EXIL VOLONTAIRE D'UN CORSE EN SARDAIGNE.
EXIL VOLONTAIRE D'UN CORSE EN SARDAIGNE.
Je me rendis par une détestable embarcation à Longo-Sardo.
Cette cité antique mentionnée dans l'Itinéraire d'Antonin, n'est aujourd'hui qu'un misérable village de sept cent quarante-cinq habitants qui remonte à une trentaine d'années.
Il serait susceptible de quelque accroissement: l'air est salubre et l'eau singulièrement tonique et digestive.
Je fus reçu dans la maison d'un Corse, M. Antoine Peretti, fixé en Sardaigne après avoir été obligé de quitter la Corse, par suite d'une rixe qui avait éclaté le jour de Pâques dans l'église d'Olmeto, sa patrie, scène du moyen-âge où deux hommes périrent, plusieurs furent blessés et qui valut à Peretti un coup de stylet.
Après dix-huit ans d'exil, Peretti a été récemment acquitté par la cour royale de Bastia et il pourrait rentrer dans son île natale.
Cet homme extraordinaire dont je savais le courage et les aventures et que depuis longtemps je désirais connaître, était en fuite à mon arrivée en Sardaigne et caché à cause d'une affaire entre la douane et les contrebandiers à laquelle il s'était, disait-il, trouvé mêlé accidentellement, et où il fut atteint d'une balle dans le ventre.
A mon passage par Longo-Sardo, Peretti était encore obligé de garder la campagne après sa querelle avec un médecin qu'il taxait d'impertinence, et que trop susceptible, il avait fortement contusionné à la tête, du manche de son stylet.
Je regrettais de ne point rencontrer Peretti sous son toit rustique, lorsqu'il vint obligeamment m'y visiter à la nuit, et me donner rendez-vous le lendemain matin dans la plaine pour aller voir ensemble les curieux blocs de granite de Santa-Reparata, voisins de Longo-Sardo.
Peretti, fils d'un colonel et frère d'officiers au service de Naples à l'époque de la domination française, était digne par ses dispositions martiales de servir dans nos rangs; mais comme il était le plus jeune et le seul qui pût soigner le bien de la famille, son père s'opposa à cette vocation.
Peretti me contait qu'il n'avait pu lui pardonner, et qu'il fut six mois sans lui dire un seul mot.
La taille de Peretti est élevée, sa physionomie noble, ouverte, hardie, et le matin de notre rendez-vous, il fit encore sur son cheval, quoique près de la cinquantaine, des tours de force et de voltige qu'on admirerait chez Franconi.
Extrait du livre: Voyage en Corse, à l'île d'Elbe et en Sardaigne, Par M. Valéry.
Paris, 1837
Nota Bene:
Photo de la Sardaigne et de la Corse, prise de Long-Sardo, près de Santa-Teresa-di-Gallura.
Article proposé par Charles Versini.