LE ROYAUME ANGLO-CORSE : 1794-1796.
LE ROYAUME ANGLO-CORSE : 1794-1796.
 
Coincé entre deux événements majeurs : la Révolution de 1789 et la campagne d’Italie.
 
Le Royaume anglo-corse fait figure de parenthèse dans l’histoire de la Corse.
 
Le rôle effacé que Paoli a été contraint de jouer durant cette période n’est sans doute pas étranger à ce constat. Un vice-roi anglais ne pouvait remplacer un « Babbu ».
 
En refusant les clés du royaume à Paoli, chef légal et déçu dont le prestige reste intact, les Anglais hypothèquent leurs ambitions politiques : faire de la Corse un dominion et mettre la main sur une base stratégique afin de ruiner l’expansion de la France et s’imposer en Méditerranée.
 
Conquise en quelques mois par une force de frappe de quarante vaisseaux aux ordres de l’amiral Hood, l’île ne sera pas soumise pour autant. De son exil londonien, Paoli ne verra pas les troupes anglaises avec lesquelles il a combattu, abandonner la Corse. Ni celles du général Casalta débarquer, victorieuses, dans le Cap Corse avec un esprit de reconquête.
 
« L’énigme » que constitue la Corse aux yeux de Sir Elliot n’explique pas à elle seule le retrait anglais.
L’ordre d’évacuation donné en août 1796 est motivé aussi par le fait que la France vient de signer avec l’Espagne le traité de Saint-Ildefonse scellant une défense mutuelle face à l’Angleterre.
 
Tout comme Paoli un an plus tôt, Elliot, ex vice-roi « peiné et blessé à vif », s’embarque à Saint-Florent pour ne jamais revenir.
''Paoli fit appel aux Anglais pour échapper à la tutelle jacobine, mais il ne fit que changer de maître.''
Paul Arrighi et Francis Pomponi. Histoire de la Corse
 
Le vice-roi Sir Elliot est investi de tous les pouvoirs.
Paoli est tenu à l’écart de toute responsabilité.
 
Avec la mise en place de nouvelles institutions monarchiques, Bastia devient le siège du parlement anglo-corse, et les Corses sujets du Roi d’Angleterre.
Paoli, chef légal mais dépossédé, mènera une opposition croissante jusqu’à la rupture inévitable et le départ pour l’exil
 
L’idée d’un rapprochement entre Paoli et la Couronne d’Angleterre se confirme dès août 1793 au moment où le général, en rupture avec la Convention, réactive son projet de large autonomie pour la Corse, rêve qu’il avait déjà tenté de réaliser avec la France.
Après des contacts indirects jugés prometteurs, Sir Gilbert Elliot débarque en Corse le 14 janvier 1794 et rencontre le « generale » Paoli à Murato.
 
« Un accord global se fait sur l’autonomie et le maintien des traditions corses, l’Angleterre contrôlant la politique extérieure et le commerce.
C’est sur ces bases que la flotte anglaise intervient pour assurer l’expulsion de l’île des troupes républicaines. »
 
La création du Royaume anglo-corse est votée le 15 juin 1794, alors même que les places fortes du nord de l’île ne sont pas encore toutes libérées.
 
« Le 15 juin, à l’unanimité des présents, est déclaré » rompu tout lien politique et social « avec la France, et George III de Brunswick et ses successeurs sont proclamés ‘‘rois de Corse’’.
Sir Elliot, 43 ans, est nommé vice-roi (octobre). »
 
De nouvelles institutions sont mises en place en vertu de l’accord conclu à Murato entre Paoli et Sir Elliot, dont la teneur reste ambiguë quant à la gouvernance de l’île.
 
« L’accord conclu lors de cette entrevue historique est le point de départ d’un véritable marché de dupes. Le plénipotentiaire britannique est conscient de ce que représente le général, des principes qui l’inspirent.
Aussi transigera-t-il, sans doute en attendant de mieux pouvoir plus tard utiliser d’autres cartes. »
 
Dans l’immédiat, George III devient roi de Corse et les Corses des sujets de Sa Majesté britannique, avec tous les droits et devoirs y afférant.
 
L’île est dotée d’une constitution monarchique, le pouvoir exécutif étant incarné par un vice-roi, Elliot, intronisé trois mois après.
Pascal Paoli en concevra de l’amertume, pensant que ce poste lui revenait naturellement.
 
« Or, l’Angleterre n’a jamais envisagé d’y nommer un habitant du pays : ensuite, tout gentilhomme corse penserait à lui succéder. »
 
Le seul Corse nommé à de hautes fonctions est l’avocat Charles Pozzo di Borgo qui prend la tête du Conseil d’Etat seulement jusqu’en août 1795, avant de passer le relais au britannique Frederic North.
 
Sir Elliot en appelle au ‘‘courage et au patriotisme’’
Gilbert Elliot-Murray-Kynynmound (premier comte de Minto).

Gilbert Elliot-Murray-Kynynmound (premier comte de Minto).

Un Parlement anglo-corse est institué, pouvant être dissous par le vice-roi et ayant son siège à Bastia, en l’église de la Conception.
 
« Au début de janvier 1795, lors de l’ouverture du Parlement de Grande-Bretagne, après que le roi eut fait connaître la protection qu’il avait accordée aux Corses, son acceptation de la couronne de ce royaume, et le contenu de l’acte constitutionnel, les parlementaires se déclarant sensibles à la valeur stratégique de l’île et aux courageux efforts des insulaires pour se libérer du joug des Français, ont recommandé la Corse à la protection du roi. »
 
Sir Elliot imaginera pour le nouveau royaume une devise inspirée d’un vers de Dante « Amici e non di ventura » (Amis et non par hasard).
 
Les membres élus doivent être propriétaires de biens et résider depuis cinq ans dans le district. Le vote est réservé aux hommes âgés de 25 ans au moins.
 
« Si le système est plus ouvert que celui de la Grande-Bretagne et de l’Irlande à la même époque, il marque un recul par rapport à ce qu’a connu la Corse depuis 1729. »
 
L’ouverture du parlement - reportée au 1er février 1795 pour cause de mauvais temps - a lieu sous la présidence du vice-roi.
 
Au cours de cette première séance, Sir Elliot devant 126 membres présents en appelle « au courage, à l’union, et au patriotisme des habitants », car la « préservation de l’indépendance de l’île ne dépend pas uniquement de la protection du roi, la continuation de la guerre est indispensable devant les projets hostiles de l’ennemi. »
 
Chef d’Etat ayant établi le siège de son gouvernement à Corte, Paoli se montre à la fois irrité du choix de Bastia comme siège du Parlement, et critique sur la présence « insuffisante » des troupes anglaises dans l’île.
 
Le désaccord politique entre Paoli et Elliot ira en s’élargissant au bénéfice de Pozzo di Borgo, nouvel homme fort du régime.
 
« Elliot et Pozzo di Borgo de leur côté s’appliquent à isoler le général, tout en effectuant un travail de dénigrement systématique en haut lieu. »
 
Cependant, bien que tenu à l’écart, Paoli reste un rouage indispensable au fonctionnement du système politique voulu et mis en place par l’Angleterre :
« Quant aux Anglais, ils ne veulent pas gouverner avec lui (Paoli), ce qui reviendrait à lui laisser tout le pouvoir, mais ne peuvent gouverner sans lui, puisqu’ils y perdent le soutien des Corses. »
 
Au final, les Anglais s’avouent déconcertés par l’attitude de celui qui les a sollicités.
Reposant sur un malentendu initial, par lequel Paoli attend une protection quand on lui impose une soumission, le Royaume anglo-corse s’avère incapable de résoudre les problèmes issus de la conquête, comme les dysfonctionnements du parlement anglo-corse.
 
En mars 1796, alors que Paoli a quitté la scène politique, des troubles insurrectionnels touchent Bocognano où les gendarmes sont encerclés, des officiers corses assassinés.
L’envoi de la troupe par Elliot ne peut arriver à bout de la sédition.
Deux mois après, Bistuglio est en effervescence, les insurgés réclamant une amnistie générale.
 
« Ils obtenaient de fait du vice-roi la promesse de l’amnistie générale, la suppression de l’impôt sur le sel et de l’imposition territoriale, et finalement la démission de Pozzo di Borgo... »
 
En octobre 1796, les Anglais évacuent la Corse sur ordre de George III, au moment même où Bonaparte remporte ses premiers succès militaires en Italie.
De l’île d’Elbe où il s’est retiré, Sir Elliot résume son échec avec cette formule :
« Je crois que ce peuple est une énigme dont personne ne peut être sûr de connaître la clé. »
 
 
''Le Royaume anglo-corse permit la stabilisation de l’oeuvre révolutionnaire dont les acquis ne furent point remis en question, mais il ne restaura point en Corse cette autonomie de gestion que Paoli avait espérée ; le protectorat anglais le déposséda du pouvoir et le vice-roi Elliot qui se défiait de lui, lui préféra son disciple Charles André Pozzo di Borgo...
Paul Arrighi et Francis Pomponi. Histoire de la Corse.
 
Des corailleurs corses capturés sur les côtes algériennes : L’Angleterre obtient leur libération par la diplomatie
 
Le 15 août 1794, quinze Corses embarqués sur deux navires arborant la tête de Maure sont surpris en train de pêcher sur des bancs de corail près des côtes algériennes.
Arrêtés, ils sont emmenés sous bonne escorte et détenus à Bône.
Le Dey ordonne qu’ils soient enchaînés, informant aussitôt Charles Mace, consul général britannique à Alger de l’incident.
 
Le Dey explique que les Corses « ont été capturés par son peuple toujours en guerre avec le pavillon à tête de Maure, pendant qu’ils volaient son corail. »
 
Le consul intervient pour qu’on transfère les Corses au Consulat britannique.
En vain.
Une semaine après, un nouveau coup de fi let permet d’arrêter 150 corailleurs.
Charles Mace, consul général britannique à Alger estime qu’il s’agit là d’un fait « pouvant avoir de graves conséquences. »
 
Les relations diplomatiques entre Londres et Alger se compliquent. Car en vertu d’une convention signée entre Paoli et l’Angleterre, ces corailleurs sont devenus de fait des sujets britanniques.
 
Dans une lettre du 23 avril 1795, le Duc de Portland suggère à Elliot Vice-Roi de Corse, de traiter l’affaire à l’amiable en amenant le Dey « par un traité à consentir à rendre à la liberté les captifs corses et à mettre les Corses eux-mêmes sur le même pied que les autres sujets de Sa Majesté. »
 
Le 7 septembre, le Dey reçoit une lettre de Sir Elliot lui demandant la libération des captifs corses.
Charles Mace lui précise que « l’Isle de Corse faisait partie des possessions de Sa Majesté britannique, » et qu’il faut libérer les captifs « par amitié pour Sa Majesté. »
 
Le Dey, après un instant de réflexion répond en substance :
« Les Algériens ont toujours été en guerre avec le pavillon corse à tête de Maure et ces bateaux portaient ce pavillon.
Leurs lettres de mer d’ailleurs ne sont point conformes à celles qui ont été convenues entre Sa Majesté et lui.
Ils volaient son corail, ce sont ses propres paroles.
Si c’étaient des Anglais, ils auraient dû s’adresser à lui pour obtenir la permission de pêcher et non s’emparer de sa propriété par la force.
Les différents peuples qui se sont livrés à diverses époques à la pêche de ce corail ont toujours payé un droit. »
 
‘‘Ce ne sont plus mes esclaves’’
 
Le Consul britannique plaide l’argument des lettres de mer égarées, et l’amitié entre George III et le Dey, connu pour son « humanité et sa générosité. »
Mais ce dernier demeure inflexible :
« S’ils avaient hissé le pavillon anglais et s’ils avaient eu des lettres de mer anglaises, mes sujets n’auraient jamais osé les capturer. Ils sont maintenant condamnés. Ce ne sont plus mes esclaves, ils appartiennent à la Régence. »
 
Or, Sir Elliot a bien envoyé une lettre le 24 juin pour informer le Dey, mais celle-ci n’est pas arrivée en temps voulu.
 
Un an après, rien n’a changé.
Le consul Mace est mandaté pour traiter avec Alger la « libération des captifs corses, fait qui s’accomplira sans rançon je l’espère, si nous augmentons les présents habituels. »
 
En novembre, l’affaire n’est toujours pas réglée, mais le ton change, le Duc de Portland espère atteindre le but « sans être obligé de recourir à des mesures plus rigoureuses. »
 
Sir Elliot envisage en effet de régulariser la situation des corailleurs en leur fournissant des lettres de mer.
 
Mais en Méditerranée, de telles lettres « ne peuvent être accordées qu’aux sujets naturels du Roi. »
Elliot fournit alors des Lettres de Marque spécialement destinées à ses sujets corses.
Cette résolution à l’amiable entre l’Angleterre et Alger devra s’accompagner de concessions sur le pavillon.
 
Enfin, au printemps 1796, l’horizon s’éclaircit.
Le Duc de Portland écrit à Sir Elliot :
« J’ai reçu l’ordre de vous signifier la satisfaction et l’approbation de Sa Majesté au sujet de l’heureuse solution obtenue, dans les négociations avec le Dey d’Alger, par l’habileté avec laquelle M. North a exécuté les sages instructions qui lui avaient été données par Votre Excellence. »
 
Mais Sir Elliot est averti :
« Dorénavant toutes les dépenses qui seront encourues au profit de la Corse seront supportées par les revenus de cette île… »
 
En novembre 1796, les Anglais évacuent l’île.
 
Miot arrive, nommé commissaire général extraordinaire en Corse par Bonaparte.
 
 
 
Quarante navires pour faire tomber les citadelles Nelson dirige la conquête militaire de l’île
 
Bastia se rend après 50 jours de siège, sans avoir reçu les secours espérés de la flotte de Toulon.
Calvi capitule devant Nelson qui perd l’usage de l’il droit dans la bataille
 
Sollicités par Paoli, les Anglais prennent pied en Corse par les armes, après huit mois de batailles acharnées où les citadelles de Saint-Florent, Bastia et Calvi tenues par des garnisons françaises, tombent les unes après les autres.
Une flotte de quarante navires battant pavillon britannique se présente dans le golfe de Saint-Florent le 6 février 1794.
 
La petite cité est – mal - défendue par Gentile chef d’une troupe inopérant :
« Il n’avait d’autres soldats que les plus misérables habitants du lieu qui se trouvaient présents aux revues de paiement et de vivres, mais qui ne bougeaient pas lorsqu’il fallait partir. »
 
S’emparant d’abord de la tour de la Mortella, les Anglais débarquent dans le secteur de Saleccia.
Trois mille hommes s’activent à transporter l’artillerie sur des points élevés afin de pouvoir bombarder la tour de Fornali.
 
L’attaque coûtera 600 hommes d’élite aux troupes françaises.
 
Saliceti est pessimiste :
« S’ils réussissent dans leur entreprise, Bastia ne pourra pas tenir, le sort de cette place dépend entièrement du succès qu’auront le peu de troupes que nous avons à Saint-Florent. »
 
En effet, le commissaire Lacombe Saint-Michel doit se replier sur Bastia le 19 février, où il organise la résistance avec une petite armée de 3 000 hommes dotée de 62 canons.
 
Dans le même temps, Nelson - qui n’est pas encore amiral mais capitaine de vaisseau commandant une division de frégates - débarque ses troupes de marine à Lavasina et prend Miomo.
Un plan est alors concocté par le général Paoli pour prendre Bastia en tenaille avec Galeazzi dans le Cap corse et Achille Murati au sud.
La ville est cernée par la flotte de l’amiral Hood et les troupes anglo-paolistes.
 
Le 28 février, Lacombe Saint-Michel s’alarme, écrivant à Saliceti :
« Voilà 21 jours, mon cher Saliceti, que les Anglais nous attaquent par terre et par mer.
Je t’en ai prévenu déjà cinq fois, je n’ai négligé aucun moyen de t’écrire.
Il y a 72 jours que Toulon est repris, et tu ne viens pas à notre secours, arrive donc vite. »
 
Saliceti demandant des instructions, Carnot au nom du Comité de Salut Public lui répond « qu’il est trop loin du théâtre de cette guerre pour se prononcer sur le parti qu’il convient de prendre. »
 
Lacombe Saint Michel fuit vers Capraja.
 
Le 5 mars, l’escadre anglaise sème la terreur en bombardant Bastia.
Le 6 mars, Lacombe Saint Michel désemparé fait jouer un argument politique.
 
À savoir que si Toulon ne lui vient pas en aide, cela prouverait aux yeux de Paoli « que la France est dans l’impossibilité de secourir la Corse et qu’il engage ses compatriotes à se donner aux Anglais qui, seuls, peuvent les protéger. »
 
Le 14 mars, Lacombe Saint Michel lance un ultime appel à Saliceti, demandant « à être rappelé de la mission pénible qu’on lui a confiée. »
 
La nuit du 27 avril, le défenseur de Bastia s’embarque discrètement pour Capraja, et de là, gagne Gênes pour officiellement « chercher du secours ».
Le lendemain, on s’empresse de rapporter aux Anglais que le commandant de la place de Bastia a pris la fuite.
 
Mais depuis Gênes, Lacombe Saint Michel justifie son départ, après avoir donné ses ordres au général Gentili et tenu informé le podestat :
« Je vous envoye, citoyens, la copie de la lettre que j’écris à mes collègues de l’armée d’Italie.
Vous y verrez les raisons puissantes qui m’ont déterminé à venir presser les secours qu’exige la Corse.
Il fallait sauver cette partie de la République. »
 
Dans sa réponse du 8 mai, le Comité de Salut Public n’adresse aucun reproche à Lacombe Saint-Michel, le considérant comme un « véritable sauveur ».
Le 22 mai, l’ordre est enfin donné à l’escadre de Toulon d’appareiller, mais il est trop tard.
 
« Le 22 mai à six heures du soir, les troupes britanniques quittent leurs positions et s’avancent au son de God save the King.
À sept heures, les couleurs françaises sont amenées de tous les forts et de tous les campements sur les hauteurs. »
 
Bastia qui n’a plus ni vivres ni munitions, vient de capituler « avec les honneurs de la guerre », après cinquante jours de siège où 12 000 boulets sont tombés sur la ville.
 
Bastia tombée, Nelson se lance aussitôt à l’assaut de la citadelle de Calvi, réputée imprenable avec sa devise « semper fidelis », et tenue par une garnison française commandée par le général Raphaël de Casabianca.
 
À bord de l’Agamemnon, vaisseau portant 74 canons, le vainqueur de Bastia organise méthodiquement le siège de Calvi, rendant compte quotidiennement à l’amiral Hood des opérations en cours.
Avec le général Stuart, il examine la côte afin d’établir un lieu idéal d’invasion, et le 19 juin, les troupes d’infanterie de marine débarquent en hissant six pièces d’artillerie sur les collines.
Samuel Hood, par James Northcote

Samuel Hood, par James Northcote

 
Les assiégés demandent une trêve en espérant du secours.
 
Or, la flotte anglaise loin de ses bases, doit compter avec l’imprévu.
Certains navires manquent d’hommes mais aussi de viande.
 
La malaria sévit faisant presque autant de victimes que la poudre.
Nelson réclame trois cents paires de souliers pour ses marins qui, sous une pluie continue, doivent traîner les canons en répondant aux tirs des Français depuis la citadelle.
Une batterie est construite à la Revellata, et on active les préparatifs en disposant des tonneaux et du sable.
 
Le 4 juillet, le siège commence :
« La batterie du Royal Louis ouvrit le feu, à la pointe du jour, sur le fort de Monachesco et fit subir, avant le soir, des dégâts considérables aux ouvrages de l’ennemi. »
 
On se livre à une guerre des nerfs, avec des tirs au canon la nuit.
Nelson ne doute pas de la victoire, écrivant à sa femme :
« Nous prendrons Calvi au moment voulu et, je l’espère, sans grande perte d’hommes.
Je suis très occupé, et me sens cependant dans mon véritable élément. »
 
Le 10 juillet, les défenseurs sont contraints d’abandonner complètement la batterie de la Fontaine.
 
Le 12 juillet, Nelson blessé, écrit à l’amiral Hood :
« À sept heures je fus fortement meurtri à la face et aux yeux par du sable provenant du choc des boulets contre les ouvrages. »
 
Puis il rajoute : « Ce n’est pas bien grave comme vous pouvez en juger par mon écriture. »
 
Or, cette blessure lui coûtera l’usage de l’il droit.
Auprès de sa femme, il minimise, parlant « d’égratignure, » mais à ses supérieurs il avoue :
« Il s’en est fallu de la largeur d’un cheveu que ma tête ne fût emportée. »
 
Après dix jours de siège, Nelson ne doute pas un seul instant de la prise de Calvi.
Le 18 juillet, après l’arrivée de poudre et de munitions, 112 marins débarquent de l’Agamemnon.
À mains nues, ils tractent 25 pièces de grosse artillerie afin de bombarder la ville.
 
Le 22 juillet, Nelson écrit à Hood :
« Dans une semaine au plus, après que nos batteries auront ouvert le feu, je crois que Calvi sera à nous. »
 
La situation de la citadelle devient critique et les assiégés demandent une trêve.
Nelson finit par accepter en limitant sa durée, car le temps joue en faveur des Français qui attendent, comme à Bastia, un secours de Toulon.
 
Le 31 juillet, « les maisons de la citadelle étaient très endommagées et brûlaient en trois endroits. »
 
Les Anglais hésitent à tirer sur la Basse Ville qui est semée de pavillons noirs signalant des hôpitaux.
 
Le 1er août, la garnison hisse un pavillon blanc.
 
Calvi capitule, au soulagement de Nelson qui écrit à Hood :
« Je me réjouis de voir de nouveau en vue le Victory et je puis maintenant féliciter déjà Votre Seigneurie sur la soumission totale de la Corse, solution que vous aviez beaucoup à coeur et qui s’est fait attendre bien plus longtemps qu’on ne pouvait calculer. »
 
Le 10 août à 9 heures, trois cents hommes de troupe et marins se rangent en bataille « devant la grande porte pour recevoir la garnison de Calvi qui à dix heures, sortit avec deux pièces de canon et les honneurs de la guerre. »
 
Parmi cette garnison, il y avait 247 Corses.
Nelson s’empare des frégates françaises la Melpomène et la Mignonne.
 
La phase militaire terminée, les Anglais ouvrent alors le chapitre politique, mettant en place de nouvelles institutions marquant la cession de la Corse à la Grande-Bretagne, qui sera scellée par la nomination de Sir Gilbert Elliot au poste de vice-roi.
 
Une plaque en mémoire du lieutenant Moutray
 
 
 
« En Corse, le climat est plus redoutable que l’ennemi »
Nelson.
 
Les nombreuses victimes recensées lors des opérations de 1794 en Corse, sont dues autant à la malaria qu’à la guerre.
Nelson s’est ému du décès du jeune Moutray, dont il appréciait la valeur, au point de lui édifier une stèle ainsi rédigée :
« À la mémoire du lieutenant Jacques Moutray de la Marine Royale qui, servant à terre au siège de Calvi, fut emporté par la fièvre. Sincèrement pleuré le 19 août 1794, âgé de 21 ans. »
 
Cette épitaphe signée H N à savoir Horatio Nelson, figure sur la plaque funéraire miraculeusement préservée. Recherchée depuis par les gardiens de la mémoire de l’amiral anglais regroupés à Londres au sein du Club 1805, elle a été présentée à Corte au Musée de la Corse en 2011 dans le cadre de l’exposition « Mare Nostrum les Corses et la mer. »
 
Figurant aujourd’hui parmi les traces rarissimes du Royaume anglo-corse, cette plaque dédiée au jeune lieutenant Moutray, filleul de l’amiral Hood, attend de trouver un écrin digne de sa valeur historique et patrimoniale.
 
 
 
Atteinte présumée au buste de Pascal Paoli :
Mis en cause, Sir Elliot dénonce ''une misérable fiction''.
 
Le 3 juillet 1795, un grand bal donné à Ajaccio en l’honneur de Sir Elliot, est à l’origine d’un incident aussi futile qu’inattendu, mais qui témoigne bien de la mésentente grandissante entre le général de la nation et le vice-roi de Corse.
 
Afin de protéger le buste en plâtre de Paoli, jugé trop volumineux on le transporte dans une salle attenante.
Plus tard, le buste est retrouvé abîmé.
Paoli estime qu’il s’agit là d’un acte de malveillance caractérisé contre sa personne, des propos jugés indignes par Sir Elliot.
 
À travers l’échange épistolaire qui s’ensuit entre Bastia et Londres, deux versions irréductibles s’opposent.
Les Paolistes crient au scandale, et les Anglais à la calomnie.
 
Sir Elliot s’en explique dans une lettre au Roi :
« Des gens mal intentionnés, gens de peu pour la plupart, des soldats ou des sergents de ce même bataillon écrivaient à Paoli que son buste avait été insulté et mis en pièces par le capitaine Colonna, un de mes aides de camp, en ajoutant mille détails aussi absurdes qu’extravagants.
Paoli s’empressa de faire circuler cette histoire, et aussitôt un grand nombre de partisans accoururent à Rostino renouveler au Général l’assurance de leur dévouement et lui offrir leurs services pour venger cet affront. »
 
Au vice-roi menant sa petite enquête, le capitaine Colonna jure sur son honneur que « non seulement il n’avait pas commis un acte aussi honteux qu’absurde, et que même il en entendait parler pour la première fois. »
Pour sa part, Pozzo di Borgo abonde dans ce sens, écrivant à Paoli pour lui certifier que cette affaire est pure invention.
 
Sir Elliot retourne à Ajaccio afin de constater par lui-même l’état du buste :
« Je dois reconnaître, toutefois, que le plâtre s’était légèrement effrité au bout du nez…
Ce dégât paraissait avoir été occasionné par un frottement quelconque et non par un coup ou une incision. »
 
Or, l’affaire a « trop de prix aux yeux de Paoli pour qu’il se décide d’y renoncer. »
Paoli – selon Elliot - ne tient aucun compte des preuves apportées démontrant la calomnie, et il « crie dans toute la Corse que son buste a été insulté par mon aide de camp. »
 
Le capitaine Colonna écrit à Paoli niant énergiquement les faits qui lui sont reprochés, et demande une confrontation avec ses accusateurs.
 
« Paoli a déclaré qu’il ne répondrait pas à cette lettre. »
 
Sir Elliott nommant une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur l’affaire du buste de Paoli, résume la situation avec une pointe d’ironie :
« En un mot, une persécution quelconque lui est absolument nécessaire pour ses desseins, et comme il n’en a pas d’autre, il est obligé de se contenter de cette misérable fiction. »
 
Dans la Castagniccia en ébullition, des pétitions circulent, demandant le renvoi de Pozzo di Borgo.
 
Sir Elliot écrit au Duc de Portland sans ménager Paoli :
« Il est inutile de dire à Votre Grâce quel est le but poursuivi par Paoli.
C’est celui d’arriver par un moyen quelconque à régner en Corse.
Si je suis rappelé, il espère être nommé Vice-Roi…
En un mot, comme il le dit maintenant lui-même, il voulait créer une Régence dont il aurait été le maître. »
 
Convaincu qu’il ne doit pas céder à ceux qui souhaitent son départ, Sir Elliot demande à Londres de le soutenir dans l’épreuve et plaide pour le départ de Paoli :
« Je crois pourtant que tout finirait à l’avantage de tous si on rappelait définitivement Paoli de Corse.
Tant qu’il restera ici, le sol sera toujours plus ou moins creux sous nos pieds. »
 
Le 14 octobre 1795, Paoli s’exile une seconde fois à Londres où il meurt en 1807.
Le port de Saint-Florent, où Paoli a embarqué pour l'exil en 1795 suivi de Sir Elliot en 1796 Document Corse-Matin L'amiral Hood, commandant les forces navales britanniques en Maditerranée. L'amiral Hood, commandant les forces navales b

Le port de Saint-Florent, où Paoli a embarqué pour l'exil en 1795 suivi de Sir Elliot en 1796 Document Corse-Matin L'amiral Hood, commandant les forces navales britanniques en Maditerranée. L'amiral Hood, commandant les forces navales b

CHRONOLOGIE
 
1794
 
4 janvier : Paoli se place sous la protection de George III roi d’Angleterre
16 janvier : Sir Elliot, ministre plénipotentiaire est reçu par Paoli à Murato
17 février : Les Anglo-Corses prennent Saint-Florent. Les troupes françaises de Lacombe Saint-Michel se replient sur Bastia.
14 avril : Alors que Bastia est bombardée, le commissaire Lacombe Saint-Michel quitte la Corse pour ‘‘chercher du secours’’ à Gênes, confi ant la ville au maire Galeazzini.
25 mai : Bastia se rend avec les honneurs de la guerre.
9 juin : Nelson assiège Calvi, bastion défendu par Raphaël de Casabianca
19 juin : Ratifi cation de la Constitution du Royaume anglo-corse, rédigée par Pozzo di Borgo. Une constitution monarchique où le Roi détient le pouvoir législatif
14 août : Reddition de Calvi après une résistance acharnée. Nelson perd l’usage d’un il.
Novembre : Sir Elliot est proclamé offi ciellement Vice-Roi de Corse.
 
1795
 
9 février : Première séance à Bastia du parlement anglo-corse.
Mai : Pascal Paoli est à Bastia où il rencontre Sir Elliot. Leur désaccord se confirme.
17 septembre : Sir Elliot fait savoir à Paoli que le Roi le réclame à Londres
14 octobre : Paoli s’embarque à Saint-Florent pour Livourne. Il ne reverra jamais la Corse.
4 décembre : Le Vice-Roi prend un décret de réouverture de l’Université de Corte.
 
 
1796
 
26 mars : Tensions à Bocognano où des offi ciers de l’armée d’Italie déclenchent les hostilités contre les Anglais. Sir Elliot décrète la loi martiale.
3 juin : Sir Elliot demande à parlementer avec les insurgés.
Juillet : Des patriotes corses exilés rentrent dans l’île, soutenus matériellement par Bonaparte durant la campagne d’Italie.
Octobre : Les Anglais regroupent leurs forces pour évacuer l’île. Bonaparte annonce que la Corse est restituée à la République
Novembre : Retiré sur l’île d’Elbe, Sir Elliot renonce à son titre de Vice-Roi de Corse.
 
 
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