IDLIB : LA POUDRIÈRE SYRIENNE
IDLIB : LA POUDRIÈRE SYRIENNE

Engluée dans une grave crise économique en raison des sanctions occidentales, la Syrie doit faire face à une recrudescence des tensions dans la province d’Idlib.

La guerre est loin d’être terminée et ce à cause des intérêts contradictoires des différents belligérants. 

Dans un jeu complexe de billard à 3 bandes, Syriens, Russes et Turques s’opposent, s’affrontent militairement et parfois délibèrent pour imposer un cessez le feu, au détriment une fois de plus de la situation humanitaire.

Dernièrement, des combats ont eu lieu dans la province d’Idlib entre forces syriennes et forces turques, risquant de dégénérer en un conflit entre les deux pays.

Fidèle à sa stratégie, Vladimir Poutine tempère et se pose en médiateur.

La reconquête totale du territoire par l’armée syrienne

Acculée et cantonnée aux environs de Damas et au littoral syrien en 2014-2015, l’armée syrienne et ses alliées russes et iraniens ont depuis repris et sanctuarisé les ¾ du territoire syrien.

Reprenant parcelle de terrain par parcelle de terrain, les troupes de Bachar Al-Assad aidées par l’aviation russe et l’appui des milices iraniennes ont libéré les principales villes du pays de l’emprise djihadiste (Homs en 2014, Alep en 2016).

Permettant de désenclaver la province d’Alep, la libération de la ville d’Idlib est stratégique pour Damas.

De plus, la récente reprise de la localité de Saraqeb permet de rejoindre Alep par l’axe autoroutier M5.

Dans son allocution à la chaîne nationale syrienne Sana, Bachar Al-Assad a rappelé et martelé que la reconquête totale du territoire syrien était une condition sine qua none pour la fin du conflit.

De ce fait, la récupération de la province d’Idlib est un leitmotiv pour l’armée gouvernementale syrienne.

Dernier bastion djihadiste présent en Syrie, Idlib regroupe un ensemble de mouvances terroristes affiliées à différents groupes (Hayat Tahrir Al Cham, parti islamique du Turkestan, Front national de libération…). 

Comme le précise Fabrice Balanche, géographe et spécialiste de la Syrie, il ne faut pas minorer le fait djihadiste à Idlib.

En effet, les principaux médias occidentaux omettent délibérément et consciencieusement de mentionner qu’à Idlib se trouve les anciens djihadistes de Daesh et d’Al-Qaeda, financés par les monarchies du Golfe, armés par l’Occident et aidés par la Turquie.

Le traitement de l’information est focalisé sur la crise humanitaire afin d’incriminer une fois de plus Damas et Moscou. 

Aujourd’hui deux visions des relations internationales s’opposent.

D’un côté, la realpolitik russo-syrienne qui consiste à éliminer entièrement la menace terroriste.

De l’autre, la logique néoconservatrice occidentale qui se traduit par un alignement quasi-systématique sur la politique américaine, visant à évincer Bachar Al-Assad, quitte à aider financièrement et logistiquement les groupes djihadistes.

La politique néo-ottomane d’Erdogan 

Après avoir dominé le Moyen-Orient pendant 4 siècles, la Turquie est aujourd’hui soucieuse de renouer avec son passé glorieux.

La politique panturquiste (rassembler toutes les populations d’origine turque au sein même de la Turquie) est aujourd’hui visible.

Les nombreuses incursions militaires turques depuis 2016 en Syrie et en Irak sans l’aval des gouvernements concernés consistent à contrôler des territoires stratégiques.

Alep, Raqqa et Idlib en Syrie ou encore Mossoul en Irak représentaient les joyaux culturels de l’Empire ottoman et formaient un glacis protecteur en territoire arabe.

Ainsi pour Erdogan, plus qu’une volonté d’ingérence politique, il s’agit de reformer et de récupérer des anciennes villes clés de l’Empire déchu. 

En effet depuis la décennie 2010, la Turquie souhaite construire une politique arabe basée sur les échanges commerciaux.

Après avoir vainement tenté de créer en 2010 une zone de libre échange « Shamgen » avec les pays du Levant (Jordanie, Syrie, Liban), le Président turc, Recep Tayyip Erdogan se pose en héraut du monde sunnite.

Il utilise l’islam politique à des fins de politique régionale.

De fait, dès 2011, il défend les « printemps arabes » et  n’hésite pas à se rapprocher des milieux djihadistes en ouvrant ses frontières avec la Syrie et en les soutenant militairement. 

Les interventions turques en Syrie sont dictées par diverses motivations politico-idéologiques.

Dans un premier temps, il s’agit de contenir et d’annihiler les forces kurdes présentes à la frontière turque.

Le sempiternel problème kurde sert de prétexte à la logique néo-ottomane d’Erdogan pour s’immiscer durablement dans le règlement du conflit en Syrie.

De surcroît, la Turquie se dresse en défenseuse de la cause des réfugiés auprès d’un Occident impuissant.

Suivant sa vision, la chute d’Idlib entraînerait un afflux massif supplémentaire de réfugiés syriens en Turquie et en Europe.

La présence avérée des forces turques dans la province d’Idlib résulte des pourparlers de Sotchi et d’Astana.

En effet, une douzaine de postes d’observations turcs quadrillent la région d’Idlib et de fait, protège la présence djihadiste en Syrie.

En raison de leurs intérêts contradictoires, des accrochages ont fait plusieurs morts au sein des armées syriennes et turques non loin de la localité de Saraqeb.

Dernièrement, Erdogan a envoyé des troupes et des véhicules blindés supplémentaires, tout en menaçant ouvertement Damas de guerre frontale et ordonnant à la Russie de se tenir à l’écart des récents affrontements.

La Russie : arbitre et médiateur des affrontements

Partisane d’une entente avec toutes les parties prenantes, la Russie de Vladimir Poutine entretient des relations aussi bien avec la Syrie de Bachar Al-Assad qu’avec la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. 

Depuis septembre 2015, Moscou est le premier soutien de Damas.

L’aviation russe et les forces spéciales au sol ont aidé les troupes syriennes à récupérer plusieurs villes.

Sans l’aide russe en 2015, la Syrie et le Liban seraient tombés sous le joug de l’État islamique.

La reprise d’Idlib répond à un impératif russo-syrien, à savoir l’annihilation de toute menace djihadiste. 

La bataille d’Idlib oppose donc l’armée de Bachar Al-Assad aidée par la Russie aux djihadistes soutenues et armées par la Turquie.

Pour autant, ni la Russie ni la Turquie n’ont intérêt à rompre leurs liens diplomatiques.

Les deux pays collaborent et commercent dans de nombreux domaines.

Le montant des échanges bilatéraux s’élève à 25 milliards de dollars.

Moscou et Ankara nouent également des relations dans le secteur gazier.

Dernier grand événement en date, l’inauguration à Istanbul du gazoduc turco-russe « Turkish Stream », alimentant en gaz l’Europe via la mer noire. 

La Russie est maître de la situation en Syrie.

Elle orchestre les discussions politiques, dialogue avec tous les acteurs, arbitre les contentieux, bombarde quand nécessaire les positions djihadistes, tempère les ardeurs occidentales et impose sa vision et logique du conflit.

La question qui se pose après les récents accrochages entre Ankara et Damas, est de savoir si ceci restera sans conséquences ou s’avèrera être un dangereux tournant ?

Moscou doit user de son « savoir-faire » diplomatique pour mettre fin à cette escalade.

Quant à eux, la Turquie et les occidentaux doivent renoncer à leurs ingérences.

En faisant le choix d’armer et de soutenir les djihadistes, ils ont d’ores et déjà perdu toute crédibilité politique.

Tôt ou tard, la ville d’Idlib sera reprise par les forces armées syriennes et leurs alliées.

La Turquie devra renoncer à sa politique expansionniste et interventionniste. 

 

 

Analyste géopolitique du Moyen-Orient et passionné par l’histoire régionale.

Source : Mon Orient.

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