Responsable d’opération : Gilles Giovannangeli
Notice rédigée avec David Ollivier
L’essentiel de la campagne 2018 (fig. 1) a concerné, comme les années précédentes, un bâtiment arasé aux moellons maçonnés au mortier de chaux, qui était implanté au cœur de la basse-cour.
Désormais, toute la partie orientale de ce bâtiment (soit près de la moitié de la superficie utile évaluée à 36 m2) a été fouillée au moins jusqu’au sol d’occupation du xive s.
La masse des décombres (moellons, pierrailles, fragments de mortier, etc.) qui ennoie le secteur sur plus de 1 m d’épaisseur a nécessité un travail fastidieux mais vigilant d’enlèvement de remblais.
Loin d’être stériles, ces niveaux d’abandon recèlent en effet du mobilier archéologique et de grandes quantités de matériel osseux provenant des pentes rocheuses qui dominent la basse-cour au sud.
Plusieurs éléments significatifs de ce bâtiment, qu’on peut désormais qualifier de logis seigneurial, ont été mis au jour :
une embrasure de porte (l. 1,10 m ; prof. : 0,82 m) avait été aménagée dans l’angle sud-ouest du bâtiment. Elle se caractérise par des piédroits en pierre de taille, d’un module supérieur à celui des moellons des murs. Ils sont conservés sur une hauteur de 0,98 m pour le piédroit oriental et de 1,40 m pour le piédroit occidental.
Aucun d’eux ne présente de trace de feuillure pour appuyer la porte.
Le seuil est constitué pour l’essentiel d’une grande dalle de granite débordant vers l’intérieur de la pièce et recouverte de terre battue.
Il est en connexion avec le dernier sol d’occupation médiévale ;au centre du bâtiment, un foyer circulaire (diam. 0,90 m) bordé de pierres posées de chant, avec quelques manques dans sa partie méridionale, a été dégagé des décombres.
L’intérieur de cette structure n’était pas tapissé par une sole d’argile, mais formé d’un agencement de pierres.
L’existence de foyers à sole d’argile est pourtant attestée en plusieurs endroits du site.
Des fragments d’argile rubéfiée appartenant à un foyer détruit ont ainsi été recueillis dans ce même bâtiment, mais dans une couche stratigraphique antérieure ; d’autres fragments d’une sole d’argile décorée d’empreintes circulaires ont également été localisés près de la muraille nord (fig. 2).
Sur le sol du logis, dans le périmètre fouillé cette année entre la porte et le foyer, les niveaux d’abandon recelaient un mobilier très diversifié témoignant d’une occupation du xive s. :
- grandes quantités de tessons de céramiques modelées locales (260 fragments) à la typologie variée (pots à bords éversés, marmites à anses intérieures, etc.) et de tessons de céramiques importées (36 fragments, en majorité du « vert et brun » pisan).
S’y ajoutent de petites monnaies de cuivre attestant de la double influence de Pise et de Gênes, des fragments de verre fin, des clous et des crochets ainsi que divers objets ou fragments métalliques relevant de l’équipement du guerrier et de son cheval (élément décoratif de harnais en bronze doré présentant une forme en croissant (fig. 3), plaquettes rivetées de broigne ou de brigantine, petites tôles de cuivre décoratives, noix d’arbalète en os, etc.).
Mais l’ensemble des unités stratigraphiques de ce secteur se caractérise surtout par de grandes quantités de déchets osseux (gros et petit bétail) avec de nombreux fragments d’os longs qui portent des traces très nettes de découpe.
Sous le sol en terre battue aménagé au xive s., le sondage restreint réalisé l’an dernier dans l’angle nord-est du logis a été étendu pour atteindre désormais 4 m2.
Il a permis de mettre au jour un premier aménagement antérieur à la construction du logis.
Il s’agit de trois blocs de granite alignés formant un mur orienté est-ouest directement construit sur le substrat. Bien que la surface d’observation de ce niveau soit limitée, il pourrait s’agir d’un mur de soutènement destiné à casser la pente naturelle, peut-être aménagé dans le courant du xiiie s.
Il semble évident que lors de l’édification du logis, les murs périmétraux ont d’abord été construits, puis dans un second temps, l’intérieur du nouveau bâtiment a été remblayé, scellant ainsi ce mur de soutènement, afin de créer une surface d’occupation relativement plane.
4Un deuxième périmètre de fouille a concerné cette année la barre rocheuse d’une trentaine de mètres de long qui domine la basse-cour au sud-ouest.
Après les débroussaillements de 2016, des vestiges de murs et d’éléments défensifs avaient été identifiés mais seulement aux deux extrémités :
- la base d’une petite tour quadrangulaire maçonnée sur l’un des rochers les plus élevés du site à l’extrémité occidentale et des arases de murailles à l’extrémité méridionale.
Les recherches ont porté cette année sur la partie centrale de ce môle rocheux, à proximité des vestiges d’une étroite citerne engagée entre deux rochers et dominée par de rares lambeaux de murs.
Dans ce périmètre, trois sondages limités ont été implantés l’un au-dessus de l’autre, sur trois gradins :
- le premier en partie haute du môle, sur un replat d’environ 8 m2 qui a pu servir de lieu de vie, et les deux autres sur des gradins à la base de la citerne.
Ils n’ont pas révélé de structures nouvelles et n’ont donc pas permis de résoudre le problème de la cohérence ou de la discontinuité des aménagements réalisés sur ce môle rocheux.
Mais, bien que limités en superficie, et malgré leur faible ampleur stratigraphique (le substrat granitique a été rapidement atteint dans deux d’entre eux), ces sondages ont livré un matériel archéologique remarquablement diversifié :
- des tessons de céramiques modelées et de céramiques importées attribuables aux xiiie et xive s., du verre fin, plusieurs fragments métalliques (dont deux plaques rivetées de broigne) et deux monnaies (une peu lisible en alliage cuivreux et un denaro génois en alliage d’argent frappé entre 1139 et 1339 ; fig. 4).
Le sondage implanté immédiatement à la base de la petite citerne a aussi révélé une exceptionnelle accumulation de fragments osseux débités.
Au vu de ces résultats, on peut désormais considérer ce périmètre rocheux comme un premier noyau fortifié et habité du site et non comme un simple lieu de guet ou de refuge épisodique.
Si l’organisation de cette première « rocca » n’a pu être que partiellement élucidée, on ne peut exclure dans ces rochers l’existence de structures de bois associées à des bases maçonnées, hypothèse confortée par l’existence de plusieurs trous d’ancrage.
Fig. 4 – Denaro, République de Gênes (frappé entre 1139 et 1339) Diam. 17 mm, argent. Cliché : G. Giovannangeli (LA3M).
Alors que les recherches sur plusieurs composantes de ce château seigneurial (basse-cour, logis, fortification) ont bien progressé, la question d’un bourg castral hors les murs reste posée.
6Les prospections entreprises dès la campagne 2016 aux abords de la fortification se sont poursuivies cette année.
Il s’agissait de réaliser les premiers relevés topographiques de ces petites structures bâties formées de gros blocs alignés au sol ou de murs à double parement qui ont pu être repérées dans une végétation dense sur les flancs sud et ouest du massif rocheux.
7Quatre d’entre elles, proches du chemin d’accès, ont fait l’objet d’une opération de débroussaillement et de nettoyage pour permettre de les positionner sur le plan d’ensemble du site.
Mais compte tenu du gros travail effectué cette année à l’intérieur de la fortification, aucun sondage archéologique n’a pu être implanté dans ce périmètre hors les murs.
Gilles Giovannangeli, David Ollivier, « Sartène – Castellu di Tali »
© ministère de la Culture et de la Communication, CNRS