MARS 1942 : LES JUIFS CORSES SAUVÉS PAR UN PASSEPORT TURC.

C'était en mars 1942. Beli Arbel exerçait alors les fonctions de Consul général de Turquie à Marseille.

« Il fait le voyage depuis Marseille jusqu'à Ajaccio en hydravion, un petit appareil. Il disparaît le matin en voiture et rentre le soir. Sa tournée doit rester discrète. Dans sa serviette, des passeports vierges à l'intention des Juifs de Corse qui devront faire l'objet d'une mesure de comptage par les autorités de Vichy. Sinistre besogne qui présage un départ sans retour pour l'Allemagne. Or, du fait que la Turquie reste neutre dans le conflit, les Juifs devenus citoyens turcs par naturalisation se retrouvent de facto « immunisés » par ce passeport dûment délivré par le consulat général de Marseille dont dépend la Corse, et par voie de conséquence, sauvés de la déportation qui s'intensifie depuis 1941. L'opération s'avère délicate. Ankara est au courant, « mais ne connaît plus personne si l'affaire tourne mal ».

Les deux représentants de la République, le préfet de la Corse Paul Balley à Ajaccio et à Bastia le sous-préfet Pierre-Henry Rix, prêtent leur concours attentif.

Pïerre-Henry Rix confirme la naturalisation des Juifs de Corse au cours d'entretiens qu'il a eus en 1947 avec le Général de Gaulle à La Boisserie. Il écrit : « Je lui ai raconté comment, grâce au chargé d'affaires permanent de Turquie à Vichy, M. Bedi-Arbel, dans l'après-midi du 21 mars 1942, tous les Juifs de mon arrondissement furent dotés de la nationalité turque… Ainsi, quelques semaines plus tard, l'envoyé de Vichy pour les affaires juives repartait bredouille. »

Pierre-Henry Rix et Beli Arbel étaient devenus amis entre un repas à Saint-Florent et une balade dans le Cap Corse. Dans son journal, le sous-préfet de Bastia indique qu'il avait fait part au Consul de Turquie de « certaines menaces » pesant sur les Israélites de son arrondissement.

Tous les Juifs de la région de Bastia deviennent ottomans

« Je ne sais plus qui de nous en a eu l'idée, mais quand en fin d'après-midi, après avoir fait le tour par Pino et Luri, je le dépose à l'hôtel Ile de Beauté en face de la gare de Bastia, je lui ai cédé tous les Israélites de mon département, qui vont être déclarés sujets ottomans et qui échapperont à ce titre aux mesures vexatoires dictées par Vichy. »

Le sous-préfet ne donne pas le nombre de ces vies qui en Corse ont sans doute été ainsi épargnées.

Dans la seule région de Marseille, le chiffre de 20 000 passeports est avancé. Le consul Beli Arbel disposait également de laissez-passer turcs pour traiter les cas les plus urgents. Il était temps.

En juillet 1942 le régime nazi déclenche l'opération « Vent printanier » une gigantesque rafle dans plusieurs pays européens dont la France. Dans la seule ville de Paris, 13. 000 Juifs seront arrêtés. Le 11 novembre 1942, Hitler déclenche l'opération Anton. La zone libre est envahie. Au matin du 12 novembre Beli Arbel découvre avec stupeur « des voitures allemandes immatriculées WWH stationnant devant sa porte ». La guerre vient brusquement de franchir la ligne de démarcation.

Pour autant, grâce à ces vrais- faux passeports portant le sceau officiel de la Turquie et avec l'aide de l'administration française, la Corse n'a pas livré ses Juifs, contournant ainsi d'habile façon les lois de Vichy. Car « celui qui sauve une vie sauve l'humanité tout entière. »

Texte : Corse Matin. Photo : Bastia rue Castagno, où est situé la synagogue.

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