Un vieux propos, Amici mei, sur notre LANGUE CORSE. 
J’aime à le dire, j’ai Bac + 74. Je n’ai jamais lu la moindre interdiction de nous exprimer dans notre langue maternelle à l’école communale, ni ailleurs. Il nous était pourtant interdit de parler corse en classe - ni même français - ce qui était du bavardage;  la sanction était immédiate et sévère.
Ce qui n’empêchait pas nos maîtres de s’adresser à nous in lingua nustrali, quand ils voulaient rendre plus sévère encore leur réprimande : 0 Asinò, l’aghj’à dill’à babbitu; veni quì, t’aghja tirà l’aricchjii. Pattoni n’i voli, o calci in culu?
L’interdiction, quoique officielle, n’était que protocolaire car notre langue - maternelle et belle, quasi biblique, était pratiquée partout et couramment, même en confession ou au catéchisme quand Preti Ghjuvanni nous l’enseignait. Notre curé pratiquait son bilinguisme du haut de sa chaire en y mêlant son latin. Enfants, nous ne saisissions pas les subtilités et les sous-entendus de ses prêches, mais ses fidèles en faisaient leur miel. 
À l’école, pas d’enseignement du corse ni de sa grammaire, pas d’histoire de la Corse, ni de sa géoraphie, ou de toute autre chose dans la langue de notre terre.   
Plus tard, à la Faculté nous parlions corse entre nous, souvent plus pour faire bisquer nos camarades continentaux que pour leur cacher quoi que ce soit. 
Notre langue était domestique, privée et de toujours. Elle était du dehors et de l’intime, de l’amour et de l’amitié, du loisirs et du chant, du bonheur comme du malheur.- Stammi vicinu, un ti n’and’à... Ti tendu cara. - O himmè ! - E tintu lu me cori commu sò tinti li me panni. Du labeur aussi - 0 tribbiera !
C’était une langue peu ou pas écrite ; ou en italien moderne, florentin, jusqu’au siècle dernier.  C’était et c’est toujours un langage articulé et fleuri, des jurons, de la rancoeur et de la haine aussi... C’était celui de la rue et de la vie.
Se chevillait alors à l’esprit et dans tout le corps cet accent, ces expressions, ces gestes, cette âme dont on ne se sépare quasiment jamais. Et qui fait nous reconnaître partout : Mais vous êtes Corse  ! 
C’est l’une de nos originalités. 
Il m’arrivait, voici bien longtemps, de pratiquer des consultations dans notre langue avec des personnes âgées, peu familiarisées avec le français; j’appréciais alors la qualité et la saveur de leurs expressions désormais hors d’usage : le ‘Bona furtuna’ pour : ‘A Vedaci’.
Et, quand au lieu de : Combien je vous dois ?  Ou : Ça fait combien ? J’avais le plaisir d’entendre : O Sgiò duttò, quant’è u vostru meritu ? À combien estimez-vous votre mérite, monsieur  le docteur ? Imaginez le plaisir de l’entendre, de la parler et de l’écrire, cette langue !
Et l’ardeur à la défendre.

 

Simon Grimaldi 

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