1789 ASSEMBLÉE NATIONALE : il sera déclaré que la Corse fait partie de l'empire français.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

Présidence de M. Fréteau.

Séance du lundi 12 octobre 1789.

M. Saliceti, député de la Corse :

Dans mon avis individuel, le titre de roi des Français est suffisant ;

Mais si l'on ajoute celui de roi de Navarre, je suis autorisé et même obligé par mon cahier, à demander qu'on dise aussi roi de Corse.

La république die Gênes prétend conserver encore des droits sur cette île et ce serait décider utilement une grande question.

M. le Comte de Mirabeau :

Rien n'est plus contraire à l'unité monarchique que la variété des titres ;

Au lieu d'être une véritable fusion de parties homogènes, cet empire serait donc composé de parties diverses, qui ne tarderaient à être divisées.

On a dit avec raison :

Si les Navarrais ne font pas partie des Français, pourquoi s'occuper d'eux ?

 

Pourquoi s'occupent-ils de nous ?

S'ils sont Français, ils sont obligés par nos lois comme nous- mêmes.

L'unité monarchique sans laquelle nous ne serons jamais que mal constitués, est un principe essentiel.

Je demande que l'amendement du député de Corse soit décidé pour éclairer cette question.

 

 

Jean-Denis Lanjuinais en 1790.

Jean-Denis Lanjuinais en 1790.

M. Lanjuinais :

Si vous mettez Navarrais, il faudra mettre Corses ;

Mettez l'un et l'autre, il faudra dire Louis, par la grâce de Dieu et par la loi constitutionnelle des Français, des Navarrais, des Corses, etc., etc, roi des Français, des Navarrais, des Corses, etc., etc.

 

M. de Bousmard :

Il faut examiner d'abord si l'on ajoutera ou non quelque chose à roi des Français, ensuite chacun proposera, au nom de sa province, les additions convenables.

Cette proposition est fortement appuyée ;

La priorité lui est accordée sur la demande de la question préalable, relativement aux amendements.

L'Assemblée décrète que rien ne sera ajouté à l'expression Roi des Français.

 

Séance du mercredi 11 novembre 1789.

M. Saliceti, député de la Corse :

Quel que soit le nombre des départements, je demande qu'il soit dit que la Corse formera un département séparé.

Cet amendement est ajourné.

 

Séance du lundi 30 novembre 1789.

Après la lecture des procès verbaux et de plusieurs adresses à ce sujet, M. Chassebœuf de Volney annonce qu'une insurrection a été occasionnée à Ajaccio, en Corse, par les mécontentements que le gouvernement militaire a donnés aux citoyens de cette ville.

il fait ensuite lecture d'une lettre qui lui est remise par un député de Corse.

En voici la substance :

« Le 5 novembre les habitants de Bastia s'étaient assemblés dans une église avec l'agrément du commandant de la ville, pour procéder à l'enregistrement de la milice conformément aux décrets de l'Assemblée nationale .

Tout à coup cette église est entourée par les compagnies des chasseurs et des grenadiers du régiment du Maine.

Trente citoyens s'arment pour venir défendre les habitants assemblés.

Les soldats tirent sur eux, et le combat s'engage.

Deux soldats sont tués, deux autres sont blessés, ainsi que le capitaine des chasseurs, et deux enfants sont massacrés dans les rues à coups de baïonnette.

Le peuple s'empare des magasins à poudre et de toutes les défenses de la ville.

Le lendemain l'enregistrement a lieu, et tous les habitants renouvellent le serment de fidélité à la loi, au roi et à l'Assemblée nationale.

« L'insurrection deviendra bientôt générale dans l'île si nous restons encore dans l'incertitude sur notre sort.

Tantôt on nous dit qu'on nous cèdera à la République de Gênes.

Tantôt que nous serons toujours régis par le gouvernement militaire.

De tous les décrets de l'Assemblée nationale, on n'a publié ici que la loi martiale.

Vos cahiers vous chargent de demander que nous soyons considérés comme partie intégrante de la na tion française, et cependant vous n'avez pas fait cette demande ; vous avez beau dire que votre admission à l'Assemblée nationale est une preuve certaine qu'on nous regarde comme français ; tant quun décret de l'Assemblée nationale n'aura pas fixé ce que nous sommes et ce que nous devons être, il sera très difficile de ra- mener le calme.

Veuillez dire à l'auguste assemblée dont vous êtes membre, que nous sommes armés pour l'exécution de ses décrets, et que nous ne quitterons pas les armes qu'ils ne soient exécutés. »

Christophe Saliceti.

Christophe Saliceti.

M. Saliceti :

Je demande qu'il soit rendu sur le champ un décret par lequel il sera déclaré que la Corse fait partie de l'empire français ;

Que ses habitants doivent être régis par la même constitution que les autres Français, et que dès à présent le Roi sera supplié d'y faire parvenir et exécuter tous les décrets de l'Assemblée nationale.

 

M. le marquis de Sillery :

Rien n'est plus juste que la proposition du préopinant, mais je crois qu'il serait à propos de prendre préalablement une décision bien importante.

Le souvenir de la perte de la Louisiane appuiera suffisamment la proposition que je fais de décréter que, dans aucun cas, le pouvoir exécutif ne pourra céder aucun pays ou partie de pays attaché à l'empire français, ou y appartenant, sans avoir consulté la nation.

La motion de M. Saliceti est adoptée.

M. le Comte de Mirabeau :

Messieurs, après avoir rendu ce décret, il s'en présente un autre qui en est la suite nécessaire, et que je propose en ces termes :

« L'Assemblée nationale décrète que ceux des Corses qui, après avoir combattu pour la liberté, se sont expatries, par l'effet et la suite de la conquête de leur île et qui cependant ne sont coupables d'aucuns délits légaux, auront dès ce moment la faculté de rentrer dans leur pays pour y exercer tous les droits de citoyens français, et que le roi sera supplié de donner, sans délai, tous les ordres nécessaires pour cet objet. »

Ce projet de décret est vivement applaudi par la grande majorité de l'Assemblée.

M. le prince de Poix :

Si ce décret était rendu, il pourrait occasionner une révolte dans l'île, et ses anciens habitants coupables envers la France, rapporteraient dans leur patrie le souvenir de leur défaite, et seraient bientôt tentés d'abuser de l'indulgence de la nation.

Je propose de consulter le pouvoir exécutif avant de prendre un parti.

 

M. Saliceti :

C'est la province de Corse elle-même qui réclame ceux de ses anciens Habitants qui ne sont pas chargés des crimes que la justice des lois doit punir : c'est elle qui redemande pour la France des citoyens français.

Christophe Salicetti.

Christophe Salicetti.

M. le Comte de Mirabeau :

Toute objection est levée par ces mots :

Qui ne sont coupables d'aucuns délits légaux.

Car je ne pense pas que personne ici puisse regarder comme coupables envers la nation des citoyens dont le crime unique serait d'avoir défendu leur foyer et leur liberté.

J'ai dit des délits légaux parce qu'il n'y a que les actes contraires aux lois protectrices de l'homme qui méritent d'être punis.

Je ne conçois pas comment la liberté, quand elle est innocente de tous délits de ce genre, pourrait n'être pas sous votre sauvegarde.

J'avoue, Messieurs, que ma première jeunesse a été souillée par une participation à la conquête de la Corse.

Mais je ne m'en crois que plus étroitement obligé à réparer envers ce peuple généreux ce que ma raison me représente comme une injustice.

Une proclamation a prononcé la peine de mort contre les Corses qui ont défendu leurs foyers et que l'amour de la liberté a fait fuir.

Je vous le demande, serait-il de votre justice et de la bonté du roi que cette proclamation les éloignât encore de leurs pays, et punît de mort leur retour dans leur patrie ?

MM. de Bousmard et de Gozon prétendent que ces mots qui se trouvent dans le projet de décret, après avoir combattu pour leur liberté, étaient injurieux à la nation et à la mémoire de son roi.

Cet amendement est fortement appuyé.

 

Source : Gallica. BNF.

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