UNE CONTESTATION POPULAIRE CORSE À LA RECHERCHE DE CHEFS.
UNE CONTESTATION POPULAIRE CORSE À LA RECHERCHE DE CHEFS.
Dans les premières semaines de la révolte, les différentes contestations incriminent le même ennemi, Gênes.
Mais celles-ci ne se coordonnent pas dans leur action.
D’un côté, il y a les populations qui, accablées par le poids de la fiscalité et la misère, se sont soulevés à Bustanicu, presque naturellement.
De l’autre, il y a les notables ruraux, les principali – dont certains sont Nobles XII – qui tentent le bras de faire avec les autorités en quête d’une reconnaissance sociale.
L’année s’écoule sans que les révoltés n’aient véritablement désigné leurs chefs.
Fin 1730, les choses changent !
Pour la première fois, les principali franchissent le Rubicon et s’engagent ouvertement auprès des populations en rébellion contre le pouvoir.
Le revers est de taille pour la République car ce sont ces mêmes principali qui furent depuis toujours ses plus fidèles partisans et défenseurs dans l’île.
Quand on parle des chefs de la révolte corse, on parle en réalité de territoires puisque l’île vit à l’heure du clanisme depuis des siècles et qu’un leader qui s’engage dans la révolte est avant tout un chef de clan, ce clan dominateur d’un territoire.
Le premier est Luigi Giafferi – piève de la Tavagna –.
Il fait partie de l’élite militaire et politique de l’île.
Entré comme officier au service de Venise en 1694, il multiplie les activités politiques lorsqu’il rentre en Corse.
Il fut Orateur de Corse à Gênes en 1705 et élu à quatre reprises Nobles XII.
Lorsque la révolte débute, c’est sans doute le leader le plus tenace et le plus respecté.
Le deuxième est Andria Ceccaldi – piève de la Casinca –.
Il incarne l’âme aristocratique de la Corse puisque sa famille revendique sa descendance du semi-mythique Ugo Colonna, ce comte envoyé par Charlemagne pour libérer la Corse des Sarrasins, et dont il fut le roi, selon la légende.
Cette même légende lui attribue la paternité de toute la noblesse insulaire, les Cinarchesi.
Par sa branche cousine à Rome, les Colonna, il est naturellement pro-espagnol et non pro-français comme leurs rivaux Orsini et l’on comprend pourquoi il deviendra en 1733 colonel au service de l’Espagne.
Ceccaldi et Giafferi sont beaux-frères et ils sont les deux premiers à se nommer généraux du Royaume, en novembre et décembre 1730.
Le troisième est Ghjacintu Paoli – piève du Rustinu –.
Contrairement aux deux premiers, il n’est pas un militaire et sa carrière politique est plus modeste puisqu’il rentre comme Nobles XII par la petite porte, celle des populi – en opposition aux capurali –.
En revanche, son ascension fulgurante laisse penser qu’il fut un notable particulièrement connu et respecté dès les premiers mois, si ce n’est même avant.
Il entre officiellement dans la révolte dans les premiers jours de 1731.
Il est le père du futur général de la Nation, Pasquale Paoli, u Babbu di a Patria.
Le quatrième est Erasmu Orticoni – piève d’Aregnu –.
Le cas d’Orticoni est intéressant car contrairement aux trois autres, il n’est ni Nobles XII, ni chef de clan, mais c’est un religieux.
Homme d’une grande intelligence et doté d’une grande culture, il fait sa carrière à Rome et en Corse, aux côtés de l’évêque d’Aleria.
Par sa maîtrise du droit canonique, il va élaborer en 1731 une justification à la révolte de ses compatriotes, en invoquant les écrits de Saint-Thomas.
On peut le dire : Orticoni a, plus qu’aucun autre chef, donné une doctrine claire et définie à une révolte qui n’en avait pas encore :
« Orticoni apparaît un court moment comme un conciliateur, puis, presque immédiatement comme stratège, théologien, propagandiste de ce qui devient progressivement une révolution ».
Il fut le grand architecte de l’internationalisation du conflit et c’est tout naturellement qu’on le verra oeuvrer comme « ambassadeur extraordinaire » dans toutes les cours d’Europe – échappant dans le même temps aux innombrables tentatives d’assassinats que lui tendent les Génois partout où il passe.
Au « carré originel » des capi s’agrègent d’autres acteurs dans ces premières années et dont la participation ne doit pas être sous-estimée, bien qu’ils n’aient pas l’aura des premiers :
Simone Fabiani, Ghjuliu Matteu Natali, Gregoriu Salvini, Marc'Aureliu Raffaelli, Ghjuvan Aitelli, Simone Fabiani, Dumenicu et Francescu Rivarola, Seta Bastelica – que l’on retrouve dans les archives sous son vrai nom, Bartolomeu Seta –, Ghjacintu Giappiconi, Sebastianu Costa, et bien d’autres encore.
Max Desgoutte.
Mémoire universitaire :
LES RELATIONS ENTRE LES BOURBONS D’ESPAGNE ET LES RÉVOLUTIONNAIRES CORSES (1730-1740).
Tuteur : Dr Àngel Casals Martínez.
Photo : Portrait de Luigi Giafferi, extrait de Louis Campi, Galerie des célébrités de la Corse [Texte imprimé] : collection de portraits historiques reproduits par le procédé Gillot d'après les originaux authentiques recueillis & publ. par Louis Campi Ajaccio : Librairie de Peretti, 1898.
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