LES ENFANTS D'AJACCIO.
LES ENFANTS D'AJACCIO.
Ajaccio m'aura peut-être donné un avant-goût de cette Naples que j'ignore.
 
Telles doivent être, au bord du golfe unique, la mollesse de l'air et la liberté de la vie.
 
La rue basse que j'ai suivie en entrant dans la ville longe presque la mer.
Elle est d'abord triste et sordide, mais sur le port, elle s'égaye; des ruisseaux d'une eau claire et brillante sortent de conduits souterrains et se jettent en bouillonnant sur le gravier et sur le sable des rivages.
 
De jeunes ouvrières groupées aux embouchures ont retroussé leurs jupes et, baignant leurs pieds nus dans l'écume, battent le linge.
 
Une autre rue, moins vaste, tortueuse et bordée de hautes maisons, me jette au milieu d'un monde d'enfants.
Ils forment des monceaux véritables, grouillant au-dessus du pavé, accrochés aux linteaux des portes, aux grilles, aux croisées, saignant, pleurant, criant à même le ruisseau.
Mais cette marmaille est très belle.
 
Ne rêvez point de gras petits anges qui sonnent la trompette dans les tableaux d'église.
Demi-nus sous un vague fourreau d'étoffe claire, robe ou chemise, selon qu'il tombe aux chevilles ou s'arrête à mi-cuisse, ces minces corps d'enfants sont fermes, lisses, purs comme un marbre teinté d'or pâle.
Le grain de peau très serré y montre les muscles à vif.
 
Si attentivement qu'on regarde ces milliers de petites jambes, on ne découvre aucune trace de chaussettes.
Tout au plus si quelques sybarites ont des souliers.
Ce luxe oriental est dédaigné de ceux-là même qui en usent; à tout propos, leurs pieds reviennent à la liberté.
 
Je pense qu'ils y gagnent cette souple vivacité, cette harmonie charmante du pas et de la course qu'un regard étranger ne se lasse point d'admirer.
 
On se plaint de les voir malfaisants et injurieux.
Mais c'est la lamentation de toutes les mères. A mesure que l'après-midi avançait, les jeux, les courses, les querelles ne faisaient qu'embellir. Formés autour des chefs, par petits pelotons, ils se lançaient violemment les uns contre les autres et les marchandes de figues de Barbarie pleuraient leurs paniers renversés.
 
Ou chaque bande s'appliquait à se plier aux gestes d'un conducteur élu, se courbant avec lui, courant s'il se met à courir, avalant la poussière s'il y pose sa bouche, et se pendant à l'habit des pauvres passants.
Ecole de discipline et de brigandage, aimable pépinière de gendarmes et de bandits.
 
J'admirai la chaleur d'un sang demeuré jeune et chaud, avec le nombre infini de ses rejetons.
- Ah! monsieur, les enfants! me disait une dame corse: c'est notre plaie d'Egypte, ce sont nos sauterelles.
 
Extrait du livre: Corse et Provence, de Charles Maurras

Photo Almasy.

Article prose par Charles Versini.

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