LA CHANSON POPULAIRE DE L'ÎLE DE CORSE.
LA CHANSON POPULAIRE DE L'ÎLE DE CORSE.

Heureuses, bienheureuses entre toutes, les nations qui conservent les vieux; airs des grand'mères, arche sainte de l'alliance entre les temps anciens et les nouveaux, palais enchanté où tout un peuple dépose les trophées de ses héros.

MICKIEWVITZ.

 

 

Parée d'une verdure éternelle, faite de toutes les essences, de tous les fruits et de toutes les fleurs ; trouée d'étroits vallons ou de larges vallées qu'en- serrent de hautes montagnes ; avec ses côtes qui, à l'Occident et au Sud, s'ouvrent en vastes baies et en fjords profonds tandis qu'à l'Orient elles s'infléchissent en interminables plages, souvent paludéennes ; avec ses villes et ses bourgades, très espacées, dont les hautes maisons en pierres solides semblent de vieux donjons ; par ses champs cultivés, ses vignobles, ses plantations de cédrats, d'orangers, de citronniers, d'oliviers ou de figuiers comme par ses immenses maquis et ses terres en friche ; de par sa simple situation géographique, la Corse est pittoresque à l'excès.

On y rencontre peu de hameaux, encore moins de fermes isolées, mais de nombreux villages, nettement disséminés, s'accrochant au flanc des collines, se cachant sous les forêts de châtaigners, — les châtaigners, cette providence du pays que Louis XV voulut un jour prohiber parce que :

« favorisant la paresse de l'indigène » !

Point industrielle, mais agricole et surtout pastorale, telle est la Corse.

Aussi, faut-il visiter les villages et non les villes, si l'on veut connaître la vie insulaire ; si l'on veut en pénétrer l'âme, ce sont les bergers qu'il faut fréquenter.

Les bergers, à demi nomades durant la bonne saison, forment dans le seul territoire du Niolo une population de plus de 4.000 individus, population qui se suffit presque entièrement à elle-même, cha- que famille produisant, comme font les tribus arabes, tout ce qui est utile à sa consommation, à l'habillement, au ménage.

Pendant l'été, ils louent les paturages des plateaux et vallées de l'Ouest et l'automne venu c'est l'exode vers les plaines mari­ times et les collines de Galeria ou de Porto.

Vêtus de bure ou de gros velours, couverts du pelone (Large et lourd manteau à capuchon tissé avec du poil de chèvre.), leur fusil ou «juge de paix» sous le bras, indifférents aux intempéries, agiles et lents, sobres et amateurs de bonne chère, ces primitifs ne dédaignent pas de lier commerce non seulement avec leurs compatriotes agriculteurs, pêcheurs ou citadins, mais avec les étrangers.

Loin d'affecter la taciturne rudesse des pasteurs de l'Auvergne ou des Landes, de s'affaiblir comme tant de Bretons avec l'alcool, ils sont vifs, enjoués, affables, curieux, grands amateurs de récits. — intelligents.

Sans instruction, ces braves gens savent s'exprimer sur leurs affaires, leurs intérêts, leurs soucis ou leurs plaisirs avec une clarté, une concision qui n'excluent pas l'élégance, et la redondance aussi, des métaphores orientales.

Point avares comme les bergers de Savoie, ils se cotisent entre eux pour envoyer à l'école, au collège, l'enfant qui manifeste de bonnes dispositions pour l'étude.

Aussi, leurs familles comptent-elles bon nombre de prêtres, de médecins, d'officiers, d'instituteurs, ce qui perpétue chez eux le sentiment d'une fraternelle égalité.

Dans le Niolo, comme dans l'Incudine, la Balagne, la Casinca, le Cap ou le Cuscione, où ils sont légions, ces bergers accueillent simplement, cordialement, le, premier venu, compatriote ou touriste, dans leurs masures étroites faites de quartiers de rocs et garnies de lit de feuillages.

Et tous parlent le français, le lisent; bien peu qui, aujourd'hui, ne sachent pas écrire.

Mais ils tiennent à leur langage comme à leurs antiques coutumes et c'est ainsi que, naguère, en 1874, un candidat à la députation, M. Tomasini, ayant vécu en dehors de l'île pendant quelques années, s'empressait de commencer sa profession de foi par cette déclar a t i o n :

« Les populations de nos villages me connaissent ; elles savent que, quoique absent depuis longtemps,

je n'ai oublié ni les mœurs, ni le langage, ni les habitudes de nos campagnes. »

C'est chez eux qu'on reconnaît bien les types de la race et la démarcation entre les apports étrangers, qu'on y comprend les traces profondes laissées par les incursions ou les dominations qui désolèrent cette île et lui firent, en définitive, une nationalité.

Quant au Corse des villes, son amour de l'indépendance et des vieilles coutumes s'est atténué avec le commerce et au contact des étrangers ; néanmoins il garde le culte de l'hospitalité, de la simplicité, de la rude franchise, de la fameuse vendetta aussi, mais il a déjà commencé de ne plus poursuivre son ennemi ailleurs que... devant les tribunaux, ce qui est plus correct !

En somme défiant, paresseux et infatigable, rêveur, très doux mais encore plus emporté, le Corse est un combatif— l'histoire en donne amplement la raison — qui, solitaire, est d'humeur mélancolique, taciturne même, et devient, quand il se trouve en compagnie — d'amis, s'entend ! — enjoué, enthousiaste, exubérant de gestes avec, cependant, une certaine gravité qui demeure jusqu'en son rire.

Un proverbe familier le dépeint d'un trait plaisant et montre qu'il préfère, au fond, une bonne amitié à une bonne vengeance :

Amicizie e macaroni,
Se non calde, nun son buoni !

Les amis et les macaronis — S'ils ne sont chauds, ne sont pas bons !

Et, en effet, les insulaires se dévouent à leurs amis comme à leurs parents, jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à la bourse, jusqu'à la lutte, jusqu'à la mort.

Une des manies corses, naïve et fort jolie en somme, est celle de la parenté qui constitue aux fiancés comme une sorte de dot et va jusqu'à l'infinitésimal; c'était précieux au temps des vendette.

En Corse, l'amitié s'affirme dans toute sa beauté, même tragique.

Avec toutes ces qualités et ces défauts qui sont presque... « artistes» — qu'on nous passe le mot —

il paraît, à première vue, curieux que la Corse soit le département français ayant produit le moins d'artistes; à peine y pourrait-on compter, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, une douzaine de peintres, sculpteurs, architectes ou musiciens ayant eu quelques droits à la renommée.

Ce ne fut pourtant pas le défaut d'intelligence ou de génie, le manque de cœur et de passion ; mais les arts réclament une certaine douceur de vie, de l'aisance — en même temps que de grandes inégalités de fortunes, — une facilité de moyens de communication dont l'île fut trop longtemps privée.

Elle n'eut jamais et n'a point encore d'industries, au sens moderne du mot ; industrieuse, certes, elle l'est mais non point industrielle, et l'industrie qui finit par tuer les arts les devança presque toujours, — simplement à cause des besoins journaliers et des nécessités de se défendre.


Nous n'entreprendrons pas de décrire les vieilles coutumes disparues ou existantes.

Au surplus, u n vieux proverbe corse d i t : « Corsica, tanti paesi, tante usanze » ( E n Corse, autant de pays, autant de coutumes).

D'ailleurs on en trouvera plus loin quelques-unes des plus curieuses et topiques, dans les brèves analyses des chansons populaires.

Quant à l'extérieur physique, le Corse se divise en trois catégories bien distinctes, dont deux pour les hommes.

La femme, elle, semble la directe descendante des maugrabines, si vantées par toutes les littératures qu'il est inutile de redire ici son teint mat, son long profil de médaille, ses yeux noirs largement fendus en amande, pas plus que ses gestes lents, gracieux, eurythmiques de canéphore.

Les hommes, eux, sont sur les côtes, dolichocéphales, aux grands traits, à la figure allongée, à la parole plus douce, à l'extérieur plus raffiné ; ceux de l'intérieur sont brachycéphales, ils ont la face large et charnue, le nez plutôt petit, sans forme caractéristique, le teint clair, les cheveux roux et la taille ramassée ; leur extérieur enfin est plus abrupt que chez les habitants de la côte.

Tels sont les traits distinctifs du Corse, et par cette description, nécessairement bien sèche, on pourra comprendre le charme, si naturel, de son folklore.

Il est bien évident que nous ne prétendons donner que le type générique pris chez les très humbles, chez ceux dont les alliances n'ont pas métissé la race.

 

Austin de Croze.

Source : musee-corse.com 

Photo : Spartera – Voix Corses

 

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