient les prémices de L’Espèce humaine. »

Cet unique ouvrage de Robert Antelme est une œuvre clé dans la littérature concentrationnaire, au même titre que Si c’est un homme de Primo Levi, Les Jours de notre mort de David Rousset ou Le Grand Voyage de Jorge Semprun.

 
L’urgence du récit

Membre du gouvernement provisoire, François Mitterrand est chargé par le général de Gaulle de participer au nom de la France à l’ouverture de quelques camps.

À Dachau, une voix l’appelle.

C’est ­Robert Antelme.

Comme on lui refuse de le ramener en France, il rentre à Paris, établit des faux papiers qui permettront à Dionys ­Mascolo d’organiser son retour.

Très vite, Robert Antelme s’attelle à son récit qui dépasse le témoignage pour offrir une réflexion essentielle sur la condition humaine.

« Je rapporte ici ce que j’ai vécu, écrit-il dans l’avant-propos. L’horreur n’est pas gigantesque. Il n’y avait à Gandersheim ni chambre à gaz, ni crématoire. L’horreur y est obscurité, manque absolu de repère, solitude, oppression incessante, anéantissement lent. »

Malgré l’avilissement et la mort, les nazis ont échoué fondamentalement dans leur projet de nier à leurs victimes la qualité d’appartenir à l’humanité, explique-t-il :

« Le ressort de notre lutte n’aura été que la revendication forcenée, et presque toujours solitaire, de rester, jusqu’au bout des hommes. »

La « décision douloureuse de ne plus écrire »

Dédié à sa sœur morte en déportation, son récit, dénué de plainte et de haine, retrace avec précision ces mois de détention et analyse avec intelligence les relations entre déportés, kapos, nazis et civils croisés à l’usine.

En 1947, Robert Antelme publie L’Espèce humaine à La Cité universelle, la maison d’édition qu’il a fondée avec Marguerite Duras.

Son livre qui rencontre peu d’échos sera réédité dix ans plus tard par Gallimard.

Critique à l’ORTF et éditeur, Robert Antelme mène une vie d’intellectuel engagé, notamment contre la guerre d’Algérie.

Hormis quelques poèmes, il paraît avoir pris la « décision douloureuse de ne plus écrire », a expliqué Jean-Louis Schefer.

« La relation qu’il avait faite de quelque chose qui dépasse l’imagination comme il le dit lui-même en préambule à L’Espèce humaine, a précisé Dionys Mascolo, fait que recourir ensuite à l’imagination lui a sûrement semblé dérisoire. »

Atteint d’hémiplégie en juin 1983, Robert Antelme passe les sept dernières années de sa vie paralysé et hospitalisé – « une autre prison », dira son ami le poète Claude Roy.

Il meurt le à Paris.

 

Robert Antelme en quelques dates :

5 janvier 1917. Naissance à Sartène en Corse.

1943. Entrée dans la Résistance.

1er juin 1944. Arrestation par la Gestapo.

Mai 1945. Retour d’Allemagne.

1947. Publication de L’Espèce humaine aux Éditions de la Cité universelle.

1951. Critique à l’ORTF (jusqu’en 1960). Lecteur pour l’« Encyclopédie de la Pléiade » des Éditions Gallimard (jusqu’en 1981).

1955. Cofondateur du Comité d’action contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord.

1957. Réédition de L’Espèce humaine aux éditions Gallimard.

1983. Attaque cérébrale qui le laisse paralysé.

26 octobre 1990. Décès.

Le dérisoire acte d’écrire après le récit de Buchenwald.

UNE VIE, UN CHEF-D’ŒUVRE UNIQUE.

Robert Antelme et L’Espèce humaine.

 

Source : Article de

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