Édouard Detaille, Bonaparte pendant le siège de Toulon , musée de l’Armée

Édouard Detaille, Bonaparte pendant le siège de Toulon , musée de l’Armée

A NAPOLEON :  LE CINQ MAI. 

POEME DE ALESSANDRO MANZONI – IL CINQUE MAGGIO -1821.


Il fut. Comme immobile,
dans son dernier soupir,
un corps sans mémoire
sans la force de tant d’esprit,

laissant abattue, stupéfaite
la terre à cette annonce,
pensant à la dernière
heure fatale de cet homme ;

ne sachant si une telle
empreinte de mortel
sa poussière sanglante
viendra fouler.

Quand il éblouissait sur son trône
mon esprit le vit et resta silencieux ;
 quand, par un sort assidu,
il tomba, à l’agitation et à l’émoi,

aux mille voix venimeuses
jamais je ne mêlai la mienne :
ni à l’éloge servile
ni à la lâche indignation,

après ce long essor subitement
tant de lumières se sont éteintes ;
et un cantique se diffusa de l’urne
qui peut-être jamais ne mourra.

Des Alpes aux Pyramides,
du Manzanares au Rhin,
avec quel assurance la foudre
suivait la lumière de l’éclair ;

Eclatant de Scylla à Tanaïs [Le Don],
de l’une à l’autre mer.
Était-ce la véritable gloire ? À la postérité
la difficile sentence : nous

inclinons le front devant le Grand
Maître, qui voulait
par l’ingéniosité de son esprit
marquer d’une empreinte plus vaste.

La tempêtueuse et fervente
joie d’un grand dessein,
l’anxiété d’un cœur indocile
qui sert, en pensant au royaume ;

et il y parvient, et trouva la récompense
qu’il était insensé d’espérer ;
éprouvant tout : la gloire
si majestueuse après le péril,

la fuite et la victoire,
le règne et le triste exil ;
deux fois dans la poussière,
deux fois sur l’autel.

Il s’est nommé : deux siècles,
l’un contre l’autre armé,
soumis à lui, se tournèrent,
comme s’il attendait le destin ;

et lui, silencieux, arbitre
assit au milieu d’eux.
Et il disparu, et ces jours oisifs
s’enferma en ces étroits rivages,

réceptacle d’une immense envie
d’une profonde pitié,
d’une haine inextinguible
et d’un indomptable amour.

Comme sur la tête du naufragé
la vague s’enroule et le coule,
la vague sur laquelle le malheureux,
s’élevant au-dessus d’elle,

lui, discernait de sa longue vue
vainement les braves loin de lui ;
ainsi sur cet âme, une multitude
de souvenirs descendit.

Ah combien de fois à la postérité
il narra lui-même son entreprise,
et sur les pages éternelles
l’homme fatigué s’écroula !


 

Ah combien de fois, en silence
dans la fin inerte du jour,
s’inclinaient ses puissants rayons,
les bras croisés,

il se posait, et les jours passés
revenaient dans sa mémoire !
Et il pensait à toutes ces multiples
campements, aux vallées traversées,

aux éclatantes armures,
 aux flots de cavaliers,
à l’empire bouillonnant
et au commandement éclatant.

Hélas ! peut-être sur une telle agonie
sur son esprit nostalgique s’est abattue,
qui le désespéra ; mais puissante
vint une main du ciel,

et vers des airs moins viciés
il se trouva transporté ;
et suivit les florissants
sentiers de l’espérance,

vers les champs éternels, vers cette récompense
qui devance les désirs,
où règne le silence et l’obscurité
de la gloire qui passa.

Belle immortelle ! charitable
Foi aux triomphes habitués !
Ecris encore ceci, sois heureux ;
quelle hauteur plus superbe

vers le déshonneur du Golgotha
jamais ne se pencha.
Des cendres fatiguées
écarte cette parole :

le Dieu qui terrasse et ressuscite,
qui précipite et qui console,
sur ce lieu désert
à côté de lui posa.
 

Alessandro Manzoni par Francesco Hayez

Alessandro Manzoni par Francesco Hayez

ALESSANDRO MANZONI
 7 mars 1785 à Milan — 22 mai 1873 à Milan.

Traduction Jacky Lavauzelle

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