© Jean-Pol Grandmont

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CORSE :
LE PIN LARICIO S'ACCROCHE À SES RACINES.

Symbole de la végétation corse, l'espèce endémique souffre des épisodes de sécheresse de plus en plus répétés.

De nombreux acteurs s'organisent pour préserver ce résineux et le riche écosystème qui gravite autour de lui.

On le reconnaît à ses écailles gris-argenté.

A sa rectitude, qu’on croirait presque chatouiller les nuages.

A ses aiguilles, longues, souples et d’un vert émeraude.

Le pin laricio est l’un des emblèmes de la Corse.

Une espèce endémique de l’île de Beauté.

Comprendre, qu’on ne le trouve nulle part ailleurs.

En tout cas, pas à l’état naturel.

Pour l’observer, on s’est rendu dans la forêt de Vizzavona (prononcez Vizzavone).

Pointez votre doigt et visez le milieu de la carte.

C’est là.

On aura d’abord frôlé la végétation, puis la caillasse et le vide, avec parfois même la sensation de voler.

Grisant ou flippant.

Le trinichellu, petit tchou-tchou à deux wagons qui traverse le territoire en biais, est de ceux qui donnent envie de zapper la voiture.

A l’arrivée, dans le troquet de la petite gare, ça jacasse. 

«A Palombaggia, c’est un scandale, il y a trop de constructions. On fait tout pour le balnéaire, mais la Corse, c’est une montagne dans la mer !» 

Selon l’expression consacrée du géographe allemand Friedrich Ratzel.

Cette montagne-là abrite 150 000 hectares de forêts publiques dont 50 000 appartiennent à la collectivité de Corse.

Unique en France.

C’est le cas de Vizzavona.

En tout, privé et public confondus, ça donne 25 000 hectares de laricio, 32 000 de pin maritime et 138 000 de chêne vert, les trois principaux peuplements de l’île.

«On a du bois mais on n’a pas d’acheteurs»

Sur place, cinq agents de l’Office national des forêts (ONF) nous accueillent chaleureusement.

Au cours de la discussion, ça blague, ça rit.

Ça magagne, comme on dit. 

«Toi, tu vas finir dans les Ardennes !»

Il y a notamment Germain Paolacci, technicien forestier depuis 23 ans.

Toujours là, au même endroit.

Au milieu de ces pins enchanteurs.

Il met en œuvre les travaux sylvicoles et de débroussaillages, surveille les départs de feu mais aussi les touristes.

 «Certains fument ou font cuire des merguez et c’est dangereux.» 

Tous se souviennent encore du grand incendie (criminel) de 2000 qui a dévasté le col de Sorba, tout proche de Vizzavona dont 40 hectares ont brûlé.

La végétation encore fragile commence à peine à reprendre ses droits, dix-neuf ans après.

On remarque même quelques laricio rescapés, ici ou là, un peu comme des mikados. 

«On a abandonné la replantation artificielle [en partie financée par le mécénat, notamment de Total, ndlr] au profit d’une régénération naturelle qui nous semble plus efficace», entonne Claire Vescovali, responsable de l’unité territoriale Vivario/Corte et seule femme de la petite équipe.

 

Problème : le pin maritime à l’écorce rougeoyante, principal compétiteur du laricio, est une essence colonisatrice, surtout post incendie.

Il pullule. 

«Sa graine germe directement contrairement à celle du laricio dont la semence peut parfois mettre cinq à dix ans pour pousser, ajoute-t-elle. Alors on l’aide un peu.» 

On l’a compris, l’heure est à la préservation et la perpétuation du laricio.

Au-delà du symbole fort, on lui reconnaît de nombreuses qualités.

Le résineux est très résistant à la sécheresse.

C’est également un bois d’œuvre recherché.

Pourtant, il ne s’en vend presque plus. 

«On a du bois mais on n’a pas d’acheteurs et la filière a capoté», s’attriste Jean-Jacques Lombardini, commercial chez l’ONF, qui parle vite et fort.

A l’époque, on l’utilisait pour le mât des bateaux et les bardages.

Aujourd’hui, pour le sol, les charpentes et les meubles.

 «Dire que la Corse importe chaque année 20 à 22 millions d’euros de bois toutes essences confondues», enchaîne-t-il, agacé.

Mais le laricio, c’est aussi un écosystème à lui seul.

On pense notamment à la sittelle, un petit oiseau trapu au plumage gris-bleu-jaune reconnaissable aussi à ses yeux soulignés de deux traits d’eye-liner qui auraient un peu débordé.

Elle niche dans les cavités du laricio et se nourrit essentiellement des graines contenues dans les petits cônes bruns qui se balancent sur les rameaux.

«Il y a encore beaucoup d’espèces à découvrir sur l’île»

Il y a aussi ces coléoptères saproxyliques qui ne survivent que grâce au bois.

Julien Madary, géomaticien, les étudie pour le compte de l’ONF. 

«On est quasi certain d’avoir trouvé une nouvelle espèce de coléoptère à Vizzavona, nouvelle pour la Corse, s’enthousiasme-t-il. Cela confirme sa présence en France.» 

Surtout, ces bio-indicateurs prouvent la qualité remarquable de la forêt qui a su préserver sa faune.

Malgré notre insistance, on ne saura pas le nom du fameux coléoptère de la famille Eucnemidae qui doit encore être confirmé par un spécialiste du réseau entomologique de l’ONF.

Voilà quelque temps déjà que le Muséum national d’histoire naturelle a renforcé sa présence en Corse, notamment avec son programme d’exploration «Planète Revisitée». 

«On se réjouit de ça même si aujourd’hui on manque de spécialistes, autant en Corse que sur le territoire national. On sait qu’il y a encore beaucoup d’espèces à découvrir sur l’île», lance notre géomaticien.

Mais la crainte de voir tout cela disparaître en fumée les taraude. 

«Avec les sécheresses intenses à répétition, ça va être terrible», entonne à son tour Antoine Paolaccio, agent patrimonial sur la zone Vivario, Venaco et Focicchia.

Les remarquables hêtraies, elles, souffrent de plus en plus.

De quoi imaginer un remodelage des paysages dans les années à venir ? 

«Il n’est pas impensable que le laricio, qui culmine entre 800 et 1 400 mètres, remonte plus haut dans la montagne pour chercher un climat plus respirable, tout comme le chêne vert».

Possible aussi que les bergers y regrimpent avec leur bétail qui manque de vivres.

Un passé peut-être bientôt présent.

 

Source : Libération. Par Aurore Coulaud, Envoyée spéciale à Vizzavona (Corse) 

 

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