MARIE WALESKA ou LA MARÉCHALE.

MARIE WALESKA ou LA MARÉCHALE.

 

Le cœur d'une Polonaise.

Cette première rencontre de Napoléon et de Marie, combien elle est plus étonnante que celle qu'on nous présente.

Cette jeune femme de vingt et un ans, perdue dans la foule des soldats au relais de Blonie et suppliant Duroc de la conduire à l'Empereur, son dieu, celui qui va sauver la Pologne et l'Empereur pressé de s'en aller, furieux de ce retard, grommelant une injure à l'adresse du maréchal, touchant son chapeau, puis, charmé, prenant dans sa voiture une brassée des fleurs qu'on lui a jetées tout au long de la route et les tendant sans un mot à la jolie femme; et le cri de celle-ci, après qu'elle lui a baisé la main Sire, soyez le bienvenu en Pologne.

Vous foulez une terre de héros et de martyrs qui vous bénissent du ciel.

Sauvez-nous de nos tyrans Sire, les Polonais sont prêts à donner leur sang pour vous, et le cœur de toutes les Polonaises est à vous.

Alors, comme la voiture s'ébranle, il lui jette une rose qui l'atteint au cou, et soudain, elle est seule sur la route, regardant s'éloigner les derniers cavaliers d escorte qui se retournent en selle pour lui sourire.

Son vieux mari, elle ne l'aime pas, elle ne peut pas l'aimer; elle l'a épousé par raison, par devoir; c'est une enfant qui ne sait rien de la vie, ni de l'amour.

Et il lui arrive cette chose prodigieuse d'être désirée d'abord, d'être aimée ensuite par Napoléon, l'homme le plus célèbre du monde.

« Je n'ai vu que vous, je n'ai admiré que vous, je ne désire que vous », lui écrit-il après le bal de Varsovie.

Et encore « Donnez un peu de joie, de bonheur à un pauvre cœur prêt à vous adorer. Est-il si difficile d'envoyer une réponse ? Vous m'en devez, deux. »

Elle a peur.

C'est l'effroi qui domine en elle d'abord.

Une instinctive réaction de toutes ses pudeurs de femme-enfant; ces façons brutales, cette sollicitation sans fard la révoltent; elle se respecte trop elle-même, plus qu'elle n'est instinctivement fidèle à ses serments.

Politique d'abord.

Et voilà que tout se ligue contre sa résistance.

Voilà qu'elle subit l'incroyable démarche des nobles polonais la suppliant de céder à l'Empereur, la poussant sans vergogne à se donner pour des fins politiques.

Elle ne l'aime pas ?

La belle affaire « Croyez-vous, qu'un sentiment d'amour ait poussé Esther à se donner à Assuérus ? » lui écrivent ces messieurs

L'effroi qu'il lui inspirait, an point de défaillir sous son regard, n'était-il pas la preuve que la tendresse n'avait aucune part à cette union ?

Elle s'est sacrifiée pour sauver son peuple, et elle a la gloire de le sauver.

Puissions-nous en dire autant de vous, pour votre gloire et pour notre bonheur. »

Il n'est pas jusqu'à son mari qui ne semble avoir eu part au complot.

 

MARIE WALESKA ou LA MARÉCHALE.

A toutes ces sollicitations, elle finit par se rendre.

Un soir, elle suit Duroc chez le maître.

Quelques minutes plus tard, elle frappe celui-ci, elle le gifle, et il la laisse soudain, poursuit avec elle une conversation calme, confiante elle le quittera ce soir-là, intacte, après lui avoir promis de revenir.

Elle a promis tout ce qu'il a voulu, mais elle est bien décidée à ne plus le revoir, à le fuir.

Et c'est au retour de cette entrevue qu'elle écrit ces lignes tragiques à son époux

« Votre première idée, Anastase, sera de me reprocher ma conduite quand vous devinerez la raison pour laquelle je vous ai écrit.

Mais quand vous aurez lu, vous n'accuserez que vous.

J'ai tout fait pour vous ouvrir les yeux.

Hélas vous étiez aveuglé par une vanité sans nom, et, je le reconnais, par votre patriotisme.

Vous n'avez pas voulu voir le danger.

J'ai passé plusieurs heures chez lui, la nuit dernière.

Vos amis politiques vous diront qui m'y a envoyée.

J'en suis sortie sans tache, en promettant de revenir ce soir.

Je ne le puis, car maintenant je sais trop ce qui arriverait.

Certains penseront que je deserte, certains vous le diront sans doute.

Répondez à ceux-là qu'au-dessus du sacrifice a la patrie, il y a la conscience et les convictions et que, seules, elles m'ont sauvé du suicide »

Mais, après avoir écrit cette lettre qui nous révèle le drame de sa pensée secrète, le courage lui a manqué elle n'est pas partie, elle est retournée au palais de l'Empereur où elle avait promis de revenir et où tous ces hommes sans pudeur et sans honte la pressaient de se rendre.

Et c'est cette nuit-là qu'elle devint l'épouse de Napoléon.

Puis elle l'aima alors, elle l'aima éperdument, d'un amour qui est entré dans l'histoire.

L'enfant de Wagram.

Lui-même fut très épris, au moins pendant deux ans.

Il aimait en elle, lui disait- il, « ce singulier mélange d'indépendance, de soumission, de sagesse et de légèreté qui te fait si différente de toutes ».

En 1808, il la fit venir à Paris.

En 1809, elle le rejoignit à Schœhbrunn c'est là que fut conçu celui que l'Empereur appela « l'enfant de Wagram », le futur ministre du second Empire.

Alexandre Walewski naquit en Pologne, où sa mère s'était retirée après le mariage de Napoléon avec Marie-Louise.

Revenant de Russie, l'Empereur un soir s'arrêta à Wplewice, d'un baiser réveilla son fils.

Il devait le revoir à l'île d'Elbe,Marie le lui amena alors qu'il attendait tous les jours que Marie-Louise vint avec le roi de Rome.

Ce fut une terrible épreuve pour Marie Walewska que ce voyage.

Elle ne retrouva pas, le Napoléon qu'elle avait aimé, subit là plus cruelle des déceptions.

Elle devait le revoir deux fois encore, après Waterloo, à l'Elysée où elle voulut lui amener son fils, puis à Malmaison.

A l'Elysée, perdue dans une invraiseniblable cohue, elle allait renoncer, quand un officier la reconnut, la fit entrer.

Merci d'être venue, ma douce amie, lui dit Napoléon.

A Malmaison, elle osa lui parler de la situation, lui demanda s'il ne défendrait pas Paris.

Elle le trouva résigné au désastre, et ce fut pour elle une dernière déception.

Ce n'était plus celui qu'elle avait connu.

Alors, tant elle souhaitait le retrouver, elle murmura :

« La France ! Napoléon ! Votre trône ! Les Aigles ! Ton fils ! »

( Alexandre, comte Walewski )

 

La maréchale.

C'était bien fini de Marie Walewska.

En septembre 1816, elle épousait le général d'Ornano, qui avait toujours été pour elle le plus sûr, le plus dévoué des amis.

Cette union lui promettait une vie heureuse et douce elle ne jouit pas longtemps de ce bonheur.

En décembre 1817, elle mourait, après avoir donné un fils au général.

Celui-ci resta fidèle à son souvenir.

Veuf à trente-trois ans, il refusa toujours de se remarier.

Il avait soixante-seize ans quand il fut nommé maréchal.

Il conduisit alors les siens devant le portrait de sa femme, leur disant :

«  Ne m'embrassez pas ici, mes enfants,. il faut que la maréchale ait sa part de nos effusions. »

L'arrière-petit-fils de Marie Walewska, qui nous conte l'histoire de son aïeule, nous dit que dans la famille d'Ornano elle n'était connue que sous le nom de « la Maréchale » son portrait, par Gérard, ornait la bibliothèque du château de la Branchoire.

Au cours d'un déménagement, on déplaça un jour un secrétaire, dont s'échappa un flot de dossiers soigneusement ficelés.

Ils contenaient les notes, lettres et souvenir de « la Maréchale ».

C'est à l'aide de ces documents précieux que le comte d'Ornano, avec une piété filiale, a écrit son livre plein de talent et d'émotion.

Il a réalisé un beau et sobre roman d'amour, qui aura l'audience du public féminin.

 

Georges Girard.

Feuilleton du 'Figaro» du 7 Mai 1938.

 

Source photos : akg-images.co.uk et photocosmos.centerblog.

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