Port d'Ajaccio (PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP)

Port d'Ajaccio (PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP)

LA CORSE A-T-ELLE INTÉRÊT À DEVENIR INDÉPENDANTE ?

Professeur à l'Université catholique de Lille, Eric Dor s'est penché sur l'économie corse, après avoir étudié celle de la Catalogne.

Selon lui, sa population n'a aucun intérêt à se détacher de la France.

 

Selon Eric Dor, la spécialisation productive de la Corse (0,49% de la population française, 0,39% du PIB national) plaide en défaveur de l'indépendance.

 

Je pense qu’il est toujours bon de revenir sur terre, et de regarder les données macroéconomiques de manière dépassionnée.

J’avais fait le même exercice sur la Catalogne.

Il n'y a aucune démarche politique de ma part.

La Catalogne pourrait être un pays tout à fait viable.

Sa spécialisation productive la place en bonne position.

Elle dispose d’une excellente industrie, de bons services marchands, et est bien placée sur les hautes technologies.

Le seul problème auquel elle serait confrontée, en cas d'indépendance, est lié à l’Europe : si elle sort de l’Espagne, selon l’interprétation qui est faite des traités, elle sort de l’Union monétaire et de l’Union européenne, ce qui entraînerait une disruption de ses relations commerciales internationales.

Par ailleurs, les grandes banques catalanes seraient fragilisées, car leur bilan, qui est important, serait très difficile à soutenir dans un cadre étatique plus limité que le cadre espagnol.

Pour ce qui est de la Corse, son économie repose sur une spécialisation productive atypique.

Avec une sur-pondération du secteur public (éducation, santé…) et une sous-pondération de l’industrie et des services marchands sophistiqués.

L'agriculture est, quant à elle, largement artisanale.

La construction, le tourisme, le transport et les services publics représentent environ 80% de la valeur ajoutée.

C’est une structure productive qui n’est pas favorable à l’indépendance.

Le poids du secteur public implique des financements de la métropole ou de l’UE qui disparaîtraient en cas d’indépendance.

Votre étude montre que le taux de croissance de la Corse est pourtant important : près de 2% par an depuis dix ans.

Oui, il est en moyenne de 1,94%, ce qui est énorme.

Mais si vous regardez dans le détail, cette croissance est largement liée au secteur public non marchand : éducation, santé, etc.

Et donc, il est certain que les transferts financiers depuis la métropole ont joué un grand rôle.

Ne peut-on pas imaginer qu'une Corse devenue indépendante se spécialiserait dans de nouvelles activités peu orthodoxes, comme l'ont fait des petits pays comme Malte ou le Luxembourg ?

Je ne crois plus à ce scénario, car les grands États sont aujourd’hui excédés par de telles stratégies où de petits pays vivent de l’optimisation fiscale.

Certes, la Corse pourrait bien sûr développer ce qui lui manque, comme des activités liées aux nouvelles technologies par exemple.

Mais cela prend du temps, beaucoup de temps.

A court terme, si la Corse devenait indépendante, cela se traduirait par un appauvrissement de sa population.

Les Grecs ont été confrontés à ce dilemme en 2015, lorsque de très sérieux économistes leur conseillaient de quitter l’euro.

Ils ont vite compris qu’une telle stratégie serait très coûteuse pour leur population, au moins au départ.

Si la Corse devenait indépendante, elle devrait en outre se doter de sa propre monnaie, qui serait dépréciée par rapport à l’euro.

A moyen terme, cela pourrait certes aider le tourisme, mais dans l’immédiat, cela se traduirait par une baisse du pouvoir d’achat importante.

Par ailleurs, les Corses n’ont jamais désiré bétonner leurs côtes : le tourisme ne sera pas une planche de salut suffisante.

Même s’ils sortent de l’Union monétaire, ne pourraient-ils pas garder l’euro comme monnaie d’échange?

C’est ce qu’a fait le Monténégro, qui a été "euroïsé" comme on parle en Amérique latine d’économies "dollarisées". `

Mais pour qu’une économie puisse être "euroïsée" il faut que des devises y entrent à un niveau suffisant pour correspondre à l’activité nationale.

Il faut donc avoir de forts excédents courants ou alors, comme dans le cas du Monténégro, bénéficier d’importantes entrées nettes de capitaux, sous la forme d’investissements directs par exemple.

La Corse, si elle était indépendante, partirait avec un déficit de sa balance commerciale en biens et services de l’ordre de 1,5 milliard d’euros par an avec les autres pays du monde et le reste de la France.

En cas d'indépendance, le financement de ce déficit important serait très problématique.

Source : nouvelobs.com : Propos recueillis par Pascal Riché.

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