CORSE : NOUVEAU REGIME DOUANIER DE 1912.
CORSE :
NOUVEAU REGIME DOUANIER DE 1912.
Pour éclairer les discussions passionnés soulevées par la loi du 9 juillet 1912 sur l'assimilation douanière de la Corse, il est nécessaire de rappeler sommairement son régime antérieur, d'après la loi du 11 avril 1818, modifiée à différentes reprises.
Relations de la Corse avec la France.
— Sauf l'admission en franchise de rares spécialités d'origine corse, la majorité des produits de l'Ile étaient taxés à leur entrée en France, comme s'ils venaient de l'étranger, et pas même au tarif minimum.
Relations de la France avec la Corse.
— Tous les produits français ou nationalisés français entraient en franchise en Corse.
Relations de la Corse avec l'étranger.
— Les produits expédiés de Corse à l'étranger subissaient naturellement à leur arrivée à l'étranger les conditions douanières de chaque pays.
Quant aux produits étrangers pénétrant en Corse on distinguait :
1° Les denrées coloniales, autres que les sucres, acquittant un droit moitié moindre qu'à leur entrée en France;
2* Les autres marchandises taxées au poids, payant moitié droit, plus une taxe fixe de 3 francs;
3* Le tabac, les bestiaux, supportant un droit plus réduit encore ;
4* Les blés, les farines, les sucres, les sels et quelques autres rares marchandises payant les mêmes droits qu'à leur entrée en France, sauf une modération par 100 kilogrammes de 2 francs pour les sucres et de 2 fr. 50 pour les sels.
Le résultat de ce régime spécial était le suivant.
La Corse ne recevant de l'étranger que des produits similaires à ceux que lui envoyait la France, ne profitait guère du bénéfice de la diminution des droits sur les importations étrangères.
On ne l'estime pas, officiellement, à plus de 15.000 francs par an.
Par contre, l'exportation de ses produits en France était paralysée par les formalités et les droits.
En somme la Corse souffrait du régime prétendu avantageux pour elle, et ce régime était si contraire à l'équité, que le mouvement croissant de l'opinion devait le faire cesser.
Le résultat de ce régime spécial était le suivant.
La Corse ne recevant de l'étranger que des produits similaires à ceux que lui envoyait la France, ne profitait guère du bénéfice de la diminution des droits sur les importations étrangères.
On ne l'estime pas, officiellement, à plus de 15.000 francs par an.
Par contre, l'exportation de ses produits en France était paralysée par les formalités et les droits.
En somme la Corse souffrait du régime prétendu avantageux pour elle, et ce régime était si contraire à l'équité, que le mouvement croissant de l'opinion devait le faire cesser.
Les ministres Caillaux, Klotz et Couyba présentèrent à la Chambre des députés, le 11 juillet 1911, un projet de loi pour ramener les produits étrangers importés en Corse aux mêmes droits que pour la France, sauf pour le café et le tabac, pour lesquels la modération était maintenue, et pour exempter de droits à leur entrée en France les produits naturels de la Corse ou fabriqués en Corse.
En même temps, un second projet de loi proposait d'attribuer chaque année, pendant 50 ans, une somme de 500.000 francs à la Corse, sur le produit des nouveaux tarifs, cette somme devant représenter à peu près l'équivalent du relèvement de l'importation étrangère.
L'emploi de ces 500.000 francs serait réglé chaque année par décrets des ministres de l'Intérieur et des Finances, sur les propositions du conseil général de la Corse.
Le 4 décembre 1911, M. Henri Pierangeli, député de la Corse, nommé rapporteur par la Commission des douanes chargée d'examiner le projet de loi, déposait son rapport à la Chambre.
Il faisait remarquer que l'avantage accordé à la Corse était plus apparent que réel.
En effet des modérations successives avaient abaissé les droits perçus à l'entrée des produits corses en France, si bien qu'ils s'élevaient maintement à peine à un millier de francs par an.
D'autre part, par suite du relèvement des droits à l'importation en Corse, les consommateurs insulaires auraient à payer un impôt nouveau que le Gouvernement évaluait à 500.000 francs mais que d'autres calculs n'estimaient pas inférieur à 750.000 francs.
Cependant, et surtout pour aider au développement de l'introduction en France des produits corses, l'honorable rapporteur concluait à l'adoption de la loi.
Le 4 mars 1912, M. Joseph Thierry, député de Marseille, déposant le second rapport au nom de la Commission du budget, faisait bloc des deux projets de loi en un seul.
Il demandait l'urgence.
Sans retard, en effet, la Chambre adopta le projet le 11 mars, et le Gouvernement le présenta au Sénat le 29 du même mois.
Le 14 juin, M. Jean Morel, au nom de la Commission des douanes, déposait un rapport encore favorable.
La Commission des finances du Sénat ne se montra pas moins bien disposée et M. Jeanneney, dans son rapport déposé le 21 juin, conclut aussi à l'adoption, sauf quelques modifications en vue de spécifier que la subvention do 500.000 francs serait exclusivement appliquée à des travaux d'intérêt public.
Ces quelques changements de textes eurent pour conséquence de faire recommencer la procédure parlementaire.
On fit cependant diligence.
Dès le 2 juillet 1912 les ministres Théodore Steeg et Louis-Lucien Klotz.présentèrent à la Chambre le nouveau texte modifié.
Renvoyé à la seule Commission du budget, le précédent rapporteur, M. Thierry, déposa un nouveau rapport favorable dans la séance du lendemain.
La Chambre vota enfin la loi, en seconde lecture, le 8 juillet 1912, pour être appliquée avant la fin de l'année.
Elle fut promulguée le 9 juillet.
En voici les textes essentiels :
ARTICLE PREMIER :
— Les produits étrangers importés en Corse sont passibles des mêmes droits que dans la France continentale, à l'exception du café en fèves et pellicules et des tabacs dont le tarif spécial est ainsi fixé :
Café : 2/3 des droits de la France continentale (I).
Tabacs : en feuilles et déchets : 250 francs les 100 kilo* grammes (2).
Cigares et cigarettes : 500 francs (3).
Autres fabrications: 400 francs(3).
ARTICLE 2.
— La taxe de raffinage sur les sucres est applicable dans l'Ile (4).
ARTICLE 3.
— Les produits naturels ou fabriqués d'origine corse, expédiés dans la France continentale, sont admis en franchise.
ARTICLE 6.
— Il sera inscrit chaque année, pendant 50 ans, à partir de l'exercice 1919, une somme de 500.000 francs, à titre de subvention exceptionnelle au département delà Corse, pour travaux d'intérêt public.
ARTICLE 7.
— Les projets des travaux à subventionner seront, pour chaque année, après avis du conseil général de la Corse, arrêtés par décrets en conseil d'État, rendus sur la proposition des ministres de l'Intérieur et des Finances. (1)
Passant ainsi de 68 francs de droits avant la loi d'assimilation, à 136 francs après elle, alors qu'il ne paie que 61 francs à l'entrée en Algérie. (2)
Au lieu de 110 francs avant la loi et de 200 francs en Algérie. (3)
Au lieu de 200 francs avant la loi et de 750 francs en Algérie*
Dix fois moins que: pour le continent. (4)
Deux francs par 100 kilogrammes.
Les Corses, adversaires de la loi, opposent avec force que la suppression des barrières à l'introduction en France ne supprime pas celles dressées par les moyens de transport, tant sur l'Ile même que pour franchir la mer.
Puisque vous faites, disent-ils, de l'assimilation avec la France continentale, faites-la au moins complète.
Assimilez les moyens de circulation, les transports, le crédit, tout ce qui fait la vie commerciale.
Ils prétendent que non seulement l'augmentation des droits d'importation, dépassera de beaucoup les 500.000 francs d'indemnité alloués par compensation, mais que plus ils consommeront et plus ils paieront, cet impôt allant en augmentant par leurs consommations mêmes.
Ils se plaignent que l'on frappe dans le café un aliment indispensable pour eux, qu'ils ne peuvent produire, et que les petites gens devront payer 140.000 francs de plus pour ne pas diminuer des rations déjà parcimonieusement mesurées.
Dans cinquante ans l'impôt douanier subsistera et l'allocation sera supprimée.
Quelle assurance même qu'elle sera maintenue jusque-là ?
N'a-t-on pas vu des Gouvernements manquer à leurs engagements, et il faut bien croire que la garantie parait peu certaine, puisque le Crédit foncier refuserait d'y trouver le gage d'un emprunt.
Ils ont une autre appréhension.
Les lois de 1871 et 1907 autorisent l'État, sur les fonds généraux des budgets, et jusqu'à concurrence de 3.682.000 francs par an, de verser des allocations aux départements nécessiteux.
De ce fait, la Corse est inscrite pour 237.800 francs en 1913, la plus forte allocation accordée.
Cette année 1913 donc et, sans doute, les suivantes, les deux allocations subsisteront distinctement.
Mais n'est-on pas fondé à craindre que les nécessités budgétaires fassent oublier l'origine de celle de 500.000 francs, et qu'on s'en tienne à elle seule pour la Corse?
Encore ces critiques fondées, disparaissent-elles devant la grande objection faite à la loi, celle qui atteint les Corses dans leur dignité plus que dans leur bourse.
Pourquoi les obliger à employer les 500.000 francs de façon subordonnée à l'agrément du conseil d'État et du ministère?
Pourquoi les traiter ainsi en mineurs incapables de gérer leur fortune ?
De quel droit les empêcher de disposer à leur gré de fonds qui leur appartiennent, puisqu'ils les auront fournis en acquittant l'impôt douanier?
Eh bien ! il faut avoir le courage de leur dire que ce qui les irrite le plus est précisément la raison d'être de la loi, son excuse même, car il est évident qu'au point de vue matériel, elle est surtout fiscale.
Elle aidera la Corse à sortir d'une impasse.
Elle commence par prélever un impôt, cela n'est pas douteux.
Mais cet impôt qui rentrera par petites sommes, elle le restitue en bloc, ou à peu près, et elle fournit ainsi au conseil général des ressources qu'il n'aurait pas pu se procurer autrement.
Elle en impose l'emploi en travaux d'intérêt public.
Obligation heureuse car, tout vain amour-propre mis de côté, en quelle poussière stérile d'attributions disputées, cette somme courrait-elle le risque de se disperser !
Déjà s'élèvent de toutes parts les propositions d'emploi.
Une allocation de cinq millions n'y suffirait pas.
Et chacun estime que de ce qu'il réclame, dépend le salut de la Corse.
Nombre de ces prétentions considèrent comme nulle l'obligation légale de l'emploi, ou qualifient d'intérêt public des oeuvres qui s'en écartent trop visiblement.
D'autres n'hésitent pas à demander à l'inépuisable allocation, de quoi parer à des dépenses incombant par définition au Département, et donneraient ainsi prétexte au Gouvernement, de supprimer l'autre allocation accordée spécialement pour lui venir en aide.
L'Ile est partagée en deux camps, les uns considérant la loi douanière comme une exploitation nouvelle de la France continentale, les autres en espérant de bons effets.
Il existe un moyen de faire la nique au fisc insatiable.
Au lieu de l'abandonner, que la Corse reprenne la culture du tabac qui lui est laissée libre, qu'elle peut obtenir d'excellente qualité, meilleur en tout cas que son herbe du maquis.
Elle en récoltera assez pour sa consommation.
N'important plus de tabac, elle échappera :
1° aux 260.000 francs de droits qu'elle a payés en 1910 avant la nouvelle loi;
2° aux 225.000 francs qui, pour une quantité égale, seraient la conséquence du relèvement des droits ;
3° aux 302.000 francs de leur prix d'acquisition à l'étranger.
La Corse économisera un total de 793.000 francs, du seul fait du tabac.
Ce n'est pas une fantaisie; c'est une possibilité facile.
Aussi facile d'ailleurs, que le relèvement général de l'agriculture, qui remplirait successivement les poches des individus, les caisses des municipalités et le trésor du conseil général, qui rendrait puériles ces discussions et qui fortifierait les Corses dans l'opinion nécessaire qu'ils n ont besoin de personne.
ALBERT QUANTIN.
LA CORSE : LA NATURE - LES HOMMES - LE PRÉSENT - L'AVENIR
Source : Gallica.BNF.