LES ARABES ET LA CORSE
LES ARABES ET LA CORSE
À partir de 704, les Arabes effectuent leurs premiers raids contre la Corse, qui dureront plus de cinq siècles.
Lorsque Charlemagne devient roi des Lombards, en 774, il confirme une partie de la donation de Quierzy que son père avait faite au pape Étienne II.
La Corse entre alors dans l’obédience du Saint-Siège, sans effet réel et immédiat pour le successeur de celui-ci, Adrien Ier.
 
Les Arabes d’Espagne et d’Afrique du Nord multiplient les attaques sur les côtes corses et mettent les ports à sac, coupant l’île du continent durant près de trois siècles.
La population recule à nouveau dans les montagnes et fait appel au pape, supposé propriétaire de l’île.
C’est la Marche de Toscane, déléguée par le pape, qui vient à son secours.
Selon certains historiens, le blason et le drapeau à la tête de Maure tireraient leur origine de cette époque.
En 852, nombreux habitants de la Corse, pour échapper aux Sarrasins, venaient à Rome : le pape Léon IV les reçut et leur donna le monastère de San Cesareo pour le culte.
 
La Méditerranée est autant une mer musulmane qu’une mer chrétienne durant toute la période médiévale et moderne : tout l’enjeu est là, à savoir la domination arabe contrecarrant les dominations pisane, génoise, vénitienne et espagnole.
La géographie l’impose : la partie nord du Mare Nostrum est aux mains des chrétiens, les rivages sud et est sont aux musulmans.
 
Toutefois, la nature des rapports entre le monde musulman et la Corse est particulière :
ici, point de relations commerciales (la Corse vit en quasi autarcie et sur le principe de l'autosubsistance et du troc, la population locale est pauvre) ou diplomatiques, pas de conflits armés au sens strict du terme, mais une occupation endémique et violente.
L'île est essentiellement un réservoir d’esclaves et de nourriture pour des Barbaresques venus pour la plupart des côtes du Maghreb.
Le sentiment d’unité nationale n’existe pas puisque l’île est sous le joug de l'église de Rome et des puissances maritimes étrangères, et qu’elle subit la présence de petits chefs locaux plus aptes à se faire la guerre qu’à s’unir contre la présence étrangère, quelle qu’elle soit.
La pax romana n'est plus qu'un lointain souvenir et l'organisation féodale de la société insulaire n'apparaîtra que plus tard.
A noter que ce sentiment national prendra naissance très localement à partir du XIIIème siècle mais ne pourra être un ciment qui lie unanimement les Corses entre eux puisque des rivalités internes les amènent à se faire la guerre.
Même Pasquale Paoli a eu en son temps à faire face à des ennemis de l’intérieur, favorables à Gênes ou aux français.
 
Les premiers Arabes débarquent en Corse en 713, sous la poussée des conquêtes de l’Islam ;
Barcelone était déjà entre leurs mains depuis 711, soit moins d’un siècle après l’hégire.
Pour notre île, le chroniqueur médiéval Giovanni della Grossa affirme qu'il y a eu véritablement une conquête avec colonisation de peuplement.
Mais il est seulement certain qu'il y a eu des « coups de mains » extrêmement rapides et meurtriers.
La technique est simple : partant de leurs bases situées sur les côtes du Maghreb ou dans quelques golfes déserts proches, leurs felouques, particulièrement rapides et bien adaptées à la navigation en Méditerranée, accostent la Corse, là où ils peuvent se mettre à l'abri.
Avec une grande vélocité et par surprise, ils attaquent les villages dont les habitants n'ont généralement que des moyens limités pour réagir.
« En 809 les Arabes ravagèrent Aléria et les villages environnants.
Toute la population, excepté les vieillards et les infirmes, fut enlevée pour être réduite à l’esclavage » (histoire générale de la Corse, J-M. JACOBI 1835).
Les corses implorèrent Charlemagne de les secourir.
En 814, ce fut chose faite et l'empereur envoya un de ses fils, Charles, régler le problème au prix de durs combats et d'une bataille navale acharnée devant Mariana.
À cette occasion, sur terre, les autochtones se battirent vaillament aux côtés des troupes impériales.
 
En 846, les Arabes se servirent de la Corse comme base logistique avancée pour lancer une vaste expédition militaire (jihad par l'épée) contre Rome, en prenant d'abord pied en Ligurie, expédition qui, heureusement pour le Saint Siège, tourna court. Malgré tout la présence arabe sur l'île obligea de nombreux corses à fuir vers Rome tandis que d'autres se réfugièrent dans les montagnes.
 
En 1014, la situation se corse pour les arabes : génois et pisans s'unissent pour envoyer une flotte combattre les envahisseurs conduits par le roi Mogehid :
toujours au prix de lourdes pertes, la flotte arabe est mise à mal et la mer tyrrhénienne débarrassée provisoirement de ses importuns visiteurs.
 
Dès la fin du XIème siècle et jusqu'à la fin du XIIIème, Pisans génois et vénitiens règnent en maîtres sur cette partie de la Méditerranée :
leur poids politique, économique et militaire décourage les aventures barbaresques, du moins près des rivages corses et sardes.
Les croisades, qui débutent en 1095, se lancent à l'assaut de l'hégémonie musulmane et la création des états latins d'Orient fait que la chrétienté domine non seulement l'Occident, mais également l'Orient.
Tout le Mare Nostrum appartient aux puissances navales qui le bordent.
Malgré tout, quelques razzias ont encore lieu sur les rivages de notre île, mais sans commune mesure avec ce que les corses avaient subi au IXème siècle.
Par contre, sur l'île, pisans et génois s'affrontent pour la possession de la Corse.
 
À la fin du XVème siècle, le monde change : 1492, découverte de l'Amérique, les derniers Arabes sont chassés d'Espagne, Venise ne survit que sur le souvenir de sa splendeur passée, Pise a disparu en tant que puissance maritime, la République de Gênes est en proie à des difficultés de tous ordres.
Bref, la Méditerranée est détronée depuis longtemps au profit de la Hanse et bientôt le commerce vers les Amériques va porter un coup fatal aux puissances méditerranéennes ;
de plus les états latins d'Orient ont disparu et la conquête de l'Islam est consolidée en Terre Sainte, laissant la suprématie commerciale aux marchands arabes.
L'Empire Ottoman est au fait de sa puissance tant sur le plan territorial qu'économique : la civilisation de l'Islam rayonne à travers un empire qui va du Maghreb aux rives du golfe Persique, en passant par les Balkans.
D'autre part, point d'histoire rarement évoqué, François 1er s'était allié aux turcs contre Charles Quint, laissant le champ libre en Méditerranée aux galères barbaresques :
Toulon fut d'ailleurs une de leurs bases stratégiques pendant plusieurs mois avec la complaisance du roi de France. Dans ce contexte, le calme dont profitait l'île s'estompe...
En 1429 "l'île jouissait d'une paix profonde.... lorsque les Arabes opérèrent un débarquement dans la partie méridionale du pays.
Les habitants de la Valle.... dans le canton de Sarrola, surpris par les barbares, ne songèrent d'abord qu'à chercher leur salut dans la fuite ;
mais revenus de leur frayeur, ils se rallièrent bientôt et se mirent en mesure de repousser les agresseurs...
De toute part, on accourt aux armes. Les Africains, attaqués avec vigueur, sont forcés de se retirer sur la montagne de Tavaco, où, après une longue résistance, ils sont exterminés." La flotille barbaresque, forte de seize bâtiments armés, resta entre les mains des vainqueurs. (histoire générale de la Corse, op. cit.). Néanmoins, les incursions se multiplient et les ravages aussi.
 
En 1571, la Sainte Ligue, coalisée à l'initiative du pape Pie V, inflige une terrible défaite à l'Empire Ottoman lors de la bataille navale de Lépante :
si l'empire est durement frappé et perd la maîtrise d'une partie de la Méditerranée, il n'empêche que des pirates barbaresques, venus des côtes du Maghreb, continuent sporadiquement d'écumer la mer tyrrhénienne et de commettre des razzias sur l'île.
 
Ce n'est qu'à partir du début du XIXème siècle, suite au déclin de l'Empire Ottoman, que la présence musulmane ne constitue plus une menace pour les Corses qui, repliés dans les villages de l'intérieur, ont abandonné les plaines et les littoraux aux moustiques et à la malaria.
 
Les arabes ont laissé en Corse des traces de leur civilisation dans la toponymie insulaire :
- Morosaglia, Moriani, Sarraginella ;
- dans certains mots et expressions employés : baracucca (abricotier), zeru (zero), artichjoccu (artichaut), caffè (café), sciroppu (sirop), zuccheru (sucre), ballotta, à buzeffu (beaucoup), mischinu (pauvre), scacchi (échecs), magazinu (magasin), caraffa (carafe), scialla (expression que les marins utilisaient comme salutations à leur retour à la maison, rappelant l'expression Inshallah, si Dieu le veut).
 
(Sources : E Voce di a pieve di a Serra)
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