Selon Bonn, le plan «fer à cheval» programmait le nettoyage ethnique au Kosovo.

L'Allemagne a présenté un plan qu'elle dit émaner de Belgrade, et qui cartographie l'expulsion massive de 600 000 Kosovars.

L'objectif: arriver à bout de l'Armée de libération du Kosovo en chassant cette population qui la soutenait

L'offensive de Belgrade au Kosovo n'a pas seulement été préparée dès l'automne dernier 1998, mais encore le nettoyage ethnique a-t-il été dûment cartographié.

C'est ce qu'affirment les autorités allemandes, dont les propos ont été largement repris, entre autres, par Le Monde du 10 avril.

Le gouvernement allemand a-t-il fabriqué un faux document pour justifier sa participation à la guerre du Kosovo?

Un an tout juste après le conflit, la question est posée avec de plus en plus d'insistance en Allemagne.

 Le 8 avril 1999, le ministère allemand de la Défense avait présenté à Bonn un plan baptisé «Fer à cheval», selon lequel les forces serbes de Slobodan Milosevic auraient prévu, dès la fin 1998, de prendre en étau la population albanaise du Kosovo pour l'expulser de la province.

Au moment où l'opinion allemande s'inquiétait de voir les bombardements de l'Otan accélérer l'exode des Albanais, ce plan tombait à pic: il démontrait que le drame albanais n'avait pas été provoqué par l'Otan, mais avait été minutieusement planifié par Milosevic depuis longtemps.

 
 

Dans un livre qui vient d'être publié en Allemagne, un ancien général de brigade de la Bundeswehr, Heinz Loquai, 61 ans, en poste à l'époque auprès de l'OSCE à Vienne et retraité depuis peu, affirme pourtant que ce «plan Fer à cheval» n'a jamais existé: il aurait été conçu au ministère allemand de la Défense, pour justifier a posteriori l'engagement allemand.

Dieter S. Lutz, directeur de l'Institut hambourgeois de recherche sur la paix et la politique de sécurité, nourrit le même soupçon:

«Selon mes informations, le ministère allemand de la Défense a transcrit sur le papier ce qui se passait sur le terrain: il s'agissait d'une description de la situation d'alors et non d'un plan préconçu. D'ailleurs, si le ministère détenait vraiment ce plan, il le montrerait.»

Pas question de publier ce plan, car «il émane de services secrets», a toujours répliqué le ministère de la Défense jusqu'à présent.

Le ministère affirme avoir reçu ce plan du ministère allemand des Affaires étrangères, lequel le tenait des services de renseignement bulgares.

Selon une enquête de l'hebdomadaire allemand Die Woche, c'est en passant au ministère de la Défense que ce qui n'était à l'origine qu'une analyse de la situation sur le terrain, effectuée par les services bulgares, aurait été transformé en «plan» préconçu.

Dès sa présentation au printemps dernier, ce plan Fer à cheval avait suscité quelques interrogations.

Les linguistes avaient aussitôt tiqué en constatant que le plan avait été baptisé «Potkova», qui signifie certes «fer à cheval» mais en croate: en serbe, l'opération aurait dû être intitulée «Potkovica».

L'Allemagne avait d'ailleurs été le principal pays à faire grand cas de ce plan: les autres gouvernements de

De quoi s'agit-il?

Bonn a reçu, début avril 1999, copie d'un plan de Belgrade, daté du 26 février – soit trois jours à peine après la suspension des négociations de Rambouillet, qui devaient reprendre à Paris le 15 mars – et portant le nom de «Potkova» (fer à cheval en serbo-croate).

Il prévoit, selon Le Monde, «la déportation des Kosovars albanais habitant les centres urbains».

Le terme de «fer à cheval» reflète le dessin, sur une carte, du territoire bordé par les villes de Pec (vidée de la plupart de ses habitants dès fin mars), Prizren et Pristina.

Auteur d'une thèse sur le Kosovo, Michel Roux, géographe à l'Université de Toulouse-Le Mirail, confirme que les expulsés de ces dernières semaines proviennent bien de ces régions:

«Les Serbes ont commencé à vider les régions de Lab et de la Cicavica (nord-ouest de Pristina), pour ensuite vidanger une vaste région qui va du nord-est au sud-ouest du Kosovo.»

A noter que cette carte est quasiment à l'opposé des différents plans de partage conçus par des intellectuels belgradois dans les années 90 (Le Temps du 8 avril), qui tous prévoyaient de laisser, pour l'essentiel, cette région aux Albanais.

«Le nettoyage actuel ne vise pas à partager la province, mais à en vidanger une partie, et garder le reste comme carte de négociation», analyse Michel Roux.

 

Pour lui, l'objectif principal de cette approche est de neutraliser l'Armée de libération du Kosovo (UÇK):

«Cela perturbe complètement la guérilla et coupe ses lignes d'approvisionnement.»

Information prise au sérieux.

En présentant «Potkova» à la presse, l'inspecteur général de la Bundeswehr, Hans-Peter von Kierchbach, a précisé qu'il s'agissait d'une compilation de différents documents, dont le dernier en date était décisif.

Il s'est gardé de fournir des documents originaux, apparemment pour préserver ses sources – dont l'une, au moins, serait le gouvernement d'un «pays voisin de la Serbie».

D'après nos informations, ce «pays voisin» pourrait bien être l'Albanie.

C'est ainsi qu'à fin mars, un journaliste indépendant basé à Tirana signalait déjà, au sujet du nettoyage ethnique en cours depuis une dizaine de jours:

«Pour chasser les Albanais du Kosovo, Belgrade a suivi un dessin en forme de fer à cheval en se concentrant sur les villes qui le bordent, en commençant avec la ville de Pec, au nord-ouest, en direction de Prizren, au sud-ouest, puis en remontant vers Pristina, au nord-est.»

Quelle que soit la source, le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, a pris tout à fait au sérieux l'information.

Il faut dire que les autorités de Bonn sont désormais en pointe sur le dossier des exactions serbes au Kosovo, dont elles comptent visiblement recenser des preuves qui pourraient être utilisées par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.

C'est ainsi que le secrétaire d'État à la Défense, Walter Kolbow, a indiqué dimanche, lors d'une conférence de presse, que l'Allemagne a entrepris un enregistrement systématique des exactions yougoslaves au Kosovo en interrogeant les réfugiés et en créant un fichier de photos des villages détruits.

Des officiers allemands ont commencé à interroger les réfugiés, en particulier en Macédoine, a-t-il déclaré, en laissant entendre que les informations collectées devaient servir le cas échéant de preuves des exactions commises pour la justice.

Le chef d'état-major adjoint, Hans Frank, a produit lors de la même conférence de presse les photos de sept villages détruits prises par des drones (appareils de reconnaissance sans équipage).

De son côté, le Washington Post, dans son édition de dimanche, se faisait également l'écho de ce plan, en précisant que des signes avant-coureurs de sa mise en application – avec notamment des attaques contre la guérilla autour de Podujevo – pouvaient déjà être décelés aux alentours de Noël.

En janvier et février, des icônes orthodoxes de valeur, des peintures et des manuscrits à caractère historique avaient été transférés à Belgrade.

Dès janvier, l'armée yougoslave avait dépêché des renforts en troupes et en blindés dans la province.

Un mouvement qui allait s'accélérer durant les pourparlers de Rambouillet, avec notamment la constitution, au Kosovo, de dépôts de fuel destinés aux véhicules militaires.

L'OTAN prise de court.

Depuis le 24 mars, toujours selon le Washington Post, les forces yougoslaves ont envahi les sept fiefs de l'UÇK et endommagé quelque 250 villes et villages, dont une cinquantaine auraient été entièrement détruits.

Cette politique de la terre brûlée, visant à «vider l'eau» dans laquelle la guérilla, selon l'adage connu, nageait comme un poisson, a envoyé sur les routes de l'exil 600 000 personnes.

Les informations distillées ces jours par les services de renseignements occidentaux prouvent que la chose était non seulement préparée, mais prévisible.

Pourtant, l'OTAN a été prise de court, comme l'a avoué son patron, le général Wesley Clark:

«Nous pensions que les Serbes se préparaient à une offensive de printemps contre l'UÇK. Mais nous n'avons jamais pensé qu'ils iraient jusqu'à la déportation de masse de la population albanaise.»

 

Source : Le Temps par: Iolanda Jaquemet.

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