Publié depuis Overblog et X (Twitter)
Prendre au sérieux le traitement des déchets peut paraître inintéressant. Et pourtant. Il y a bien un contenu philosophique à cette question brulante de l’actualité.
Marcel Mauss, l'un des fondateurs de l’anthropologie n’hésitait pas à affirmer :
En Corse, nos communautés rurales étaient plus « propres » en terme systémique car plus sobres et plus économes, tout ou presque était réutilisé.
La Loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse confie à la Collectivité Territoriale de Corse l’élaboration des plans d'élimination des déchets.
En mai 2016, devant le retard accumulé, l’Assemblée de Corse adopte après délibération, des mesures d'urgence.
Prise de conscience tardive.
Les Corses, quant à eux découvrent l’ampleur du problème lorsqu’en 2016, 4000 tonnes de déchets s’accumulent dans les rues de Bastia pendant les fêtes de Noël.
Il y aura ensuite l’épisode de la mise en balles et de l‘exportation qui va consacrer l’échec collectif de notre île, de sa population et de ses représentants, actuels et passés.
On le voit, la prise de conscience aura été tardive et son effectivité est toujours aux abonnés absents.
Voilà pour le paysage.
Après l’examen des faits, voyons les chiffres, ceux qui concernent le citoyen (à l’exclusion des déchets professionnels). En 2018, la Corse a produit 236 000 tonnes de déchets ménagers et assimilés (chiffres Syvadec).
- 73 000 T font l’objet d’un traitement, 23 000 sont issues de la collecte sélective (les fameux bacs de couleur) et 50 000 passent en recycleries,
- 163 000 T sont enfouies, dont 148 000 tonnes d’ordures ménagères,
Ce qui veut dire que plus de la moitié de nos déchets part sous terre sans être recyclée.
Les Corses et leurs hôtes, les résidents non permanents, produisent 721 KG /hab/an.
Le volume des ordures ménagères résiduelles destinées à l’enfouissement reste élevé :
- 425 kg/an/habitant contre 254 kg/an/habitant en moyenne nationale.
Le taux de tri est de 30% (le chiffre serait surévalué) alors qu’il est de 70 % en Sardaigne !
Si le tri est en progression, le volume des déchets à traiter augmente plus que proportionnellement du fait de la croissance de la population.
Les difficultés de mise en œuvre du plan sont liées aux opérations de tri particulièrement des biodéchets, de sur-tri, et finalement de stockage.
De là, un coût de gestion publique des déchets ménagers par habitant bien supérieur à la moyenne nationale, + 64 % par rapport aux zones touristiques.
Le surcoût est notamment dû au transport (25 % contre 8%) et à la collecte (50% contre 37%).
Plusieurs enjeux.
Il est acquis que nos habitudes à brûler la chandelle par les deux bouts, en surconsommant et en rejetant plus que de raison, doivent prendre fin, rapidement.
On reste pantois quand on pense à ces camions qui traversent notre île da la punta à la Giraglia sinu à Capu Pertusatu pour se rendre à Vighjaneddu.
Le deuxième enjeu concerne le contrôle des richesses engendrées par le traitement des déchets.
Comme indiqué plus haut, le déchet a changé de statut, sous nos yeux et en une seule génération.
Il est vrai que la chaîne de valeur des déchets est loin d’être transparente.
Le troisième enjeu est démocratique.
Compte tenu du retard des infrastructures, les Corses vont devoir faire un effort financier sans précédent.
Alors, qui est légitime pour décider de la façon de traiter ces déchets ?
A ce titre, on peut douter de la légitimité (l’intelligence ?) de l’Etat lorsqu’il passe au-dessus du vote de l’assemblée régionale (décision de la Préfète de région en janvier 2020), des collectivités locales et de la volonté des populations de Vighjaneddu et de Ghjuncaghju.
Quels enseignements tirer de la crise des déchets ?
Peut-on raisonnablement confier le traitement de ses déchets, ceux de sa maison, de son village, de sa ville à d’autres ?
Sabines Barles, universitaire et auteur d’un livre roboratif intitulé L’invention des déchets urbains suggère d’utiliser la notion de métabolisme pour mettre en évidence les flux de matière et d’énergie des villes.
Selon l’auteure :
On le voit la solution est globale.
Le retour à des relations de proximité est le nouveau paradigme qu’impose la transition écologique.
Notre éloignement de la terre, de notre condition de terrien a été rapide.
Repartir à la conquête de nos responsabilités.
Alors, comment repartir à la conquête de nos responsabilités et refuser la logique du « micca annant'à mè » pour une logique du « piddu a me parti » ?
L’incapacité de la Corse à faire face à ses besoins provient essentiellement du phénomène bien décrit du "Not in my back yard" NYMBY cette forme de repli, de campanilisme étroit, qui en Corse, est alimenté par les difficultés et les nuisances induites par les trop rares centres d’enfouissement existants.
Leur surexploitation a entrainé un rejet irrationnel des déchets qu’on ne saurait voir proches de chez soi, fussent-ils les siens.
A ce jour tous les projets de centres d’enfouissement y compris les plateformes de compostage de déchets organiques suscitent la création de collectifs qui craignent de subir le sort des centres existants.
L’acceptabilité sociale de l’idée de territoires perdus, sacrifiés, figure épouvantail de la crise, n’est pas tenable, démocratiquement ni écologiquement.
Car l’écologie, comme devrait l’être une république, n’est pas divisible.
Pour ne pas être suspectés de comportements campanilistes, certains de ses élus verdissent leurs arguments.
Il s’agit de décrier l’enfouissement au profit du « traitement thermique » (faux nez de l’incinération) ou de prétendre que le tri peut à lui seul régler le problème des déchets.
Il n’en est rien.
N’en déplaise aux Nymby (élus et quidam), il va falloir trouver une solution collective de traitement pour traiter les déchets résiduels. Et la charge devra être partagée…
Le Centre d’enfouissement Technique (CET) de Vighjaneddu, arrivé à saturation en 2018 a reçu l’autorisation d’une première extension verticale prenant la forme d’un dôme de 223 000 tonnes, qui s’ajoute à la capacité initiale de 450 000 tonnes.
Pour faire face à une saturation régionale récurrente, une nouvelle extension de 75 000 tonnes est demandée en 2021, elle vise à assurer la soudure entre le CET (« Vighjaneddu 1 ») et … la nouvelle installation classée dite Vighjaneddu II (Installation de Stockage de Déchets Non Dangereux (ISDND) !
Ainsi, le traitement des déchets se fera en juin prochain à partir de seulement deux Centres d’enfouissement privés (un troisième a obtenu une autorisation d’exploitation à Ghjuncaghju).
La décision prise par la Préfecture d’autoriser le classement en IS Vighjaneddu II a de fait, mis en place un dispositif délétère à deux opérateurs qui exonère les communautés de communes et les élus de leur responsabilité locale.
Ces sites se trouvent en situation d’imposer leur tarification.
Lorsque l’on connaît la convoitise qu’exerce le domaine des déchets, on peut raisonnablement s’inquiéter du potentiel conflictuel et criminogène de la décision prise par L’Etat.
Une fois déverrouillée le syndrome du « micca annant'à mè », le champ des possibles s’ouvre à des solutions de proximité, et la crise devient traitable.
La création de sites de taille modeste (autour de 20 à 30 000 tonnes) aux dimensions de 2 ou 3 communautés de communes d’une part et le traitement spécifique des déchets urbains en périphérie des Communautés d’agglomération d’autre part sont de nature à réunir les vertus et les principes que réclament la crise :
- Raisonner un service public (qui limite et maîtrise le recours aux opérateurs privés) dans la double perspective de leur traitement et de leur valorisation ;
- Raisonner le traitement de la totalité des biodéchets selon un principe de proximité de traitement et de valorisation
- En direction d’une autonomisation des communautés aux différentes échelles en concentrant les moyens humains et financiers vers le tri à la source.
- Une prise en charge collective du traitement des déchets résiduels selon les principes de solidarité et d’autonomie,
- Une rationalisation des dépenses d’équipement qui écarte l’exportation de matières vers d’autres territoires.
A la vision d’une écologie qui finit aux portes de sa maison, gageons que les Corses substitueront une logique de responsabilité citoyenne, Dimmi quant'è tu ghjetti è induve ghjetti, ti diciaraghju quale sì ?
Jean Pereney et Jean-Michel Sorba