«La désinstruction nationale: une non-assistance à une jeunesse en danger»
«La désinstruction nationale: une non-assistance à une jeunesse en danger»

Le professeur de philosophie René Chiche dénonce la responsabilité des institutions éducatives qui ont façonné, à travers des réformes incessantes, une école française qui n’instruit plus.

 
- Il fut un temps, pas très lointain d’ailleurs, où l’on quittait l’école en sachant convenablement lire et écrire, c’est-à-dire où l’école instruisait.
 
On entre aujourd’hui à l’université en sachant à peine lire et en ne sachant pas du tout écrire. C’est un fait. Et cela est proprement stupéfiant.
 
Comment peut-on tolérer que des générations entières passent une quinzaine d’années sur les bancs de l’école et parviennent jusqu’aux portes du supérieur en maniant leur propre langue comme s’il s’agissait d’une langue étrangère?
 
Ce n’est d’ailleurs même pas assez dire pour qualifier le charabia dans lequel sont écrites la plupart des copies que je lis.
 
Il y a toujours eu un petit nombre de très mauvaises copies comme de très bonnes mais désormais les copies indigentes à tout point de vue constituent la grande majorité des copies, au point qu’on juge bonnes des copies qui étaient hier seulement médiocres.

Pour qu’on comprenne bien que je ne suis pas en train de hurler à la catastrophe à cause de quelques fautes d’orthographe ou de quelques perles qu’il est si facile d’exhiber mais dont on ne peut en réalité tirer aucune conclusion, j’ai pris la peine de donner un échantillon représentatif de ces copies dans le premier chapitre, lui-même intitulé «bac à l’oréat» parce que c’est ainsi que je l’ai vu écrit une fois sur l’en-tête d’une copie d’examen.

J’aurais pu en remplir dix volumes.

Ceux qui liront cet échantillon comprendront alors immédiatement ce qu’est la «désinstruction»:

lorsque l’institution censée prendre soin de l’esprit des jeunes gens les laisse dans un tel état de quasi-illettrisme tout en leur promettant «la réussite» matin, midi et soir, je crois que ce néologisme n’est même pas assez fort pour décrire ce qui est de la non-assistance à jeunesse en danger, affamée de lettres et de culture que l’école renonce à transmettre parce qu’un grand nombre des acteurs considère que ce sont des vieilleries inutiles.

L’école n’instruit plus et laisse l’esprit en jachère.

À défaut de savoir, on apprend par cœur des cours auxquels on ne comprend strictement rien.

Le problème, ou plutôt le scandale, est qu’on a interdit de dévoiler la réalité aussi bien que l’ampleur de cette désinstruction.

Tous ceux qui osent soulever un coin du voile se font immédiatement rappeler à l’ordre par quelque colonel de pensée veillant à l’orthodoxie en la matière.

«Les jeunes de maintenant savent d’autres choses», dit-on. Ils ont «d’autres compétences». Ah bon? Parce que la dextérité dans la manipulation du clavier virtuel serait une «compétence»?

L’aptitude à baragouiner la langue de Shakespeare compenserait l’incapacité à manier passablement celle de Molière?

Bien sûr que non!

Ce sont des fadaises, et j’ai écrit ce petit livre pour qu’on cesse une bonne fois de nous les servir et qu’on ait enfin le courage de regarder la réalité en face.

La langue est l’instrument de toute connaissance, y compris et surtout l’instrument de la connaissance de soi.

On ne peut rien savoir vraiment quand le moyen de la compréhension n’est pas maîtrisé.

À défaut de savoir, on apprend par cœur des cours auxquels on ne comprend strictement rien, comme je le relate par des anecdotes dont j’aurais pu là encore remplir plusieurs volumes.

Or, entre croire et savoir, il faut choisir.

Quand penser devient de plus en plus difficile pour les élèves (par manque de mots, de concepts), quelles sont les conséquences à venir pour ces futurs citoyens?

Penser n’est pas difficile pour les élèves, penser est interdit.

Vous savez, penser est difficile et le demeure, même pour des penseurs professionnels!

Car «penser, c’est dire non!»:

non à la première idée qui se présente, non à la facilité, non à l’habitude et ainsi de suite.

Il ne s’agit donc pas que penser devienne facile.

Il est si facile de se contenter d’à-peu-près.

Or savoir à peu près lire, c’est en réalité ne pas savoir lire.

Et ainsi du reste: penser approximativement, c’est adhérer à un discours et réagir à des mots comme un taureau devant le chiffon rouge.

René Chiche est professeur agrégé de philosophie au lycée, vice-président d’Action & Démocratie, représentant CFE-CGC et membre du Conseil supérieur de l’éducation.

Il vient de publier La désinstruction nationale(éditions Ovadia, 2019).

Source : Le Figaro Vox. 

FREDERICK FLORIN/AFP
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