Mon Pèlerinage À Sainte Hélène en juillet 1975 Par Ben Weider.
 

Mon Pèlerinage À Sainte Hélène en juillet 1975

Par Ben Weider, CM, PhD

 

Conférence donnée au 27 ème consortium sur l’Europe révolutionnaire, Université de l’état de la Louisiane, mars 1997

 

 



 

 

Jamestown harbor
Sainte Hélène et le port de Jamestown, une vue de l’ancrage comme le Northumberland arrive avec Napoléon à bord.

 

Mon Pèlerinage À Sainte Hélène :

Cela ne m'a pas été facile d'obtenir des réservations pour Sainte Hélène.

Il n'y a pas d'aéroport, ni de croisière, ni d'hélicoptère capable de voler aussi loin.

La terre la plus proche est la côte africaine de l'Angola à près de 2000 kilomètres.

Par chance, j'ai rencontré le vice-président d'une compagnie de transport maritime dont les bateaux naviguent de Southampton au Cap.

Certains font escale à Sainte-Hélène.

Grâce à lui j'ai pu obtenir quatre places sur le cargo The Goodhope Castle.

J'aurais souhaité cinq places, pour ma femme, mes trois fils et moi, mais comme le cargo avait seulement une cabine de quatre couchette, ma femme a dû rester au Cap dans l'attente de notre retour.

 

 

Napoléon à bord du Belléphron
Napoléon à bord du Belléphron en route vers l’Angleterre.

 

 

 

 

 

Si je tenais tant à aller à Sainte-Hélène, c'est que j'avais entrepris d'écrire mon livre Qui a tué Napoléon, et que j'éprouvais le besoin de m'immerger dans l'ambiance des lieux où l'Empereur avais vécu ses dernières années.

Je tenais aussi, en père soucieux de l'éducation de ses enfants, à faire découvrir à mes fils l'endroit où avait séjourné pendant plus de cinq ans l'homme le plus extraordinaire de tous les temps.

Je ne faisais ainsi que suivre l'exemple de cet officier anglais qui tenant son jeune garçon par la main, le 6 mai 1821 dans la chambre mortuaire de Longwood, avait dit: "Look well, my son, this was the greatest man in the world."

Nous avons donc pris un avion de Montréal au Cap et embarqué à bord du S.S. Goodhope Castle.

Le voyage maritime de quatre jours commença sur une mer bien formée; même les vaches et les chevaux, qui constituaient le frêt, avaient le mal de mer.

Les deux derniers jours furent calmes et chauds sous un beau soleil.

 

 

L’embarquement sur le Northumberland
L’embarquement sur le Northumberland en direction de Sainte Hélène

 

 

 

 

 

 

Quelques heures avant l'arrivée, je fus appelé à la radio du bord.

C'était mon ami Gilbert Martineau, consul général de France à Ste-Hélène et historien de renommée mondiale, qui me saluait et m'informait qu'il m'attendait.

Avec mes fils, nous nous installâmes sur le pont pour scruter l'horizon afin d'apercevoir l'île aussitôt que possible.

Peu après minuit, je repérai dans le lointain une sorte de lueur rougeâtre.

C'est un phare à lumière rouge installé sur le plus haut sommet de Sainte-Hélène.

Lentement, nous vîmes cette lumière monter de plus en plus haut sur l'horizon, puis une masse sombre se profila en dessous d'elle.

Nous pûmes alors distinguer les lumières d'une petite ville que je savais être Jamestown puisqu'elle est l'unique localité de l'Île.

Comme le port ne possède pas de quai en eau profonde, le bateau jeta l'ancre à quelque distance.

Je fus assailli par une vague de tristesse en pensant à ce que Napoléon avait pu ressentir en voyant pour la première fois cette masse noir et lugubre qui allait devenir son tombeau.

Il avait dit au grand maréchal Bertrand: "Il aurait mieux valu que nous restions en Egypte."

 

 

St. Helena Island
St. Helena

 

 

 

 

 

 

Alors que le jour se levait à peine, une chaloupe aborda le cargo.

Mon ami, Gilbert Martineau était sur son avant comme une figure de proue.

Il monta à bord et c'est avec beaucoup de chaleur qu'il nous souhaita la bienvenue à Sainte Hélène.

A terre, il y avait environ cent cinquante personnes, juste curieuses de savoir qui venait leur rendre visite.

La rue principale de Jamestown est la rue Napoléon dont une des premières maisons était autrefois Porteous House.

C'est là que l'Empereur passa sa première nuit et ne put fermer l'oeil à cause des habitants qui s'agglutinaient aux larges baies vitrées pour suivre ses faits et gestes.

Cette maison n'existe plus.

Gilbert Martineau nous invita à monter dans sa voiture pour gagner la maison qu'il avait louée pour nous à proximité de Longwood House, distance d'environ huit kilomètres.

En grimpant la route escarpée, on avait une vue plongeante sur Jamestown qui n'est en réalité qu'un village de quelques rues.

Notre habitation était toute proche de celle occupée par le général et la comtesse Bertrand quand ils quittèrent Huts Gate en mars 1821 pour se rapprocher de Napoléon.

 

 

Longwood House

 

Le lendemain de notre arrivée, nous avons visité Longwood.

En traversant le parc qui mène à la maison, ou plutôt à ce qui apparaît comme un ensemble de bungalows, j'étais assailli par une grande émotion.

Nous entrâmes par les appartements de l'arrière près de ceux qu'occupaient Gilbert Martineau et sa mère, une dame déjà âgée qui avait souhaité accompagner son fils dans sa retraite.

 

 

Longwood House au temps de Napoléon

Longwood House (Aquarelle peinte par Louis Marchand).

Cette Aquarelle fut offerte à l'Empereur le 1er janvier 1820.

A droite on aperçoit les abbés Vignali et Buonavita qui se promène dans le jardin où travaillent deux chinois.

A gauche, Madame Bertrand et ses enfants. Napoléon est debout à l'entrée de la véranda

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D'abord nous avons pénétré dans la chambre du général Gourgaud puis dans celle du comte et de la comtesse de Montholon.

A droite était la pièce des médecins de l'Empereur, O'Meara et plus tard Antommarchi.

Ensuite, Gilbert Martineau nous a guidés par l'extérieur jusqu'à la tonnelle de croisillons qui marque l'entrée principale en nous disant:

 

"Maintenant je vais vous montrer l'appartement occupé par Napoléon."

Comme j'ai lu, plusieurs fois, tous les journaux tenus au jour le jour par les compagnons de l'exil, je connaissais parfaitement les événements qui se sont déroulés dans chacune des pièces que nous allions voir.

Nous avons pénétré d'abord dans la salle de billard, là où le général Bertrand ou le comte de Montholon recevaient les visiteurs autorisés avant de les présenter à l'Empereur.

C'est là aussi qu'il a dicté la campagne d'Egypte et de nombreux autres ouvrages en utilisant le billard pour déployer les cartes.

Il y a des volets aux fenêtres et un trou circulaire d'environ cinq centimètres de diamètre a été creusé dans l'un d'entre eux.

Il permettait, même quand les volets étaient tirés, de surveiller les environs.

Dans cette salle se trouve encore le globe terrestre en bois si souvent étudié par Napoléon.

C'est là aussi que le docteur Antommarchi a pratiqué l'autopsie.

 

 

Longwood House au temps de Napoléon
Longwood House au temps de Napoléon

 

 

 

 

 

 

 

 

Ensuite c'est le salon où Napoléon, debout près de la cheminée, recevait ses invités.

C'est là qu'on se réunissait avant de passer à la table et qu'on se retrouvait après le dîner.

La pièce est éclairée par les deux fenêtres entre lesquelles l'Empereur s'éteignit le 5 mai 1821 comme le rappelle une plaque de cuivre fixée dans le plancher à l'endroit où se trouvait son lit de camp.

Jouxtant le salon se trouve la salle à manger, encadrée d'un côté par la bibliothèque et de l'autre par le cabinet de travail.

Depuis le début de la visite j'étais submergé par un sentiment étrange.

J'avais l'impression très nette de revivre des souvenirs personnels anciens.

Je voyais distinctement Napoléon assis à cette grande table avec Fanny Bertrand à sa droite et Albine de Montholon à sa gauche, les autres convives étant le Grand maréchal, Montholon, Gourgaud et Las Cases.

Ils étaient servis par Ali et Noverraz.

 

Ben Weider et ses trois fils
Ben Weider et ses trois fils assis devant l’entrée de Longwood House. Louis en haut à droite, Eric en bas à gauche et Mark en bas à droite.

 

 

 

 

 

 

 

C'est dans la bibliothèque que Napoléon, au bord de l'agonie, a rédigé, avec l'aide active de Montholon, un testament que les Anglais ont gardé pendant trente-deux ans avant de consentir à le rendre à la France en mars 1853.

Dans le cabinet de travail, Napoléon a passé de longues heures à dicter à Las Cases, à Gourgaud, à Montholon, à Marchand.

Après l'autopsie, c'est cette pièce qui a été aménagée en chambre mortuaire où l'abbé Vignali priait entouré des compagnons d'exil abîmés dans leur douleur.

C'est là aussi que le docteur Antommarchi a moulé le célèbre masque mortuaire et que s'est effectuée la mise en bière.

Du cabinet de travail on passe dans la chambre de l'Empereur avec sa salle de bain attenante. La baignoire en cuivre est toujours là.

De temps en temps, durant des périodes assez régulières, même quand il faisant beau, Napoléon souffrait de frissons glacés.

C'est seulement de longs bains chauds qui lui apportaient quelque réconfort et il pouvait rester dans son bain pendant des heures.

Les frissons glacés sont un des symptômes de l'intoxication arsenicale.

 

 

Napoléon s’adonnant au jardinage
Napoléon s’adonnant au jardinage à Sainte-Hélène.

 

 

 

 

 

 

 

Puis nous avons visité les jardins qui ont été tracés autour de Longwood sur des plans de Napoléon lui-même et pour l'aménagement desquels il a personnellement mis la main à la ... pelle.

C'est le docteur Barry O'Meara qui, avant d'être ignominieusement chassé par Hudson Lowe, l'avait encouragé à entreprendre ce travail pour se donner un peu d'exercice. Les fossés et le bassin existent encore aujourd'hui.

Napoléon qui savait qu'il ne verrait jamais le parc qu'il avait conçu avait dit:

"Un jour, peut-être dans cent ans, des visiteurs pourront admirer notre travail et bénéficier d'une ombre que nous n'avons pas."

Il avait raison.

De l'endroit complètement dénudé où il a souffert, il a fait une sorte d'oasis de verdure et de fleurs où les pins, bien que tous tordus dans le même sens par la force du vent dominant du sud-est, donnent l'ombre qu'il avait tant désirée.

J'en ai bénéficié avec mes fils et c'est dans ce jardin que nous avons pris quelques repos après une journée épuisante tant elle avait été chargée de chocs émotionnels.

 

 

Ben Weider accompagné par Gilbert Martineau

Ben Weider en 1978 accompagné par Gilbert Martineau, ancien Consul de France à Sainte. Hélène va planter un arbre près de la tombe où se trouvait le corps de l’Empereur.

Aujourd’hui cet arbre est en parfaite santé et mesure près de dix mètres de haut.

 

 

La Vallée des Géraniums.

 

Deux jours plus tard nous allions connaître d'autres émotions lors de notre visite à la vallée de la tombe, plus connue sous le nom de vallée des géraniums.

Le 9 mai 1821, Hudson Lowe avait placé, en armes, de part et d'autre du chemin qu'allait emprunter le convoi funèbre, les trois mille soldats anglais du 20 ème régiment.

C'est comme s'il avait peur que Napoléon, même mort, parvienne à lui échapper. L'Empereur avait lui-même choisi cet endroit car il le trouvait agréable et paisible.

Il y avait là une source dont l'eau claire lui était portée chaque jour à Longwood.

La zone du tombeau était entourée d'une grille et la tombe recouverte d'une large plaque de ciment.

Les Français voulaient y graver Napoléon mais Lowe exigeait que ce soit Bonaparte.

C'est ainsi que la plaque resta nue et que l'Empereur reposa pendant dix-neuf ans dans une sépulture anonyme.

Je revoyais nettement la scène de l'exhumation du 15 octobre 1840 et la stupéfaction du prince de Joinville, du grand maréchal Bertrand, du général Gourgaud et de Louis Marchand à la vue de Napoléon, comme endormi, qui paraissait bien plus jeune qu'eux.

Ils ne savaient pas que l'arsenic qui tue, protège les tissus après la mort.

En 1854, au moment de la grande amitié entre Napoléon III et la reine Victoria, la France acheta Longwood et la vallée des géraniums pour la somme de 7000 Livres sterling.

Depuis cette date, l'ensemble est protégé au même titre qu'une ambassade en pays étranger.

 

 

Les Briars.

 

Le seul moment heureux que connut Napoléon à Sainte Hélène fut son séjour aux Briars (les Eglantiers).

C'était la propriété de la famille Balcombe où il demeura pendant ses deux premiers mois dans l'île alors que les Anglais se hâtaient de faire les travaux indispensables pour rendre Longwood habitable et tentaient (vainement) d'éliminer les hordes de rats géants qui occupaient les lieux.

William Balcombe offrit à Napoléon sa maison mais celui-ci, ne voulant pas déranger outre mesure, se contenta d'un pavillon utilisé comme salon de thé et salle de jeux pour les enfants.

L'Empereur, qui était alors débordant de santé et de vigueur, devint très vite le grand ami de Betsy, la plus jeune des deux filles Balcombe.

Âgée de quatorze ans, c'était un véritable garçon manqué qui parlait un peu le Français et jouait des tours pendables, avec la complicité d'un homme tout heureux de se plonger dans un climat de jeunesse insouciante qu'il n'avait jamais connu.

 

 

Napoléon et Betsy Balcombe
Napoléon et Betsy Balcombe.

 

 

 

 

 

Betsy pleura d'une manière incontrôlée le jour où Napoléon quitta les Briars.

Elle pleura encore lors de sa dernière visite à Longwood en fins mars 1818, quand sa famille dut quitter l'île, chassée par la hargne du sinistre Lowe, qui voyait d'un très mauvais oeil ses relations amicales avec celui qu'il considérait comme son prisonnier.

 Ce jour-là, Napoléon lui sécha ses pleurs avec un joli mouchoir brodé à son monogramme qu'il lui remit avec une mèche de ses cheveux.

Ces cheveux, testés au centre nucléaire de Harwell, contenaient un taux très élevé d'arsenic.

En faisant état de son amitié et de ses jeux avec l'Empereur, Betsy devint une célébrité mondiale après son retour en Angleterre.

Plus tard, Napoléon III lui fit don d'une concession de plusieurs dizaines d’hectares en Algérie.

Dame Mabel Brooks, une descendante directe de la famille Balcombe a, quant à elle, fait cadeau des Briars à la France en 1959 et le pavillon a été reconstruit exactement comme il était du temps où Napoléon l'habitait.

 

Plantation House.

 

Le gouverneur de l'île, sir Thomas Oates, m'invita à dîner à Plantation House.

C'est là que vivait Hudson Lowe.

Je pus donc visiter les lieux où le sicaire préparait ses mauvais coups.

 

 

Remarques :

 

Comme je m'étonnais, en visitant un cimetière, de trouver de nombreuses tombes de Zoulous, on m'expliqua qu'ils avaient été déportés en masse dans l'île avec leur chef Dinizulu à la suite de l'agression victorieuse des Anglais contre leur territoire du Natal en 1889.

Les habitants de Sainte Hélène, les Saints, sont environ cinq mille. Pour la plupart, descendants de Malgaches et de Malais, ils sont très aimables et chaleureux.

 

Death

Le 15 octobre 1840, le corps de L’empereur quasiment intact, apparaît à ses fidèles compagnons d’exil revenus, avec le Prince de Joinville, le chercher pour le ramener à Paris.

Ils sont tous là, sauf Montholon. Bertrand, Gourgaud, et même Marchand sont stupéfaits de voir Napoléon, comme un homme simplement endormi, qui maintenant parait tellement plus jeune qu’ils le sont eux-mêmes

 

 

 

Ben Weider
International Napoleonic Society

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