MÉMOIRES DU COMMANDANT BERNARD POLI. 
OFFICIER DE NAPOLÉON 1" 

 

ARRIVÉE DU MARQUIS DE RIVIÈRE EN CORSE.

Après avoir exercé en Provence une magistrature absolue, le Marquis de Rivière, que le Roi Louis XVIII envoyait en Turquie, en qualité d'ambassadeur, eut mission de relâcher en Corse pour pacifier et donner une forme régulière à l'Administration.

Bien que divisée par les partis, la Corse jouissait alors d'une parfaite tranquillité.

On était fatigué de la guerre civile et les populations les plus remuantes acceptaient le nouvel ordre de choses comme une nécessité.

Il restait donc peu à faire au Marquis de Rivière pour accomplir honorablement son mandat.

Il était venu pour pacifier la Corse, il la trouvait dans une paix profonde, que pouvait-il désirer de plus ?

En se bornant à régulariser les éléments qui s'offraient si heureusement, il serait sans doute parvenu à gagner des cœurs à son maître chez ce peuple si accessible à la reconnaissance, il aurait, du moins, suivi par là les inspiration d'une saine politique.

Au lieu de suivre cette ligne de conduite, toute tracée par la raison, M. de Rivière fait à dessein répandre, au devant de lui, les rumeurs les plus sinistres.

Après la nouvelle de Waterloo, les Bonapartistes avaient tous posé leurs armes aux murs du foyer domestique ; que ne les rassurait-il en Corse ?

Il leur aurait évité toute velléité de les reprendre, en parlant de clémence ; au lieu de marcher ainsi par la voie la plus sûre, il voulut inspirer la terreur.

Moyen au moins inutile s'il n'était pas impolitique et qui indiquait bien peu d'étude de notre histoire.

Nous avons déjà dit que l'opinion générale en Corse attribuait aux partisans des Bourbons l'intention de favoriser les vues des Anglais sur notre île.

Ces soupçons avaient acquis tant de force que les dénonciations anglésistes et royalistes n'exprimaient plus qu'une même idée à tort ou à raison.

On pensait que le titre de royaliste n'était qu'un masque dont se couvraient les ennemis du nom Français.

On se rappelle ce que nous avons raconté du Général Bruslard.

Quel que soit le fond de vérité que peut renfermer cette accusation, elle ne prouve qu'un fait, l'attachement sincère des Corses pour la France.

Or, M. de Rivière fit la faute de s'entourer d'hommes frappés, sous ce rapport, de la méfiance publique ; il compromit ainsi, dès les premiers jours de son arrivée en Corse, et sa popularité et celle de son Gouvernement.

Avec les Conseillers qu'il s'était choisis, le Marquis de Rivière ne pouvait que marcher à grands pas dans cette voie réactionnaire.

La douleur de tous les bons citoyens fut à son comble, lorsqu'on sut quelle influence sans bornes avait prise sur lui une coterie humaine qui ne respirait que la vengance.

L'installation de M.Petriconi au poste de Préfet provisoire de la Corse fut considérée comme une espèce d'insulte faite au pays.

Ce n'était point difficile à comprendre que la nomination de M. Petriconi n'était autre chose qu'une menace pour les partisans du gouvernement impérial.

Quiconque avait servi ou soutenu le gouvernement que les baïonnettes étrangères avaient renversé, se tint sur ses gardes.

Chacun devait s'attendre aux persécutions de la part des agents des Bourbons en raison de son patriotisme ou de ses services, ce qui arriva.

En ,mon particulier, je savais bien que je ne serais pas oublié.

Le rôle que j'avais joué à Calvi et pendant les cent jours dans notre Isle, me méritait une distinction.

Je reviendrai bientôt sur ce qui me concerne, quand j'aurai donné une esquisse d'ensemble des vexations du Marquis de Rivière.

Charles François de Riffardeau, vicomte, marquis, puis 1er duc de Rivière.

Charles François de Riffardeau, vicomte, marquis, puis 1er duc de Rivière.

Les arrestations ne tardèrent pas à commencer.

M. de Rivière, livré à ses conseillers, donna des ordres secrets pour arrêter le même jour et à la même heure, sur tous les points de l'Isle, des personnes tout à fait inoffensives et dont le seul crime était sans doute de déplaire aux courtisans du Marquis.

C'est ainsi que M. Thomas Sari fut arrêté à Ajaccio à la face de la Ville et avec un appareil insultant et jeté dans un cachot.

Ses fils, malgré les perquisitions les plus sévères, parvinrent à gagner la campagne et vécurent de la vie des bannis, endurant toute sorte de privations, en compagnie de MM. Rusterucci, magistrat, père d'une nombreuse famille, Ucciani, ex-Capitaine du Port d'Ajaccio, et Roch Donzella, enseigne de Vaisseau.

Ces Messieurs, avertis à temps, purent échapper aux sbires de Petriconi. Ils avaient commis l'énorme crime d'avoir été employés sous l'Empire.

La ruse la plus odieuse fut employée envers M. Giubega, ex-Préfet de la Corse.

Après avoir exercé quinze ans ces hautes fonctions administratives, M. Giubega s'était retiré dans ses foyers, accompagné de l'estime et des regrets de ses concitoyens.

A peine commençait-il à goûter quelque repos, au milieu de ses affections de famille, que M. de Rivière, faisant sa tourné en Corse, arrive à Calvi, voit M. Laurent Giubega et l'invite, avec beaucoup de politesse, à se rendre auprès de lui, à son retour à Bastia.

M. Giubega se rend à l'invitation sans aucune crainte.

Il arrive et, le croirait-on, ce n'est que pour s'entendre intimer l'ordre de garder la Ville pour prison.

Des gendarmes déguisés le gardent à vue, avec ordre de le massacrer à la moindre tentative d'évasion. Bientôt, on ne garde plus envers lui aucune mesure.

Il est arrêté sans égard à la confiance loyale, à la noblesse de son caractère, à la charge éminente dont il avait été investi même sous le gouvernement royal.

On le jette sur un navire de l'Etat, on le condamne, sans jugement, à la déportation.

La même mesure est prise envers M. Fratini, ancien Chef de Division de la Préfecture de la Corse, père de six enfants, sans fortune, et qui, avec la confiance qu'inspire une conduite irrépro chable, s'était rendu à Bastia pour remettre les Archives de l'Administration des Forêts à la personne que M. le Marquis lui avait désigné pour successeur. M. Fratini fut enfermé dans une casemate du Fort de la Malgue à Toulon.

 

Laurent Giubega ( parrain de Napoleon )

Laurent Giubega ( parrain de Napoleon )

Puis, ce fut le tour de l'Avocat Biadelli, du Commandant Biguglia, livrés l'un et l'autre par trahison.

Saint-Andréa fut traîné à bord d'une frégate, attaché avec un condamné aux fers.

Mon camarade Ponthier, ce bon serviteur de l'Empereur, l'Abbé Giusti, MM. Ornano, François Levie et Cuneo d'Ornano, ainsi qu'une foule d'autres, furent ainsi en masse frappés d'ostracisme.

Tous ces hommes innocents, et, pour la plupart, appartenant aux premières familles de la Corse, furent conduits à Toulon pour y être jetés, dans la grosse tour, parmi les criminels et le rebut des bagnes.

Il faut savoir jusqu'où va, chez nous, la haine de l'injustice et de l'oppression, pour comprendre l'effet de ces actes violents sur le moral de nos populations.

Ce furent toujours des attentats de cette nature qui précédèrent en Corse ces explosions de juste vengeance, dont notre histoire offre tant d'exemples.

Sitôt que le sentiment de la justice violée l'a fait recourir aux armes, le Corse, confiant en Dieu et en son courage, se sent la force d'éterniser ces luttes sanglantes, marquées par l'héroïsme, la constance et où les maux de toutes sortes sont supportés par lui avec une sorte de volupté.

C'est un miracle que les persécutions du Marquis de Rivière n'aient pas amené de longues collisions, quand je songe à la sombre exaspération des esprits à ce moment.

Les peuples, isolés au milieu de la mer, qui ont des forêts et des montagnes pour refuges, sont ordinairement jaloux de leurs droits, perdent rarement l'occasion de résister à l'oppression, parce qu'ils tiennent, de leur position naturelle, des espérances de succès.

Moi qui ai fait la guerre avec Paoli, qui me suis trouvé ensuite, bien contre mon gré, chef d'insurrection, je sais quelle confiance on peut puiser dans ces ressources naturelles.

Aussi fallut-il, je le répète, toute la sympathie qui nous liait à la France pour empêcher alors les plus grands malheurs.

J'étais à Ajaccio au moment où ces actes se commirent.

Répandu parmi le peuple, je pouvais juger de mes propres yeux l'impression qu'il en avait ressentie.

A chaque instant, je m'attendais à une expédition contre moi.

Il faut dire à la vérité qu'il n'était pas aussi facile de s'emparer de ma personne que de tout autre victime des rancunes royalistes.

J'étais assez bien gardé par les miens et je n'avais, en cas d'attaque, qu'à me jeter dans les bras du peuple d'Ajaccio, qui m'aurait fait raison des autorités et même de la force armée, s'il eut été besoin.

Aussi, les ordres étaient encore plus sévères à mon égard qu'envers qui que ce fut.

Parfaitement instruit de ce qui se passait à Bastia, dans la Cour du noble Marquis, je n'ignorais pas qu'on ne retardait la mesure que pour la rendre moins chanceuse et, qu'une fois entre les mains de (mes ennemis, ce n'était pas la déportation qu'on me destinait ; je savais tout, jour par jour.

Et puis le marquis de Rivière avait entendu parler du riche dépôt que Murat avait laissé en mon pouvoir.

Il trouvait dans ses convictions de courtisan, qu'il pouvait tirer un admirable parti de ces diamants.

J'ai su qu'il les destinait à Madame la Duchesse d'Angoulême.

Ce n'était vraiment pas la peine de s'en passer.

Que fallait-il, en effet, pour posséder ces joyaux ?

Une délibération de quelques minutes, obtenue d'une cour prévôtale, accompagnée d'une douzaine de balles dans la poitrine d'un Officier de l'Empereur, qu'était-ce que cela ?

Le seul point était de s'y bien prendre.

Heureusement, on s'y prit mal.

Comme il fallait en finir, le Capitaine Rossi fut envoyé de Bastia à Ajaccio, à la tête de cent cinquante hommes, muni d'instructions secrètes, et de l'ordre de mon arrestation.

Ce Capitaine eut pour mission de s'entendre avec le Colonel Laforêt, Commandant de cette place et de la 2me Subdivision Militaire.

Ces messieurs devaient combiner leurs opérations et surtout ne pas manquer de mettre en sûreté les diamants de l'ex-Roi de Naples, capture tout aussi recommandée que celle de ma personne.

C'était le 22 octobre 1815, le Colonel Laforêt et le Capitaine Rossi se présentèrent à mon domicile avec la force armée.

Ce jour-là mes amis n'avaient pas voulu me quitter.

Outre que la mise à exécution de cette mesure avait été ébruitée, j'avais pris soin de me mettre à l'abri de toute surprise.

Ma maison était presque une caserne, tous mes parents de Zicavo, jeunes et robustes montagnards, armés de leur carabine, étaient logés avec moi.

Aux premières sommations, la troupe fut aussitôt entourée et pressée par le peuple, accouru à la voix de mes amis.

Voilà les deux commandants dans un grave embarras.

D'une part, la foule, l'attitude menaçante ; de l'autre, ma maison, dont il fallait faire le siège.

Ils n'en voulurent pas courir la chance, ils battirent en retraite, heureux qu'on les laissât, eux et leur troupe, rentrer sains et saufs dans la forteresse.

On croira peut-être qu'au milieu du mécontentement général, le peuple d'Ajaccio entraîné par cette victoire contre la garnison se livra à des manifestations tumultueuses.

Ce n'est pas dans le caractère des Corses.

Jamais peuple ne fut plus taciturne et plus froid dans les occasions décisives.

Quand il s'agit d'un coup de main, chacun fait sa partie et tout le monde se tait.

Voilà pourquoi la colère du Corse est terrible.

Aussi, l'excitation du moment cessa-t-elle avec la cause qui l'avait produite.

Le ferment de la haine qui agitait tous les cœurs, fut volontairement comprimé.

On attendit pour savoir ce que j'allais faire.

Ma résolution fut bientôt prise.

J'annonçai à tout le monde que j'allai me retirer à Sari avec ma femme et quelques membres de ma famille.

Je suppliais mes amis d'employer leur influence sur les habitants, pour les engager à éviter toute collision avec les militaires.

Et, accompagné de MM. Cauro, mon ami Blancard, Langlade et Donnadieu, ces trois zélés serviteurs du Roi de Naples, qui l'avaient suivi jusqu'en Corse, je ,me mis aussitôt en route pour mon pays natal.

J'espérais que M. de Rivière, instruit de ce qui s'était passé à Ajaccio et de l'issue pacifique que ma retraite faisait prendre à cette affaire, reviendrait de ses intentions contre moi.

Il me semblait que ma conduite était propre à fermer la bouche aux ennemis que j'avais auprès de sa personne.

Tandis qu'en même temps, par cette protestation assez énergique, je témoignais de l'inutilité de la violence à mon égard.

Un homme raisonnable aurait compris cette chose si simple, qu'il ne fallait pas forcer à la soumission un homme qui ne demandait qu'à se soumettre ; d'un homme doué, du reste, de quelque énergie et d'un crédit incontestable sur les masses, ne pouvait, tant qu'il aurait quelque force, se laisser voler ni fusiller à merci.

Je me trompais cruellement.

A peine arrivé à Sari, j'apprends qu'il n'était bruit dans toute l'Isle, que de mes préparatifs de résistance.

Marquis et ses adhérents avaient répandu de tout côté que j'avais arboré le pavillon tricolore ; que ne disait-on pas ?

J'appelais les Corses à la révolte ; ma maison de Sari était le quartier général des révoltés.

J'étais le chef d'une vaste conspiration.

Bref, on ajoutait que j'allais proclamer l'indépendance de la Corse.

A l'annonce de ces vagues accusations, toutes les communes du Fiumorbo, sollicitées par mes parents à cette démarche, députèrent leurs maires au Marquis.

Ceux-ci protestèrent de la tranquillité du Canton et de la fausseté des rumeurs qu'on faisait courir sur mon compte.

Moi-même, je me rendis aussitôt à Porto-Vecchio, auprès de M. Roccaserra, Juge de Paix.

Je peignis avec franchise ma position à ce magistrat.

Je n'eus point de peine à le convaincre, car c'était un homme de sens fort droit, que je n'avais aucun intérêt à me fourvoyer dans une lutte aussi inégale ; après les revers de fortune, qui m'avaient frappé dans les dernières catastrophes politiques, je ne pouvais désirer autre chose que le repos et le loisir de rétablir mes affaires en désordre.

M. Roccaserra rendit au Marquis un compte très favorable de notre entrevue.

Des personnes de considération en Corse, M. Cecco Peraldi, le Conseiller Durazzo, ceux qui, sous le rapport des antécédents politiques, ne pouvaient être suspects au Marquis de Rivière, se rendirent auprès de lui à Bastia.

Ils lui donnèrent ma parole que, s'il m'assurait la jouissance de l'amnistie, accordée par Louis XVIII à tous les français compromis pour l'Empereur, le Roi n'aurait jamais eu un sujet plus soumis que moi.

J'eus l'espoir un moment de me tirer de ce mauvais pas, quand j'appris la réception pleine de courtoisie que M. de Rivière avait faite à mes amis.

Il avait en ce moment, auprès de lui, tous les officiers supérieurs de la Corse, ou du moins la plus grande partie.

Ses appartements ne désemplissaient pas d'épaulettes.

Parmi ces messieurs, le plus petit nombre, comme on le pense bien, était là par dévouement au nouvel ordre de choses.

Les autres remplissaient une formalité indispensable.

Il fallait complimenter le Gouverneur Général pour n'être pas noté défavorablement au Ministère de la Guerre.

Et puis, il y en avait qui sentaient la nécessité de faire oublier leur visite au Vescovato, sans compter ceux, plus compromis encore, qui avaient été membres de la Junte.

M. de Rivière consulta ces messieurs sur ce qu'il convenait de faire à mon égard.

Leur avis fut unanime : ils l'engagèrent fortement à accepter ma soumission.

Ils ne lui cachèrent point mon influence dans le pays.

Ils lui montrèrent l'insurrection comme inévitable s'il n'employait pas, dans cette occasion, les voies de la douceur, toujours préférable à la violence, surtout en Corse.

Qu'enfin, s'il parvenait à m'attacher au Gouvernement du Roi, j'étais homme à rendre, dans l'occasion, d'importants services.

J'ai su que M. de Rivière parut d'abord très disposé à se rendre à de si sages avis, mais il avait autour de lui des hommes que cet arrangement ne pouvait satisfaire.

Ces hommes étaient MM. Petriconi, Galloni et Morandini, qui, soit par opinion contraire, soit par calcul d'ambition, se sont toujours trouvés dans les rangs opposés aux miens.

Cette espèce d'inimitié ne vint que d'un désaccord d'affections et de vues, d'une antipathie instinctive et de la destinée qui nous a toujours placés à l'encontre les uns des autres.

Ces âmes damnées du Marquis de Rivière, qui ne terminait rien sans leur approbation, lui persuadèrent qu'on le trompait, qu'en partisans dévoués de Sa Majesté, ils croyaient devoir lui avouer que pardonner au Commandant Poli, c'était compromettre la dignité du Gouvernement.

Alors ils s'empressèrent de formuler leur accusation d'une manière précise et ils dressèrent la dénonciation suivante.

Cette pièce que je reproduis ici, parce qu'elle résume ce que j'ai raconté au commencement de ces mémoires, est un texte de plus à ajouter à nos vicissitudes politiques.

Alors elle n'allait à rien moins qu'à faire tomber ma tête.

Aujourd'hui j'ose presque la présenter comme un titre d'honneur.

Ceux qui écrivirent ce résumé homicide, ne s'attendaient guère à ce résultat.

Acte d'accusation de MM. Petriconi, Morandini et Galloni.

 

« Le Commandant Poli, à la première abdication de Napoléon, commandait la Place et le Fort de Gavi, Etats de Gênes.

Le Prince, Vice-Roi d'Italie, et le Prince Borghèse, duquel il dépendait immédiatement, lui donnèrent l'ordre de remettre la place aux coalisés et de se rendre en France sur le champ avec sa troupe ainsi que l'avaient pratiqué tous les chefs de corps de l'armée d'Italie.

Le Commandant Poli, comme chaud partisan de Bonaparte, crut ne devoir pas obtempérer aux ordres qu'il avait reçus pour la reddition de la place.

Le Roi de France, instruit d'une résistance aussi déclarée, lui enjoignit d'évacuer aussitôt la place de Gavi et de se conformer strictement aux ordres qu'avaient eus tous les Commandants militaires français qui, comme lui, se trouvaient en Italie.

Le Commandant Poli, aussi obstiné que pouvait l'être un favori de Bonaparte, qui sentait toute l'amertume de la catastrophe de 1814, ne fit pas plus de cas des ordres de son Souverain légitime, et en conserva le commandement jusqu'à ce que Bonaparte, à qui il avait expédié un Officier à Porto-Ferrajo, lui fit connaître ses intentions.

Ce ne fut que le 10 Mai 1814, en suite des instructions reçues de l'Isle d'Elbe, que le Commandant Poli rendit la place de Gavi et ses forts aux Anglais, lorsqu'il n'existait plus en Italie aucun militaire français.

Cela fait, il renvoya ses troupes en France et au lieu de rentrer dans ses foyers pour y jouir paisiblement de la munificence du Roi, qui avait accordé la demi solde à tous les militaires sans troupes, il rejeta cette marque de bonté de la part de son Souverain, et se porta de suite à l'Isle d'Elbe.

« Poli débarqua par ordre de Bonaparte, le 4 Mars 1815, à Sari, son pays natal, avec le pavillon de la révolte.

Il y trouva un détachement de 66 hommes du 14me Régiment d'Infanterie légère, lui ordonna d'arborer la cocarde tricolore et de prendre part avec lui à la cause de Napoléon, en leur mettant sous les yeux tous les prestiges de gloire passée pour les corrompre.

Ceux-ci, toujours fidèles à l'honneur et au serment de fidélité, qui naguère avait cimenté l'amour de leur souverain légitime et leur affection, ne voulurent déférer à son invitation.

« Poli les fit désarmer et les envoya prisonniers à Bonifacio ; le Fiumorbo prit immédiatement les armes à sa voix.

Il donna le branle à tous les villages voisins, qu'il eut soin de mettre en pied à sa solde, et marcha dans l'intérieur de l'Isle contre le pavillon blanc.

Non content de tout cela, Poli fit publier, dans les coins de la Corse, des proclamations incendiaires contre le Gouvernement du Roi et le Général Bruslard, protestant qu'il aurait détruit et massacré tous ceux qui n'auraient participé à ses coupables desseins.

« Poli forma le blocus de Corte, fit retentir partout les cris d'alarme et de destruction et glaça pour ainsi dire en un clin d'œil, toutes les âmes, par l'épouvante la plus terrible.

Toutes les troupes n'eurent d'autre sauvegarde que les forts où elles se retirèrent en toute hâte.

Le Général Bruslard fut obligé par lui à s'embarquer précipitamment à Bastia.

Le Commandant de Corte dut capituler et obéir sans réserve aux ordres de la Junte que Poli assembla à Corte le 3 Avril 1815.

« A la nouvelle du retour trimphant en France de S. M. Louis XVIII, la province de la Balagne, dont les habitants avaient eu les cœurs comprimés durant l'usurpation, n'attendait que le moment de renaître à la joie, et déploya la bannière du lys au mois de juin 1815.

Poli se rendit sans le moindre délai en Balagne avec 400 hommes, frappa comme une foudre indistinctement sur tout le monde et fit substituer au pavillon sans tache qui flottait sur tous les clochers, le pavillon tricolore.

« Joachim Murat arriva dans le mois de septembre 1815 à Bastia, d'où il partit pour le Vescovato avec le Général Franceschetti.

M. Galloni, Chef de Bataillon, adjoint à l'Etat-Major de la 2e Division Militaire, fut détaché avec une forte colonne par ordre du Colonel Verrières, commandant par intérim cette Division, pour arrêter l'ex-Roi de Naples.

Murat fut forcé de se retirer dans le ci-devant Département du Liamone.

Poli, paraissant avoir pris à tâche de braver le Gouvernement, saisit avidemment une telle conjoncture pour aller accueillir Murat dans les environs de Bocognano.

Les autorités d'Ajaccio, qui avaient un instant hésité sur un événement qui compromettait la tranquillité de la ille, délibèrent d'obvier au péril imminent qui la menaçait, en expédiant M. André Baciocchi, pour prévenir Murat et ses adhérents que les autorités ne pouvaient permettre qu'il entrât en Ville, et qu'au cas qu'il voulut persister, elles étaient décidées à employer la force armée.

« Poli, à un pareil avis, se mit à la tête des Bonapartistes et le fit entrer à Ajaccio, contre le gré du Gouvernement, obligea la troupe à se réfugier dans la Citadelle, chassa de la Ville toutes les autorités et s'empara du commandement de la Ville, qu'il exerça pendant tout le séjour de Murat.

Poli lui fournit tout ce qui était nécessaire à son expédition et, par les voies de fait, contraignit un seul employé de la Marine, qui était resté à Ajaccio, à lui donner les expéditions dont les bâtiments et toute sa suite avaient besoin.

« Après le départ de Murat, Poli, dépositaire des diamants qu'il avait en gage, se retira à Sari, et ensuite de ce qu'il avait fait, il sentit bien que la conduite qu'il avait menée n'était pas celle d'un homme honnête et paisible et qu'il avait mérité d'être exposé au glaive vengeur de la justice.

quer précipitamment à Bastia.

Le Commandant de Corte dut capituler et obéir sans réserve aux ordres de la Junte que Poli assembla à Corte le 3 Avril 1815. celle d'un homme honnête et paisible et qu'il avait mérité d'être exposé au glaive vengeur de la Justice.

Ces considérations, au lieu de lui inspirer du repentir, lui donnent l'impudente hardiesse de prendre une attitude menaçante.

« Poli réunit beaucoup de monde qu'il soudoie et les persuade qu'une trame concertée avec tous les Chefs de la Corse partisans de Napoléon, va éclater et que la position du Fiumorbo l'avait fait choisir pour en donner le premier signal par son explosion ».

Ce document, que le hasard fit tomber entre mes mains, n'était faux que par l'accusation contenue dans le dernier paragraphe.

Tout le reste, qu'il était impossible de nier, concourait à la rendre probable.

L'effet n'en fut pas manqué. M. de Rivière entra en fureur contre un rebelle armé de tant d'audace et nanti de diamants d'un si grand prix.

Mon frère, homme inoffensif, et qui ne se mêlait de rien, fut mis en prison à Bastia, par cela seul qu'il était mon frère.

Le Capitaine Lusinchi et Toussaint Renucci, de Fiumorbo, éprouvèrent le même sort, parce qu'ils étaient ¡mes amis.

Les perquisitions les plus minutieuses furent faites dans mon domicile d'Ajaccio.

Des Sicaires furent envoyés à Sari pour m'assassiner.

Il était temps de songer sérieusement à ma sûreté personnelle.

 

Source : Archives Départementales. Gallica. BNF.

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