L'ESCLAVAGE EN AFRIQUE. CULTURE AFRICAINE.
L'ESCLAVAGE EN AFRIQUE.
CULTURE AFRICAINE.
Des origines au XXe siècle
L'Afrique noire ou subsaharienne a connu l'esclavage dès les temps anciens, comme toutes les autres régions du monde.
Cet esclavage traditionnel a pris une dimension d'autant plus importante que l'Afrique noire a ignoré la propriété foncière jusqu'à l'ère contemporaine.
Dans l'Afrique ancienne, les hommes étant rares et la terre disponible en abondance, l'enrichissement et l'élévation sociale dépendaient de la possibilité de cultiver un maximum de surface.
D'où l'intérêt pour les chefs de famille de disposer d'une main-d'oeuvre nombreuse.
Plus un homme possédait d'esclaves et de femmes, plus il pouvait cultiver de terres et plus il était riche... et plus il était riche, plus il était en situation d'accroître son cheptel de femmes et d'esclaves.
Il s'ensuit que, bien avant l'irruption des trafiquants arabes, l'esclavage était déjà un élément structurel des sociétés africaines, du moins dans les régions de savanes et de pâturages situées au nord de l'Équateur, terres d'élection des premiers royaumes africains ...
« Pour autant que la notion de la propriété de la terre n'existait pas, les hommes et les femmes constituaient la seule source de richesse. Leur capture et leur commerce, par la guerre ou autrement, animaient les conflits entre les royaumes », rappelle l'historien Marc Ferro
Il semble n'avoir pas eu le temps de s'établir au sud de l'Équateur, où la colonisation par les populations noires bantouphones remonte seulement au Ier ou au IIe millénaire de notre ère.
L’esclavage est un élément constitutif des sociétés où l’homme est rare et la terre surabondante.
La Russie en offre la démonstration.
Jusqu’au XVIIe siècle, les paysans russes avaient bénéficié comme en Occident d’une émancipation progressive.
Au XVIIIe siècle, leur statut s’est brutalement dégradé jusqu’à revenir au servage.
Ce phénomène à contre-courant peut être relié à la conquête de la Sibérie et à l’ouverture de ses immenses espaces à la colonisation.
La noblesse russe s’est alors aperçue que ses propriétés perdraient toute valeur si les paysans les quittaient pour la Sibérie.
Ils ont donc obtenu de la tsarine que les paysans soient à nouveau attachés à la terre comme les anciens serfs.
D'après les récits des premiers voyageurs occidentaux qui ont visité l'Afrique sahélienne, comme l'Écossais Mungo Park (1771-1805), on estime qu'un quart des hommes de ces régions avaient un statut d'esclave ou de travailleur forcé.
C'étaient des prisonniers de guerre ou des prisonniers pour dettes, ou encore des descendants d'esclaves (« captifs de case »).
Leur sort n'avait toutefois rien de commun avec celui des esclaves noirs employés dans le monde musulman ou sur les plantations américaines.
Les « captifs de case » étaient généralement intégrés au cercle familial et traités comme des domestiques ou des cousins.
Ils pouvaient éventuellement servir comme guerriers.
Les témoignages de voyageurs ne font pas état de sévices et de maltraitance particulière à leur égard et, au temps de la colonisation, beaucoup d'Européens, tels Faidherbe ou Gallieni, répugnèrent à détruire cette forme de servitude avec le système social qui la soutenait.
Ainsi que le note l'anthropologue Tidiane N'Diaye, ces formes d'esclavage ne débouchaient pas sur des déportations massives, meurtrières, mutilantes et traumatisantes.
Elles étaient acceptées avec résignation par les populations et intégrées à leur mode d'existence.
Mais elles les ont préparées à la traite orientale (arabo-musulmane) ou à la traite occidentale (européenne), avec l'exil forcé de quelques dizaines de millions d'hommes et de femmes vers le monde musulman ou le monde américain.
Notons que, dans le régime matrimonial de l'Afrique noire, le statut des femmes n'était souvent guère différent de celui des esclaves.
À leur entrée dans l'âge nubile, les adolescentes étaient vendues par leur propre père à leur futur maître et époux.
Elles vouaient le restant de leur vie à rembourser celui-ci de son investissement par leur travail et leurs prestations sexuelles.
La polygamie, toutefois, restait dans l'Afrique ancienne le privilège des élites, comme chez la plupart des autres peuples anciens tels les Chinois ou les Germains.
Dès les premiers temps de l'islam, des caravaniers arabes puisèrent de nombreux esclaves au Soudan (d'après une expression arabe qui désigne le « pays des noirs ») en vue de les castrer et les revendre au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord.
Des chefs noirs se mirent à leur service.
Ils lancèrent des guerres contre leurs voisins et revendirent les prisonniers aux marchands musulmans.
Il s'ensuivit un trafic de 5 000 à 10 000 esclaves par an en direction des pays musulmans.
En témoignage de ce trafic, le mot arabe abid qui désigne un serviteur ou un esclave, est devenu synonyme de noir.
Aux Temps modernes, des musulmans de confession chiite en provenance du golfe Persique s'établissent dans un archipel de l'Océan indien proche du littoral africain et dénommé Zanzibar (de Zenjet bahr, deux mots arabes qui signifient « littoral des noirs »).
En 1832, le sultan de Mascate-et-Oman établit sa capitale sur l'archipel et introduit la culture du clou de girofle.
Cette culture nécessite nécessite l'importation de nombreux esclaves noirs arrachés au continent.
Dans les plantations de girofliers, les conditions de travail sont épouvantables :
« La mortalité était très élevée, ce qui signifie que 15 à 20% des esclaves de Zanzibar (soit entre 9 000 et 12 000 individus) devaient être remplacés chaque année », écrit Catherine Coquery-Vidrovitch.
Très vite, Zanzibar devient aussi un important marché d'exportation d'esclaves à destination du Golfe.
Les comptes précis tenus par l'administration du sultan ont permis d'évaluer à plus de 700 000 le nombre d'esclaves qui ont transité par l'île entre 1830 et 1872.
Aujourd'hui encore, en ce début du XXIe siècle, les habitants noirs de Zanzibar conservent un statut de quasi-esclave.
Les colonisateurs européens ont mis fin à ces pratiques au début du XXe siècle, mais ils ont eux-mêmes introduit en Afrique le travail forcé, croyant de cette façon développer le continent.
Dans l'État indépendant du Congo, en fait propriété personnelle du roi des Belges Léopold II, il a donné lieu à d'épouvantables abus à la fin du XIXe siècle, en raison de l'âpreté des colons spécialisés dans le commerce du caoutchouc et de l'ivoire.
Dans les colonies françaises, y compris dans les actuels départements et territoires d'outre-mer, le travail forcé n'a été aboli que le 11 avril 1946, à l'initiative du député Félix Houphouët-Boigny, plus tard président de la Côte-d'Ivoire.
L'Afrique indépendante a partout interdit l'esclavage mais celui-ci demeure présent sous diverses formes et tend à se renouveler sous l'effet des crises, des guerres et des inégalités croissantes.
Des adolescentes continuent d'être vendues par leur géniteur soit à de vieux polygames (parfois installés en Europe), soit à des employeurs, et il arrive que des garçonnets le soient aussi, en vue du travail agricole ou domestique.
Le souvenir de la traite musulmane demeure très vif au sud du Sahara où les noirs de la forêt, chrétiens ou animistes, gardent un vif ressentiment à l'encontre des nomades « blancs » de la savane.
Ce ressentiment se traduit par des conflits sans fin à la lisière des deux régions, de la Mauritanie au Soudan en passant par le Mali, le Nigeria, la Centrafrique...
Alban Dignat.
Source : Herodote.