LUNETTA ET LE MISSIONNAIRE.

LUNETTA ET LE MISSIONNAIRE.

Vers la fin de son existence, grand-mère me demandait souvent d’écrire son histoire.
— Tu l’appelleras l’Ajaccienne, disait-elle.
Le titre était pompeux, mais ce qui suivait ne pouvait en rien inspirer une saga.

J’essayais de prendre des notes.
— Combien d’amants ?
— Des amants ? Jamais !
J’aurais pu commencer mon livre par l’histoire du Missionnaire.
Un prêtre missionnaire était arrivé dans le beau village de Véro.

Aussitôt, hommes, femmes, enfants se précipitèrent pour la confesse.

Lorsque ce fut le tour de grand-mère, qui devait avoir onze ou douze ans, le missionnaire demanda :
— As-tu des rapports avec les garçons ?


L’affirmation sincère et spontanée de la gamine entraîna un chapelet de lamentations sur la prétendue fille du diable.

Après un temps de surprise, Lùnetta commença à s’énerver et, questionnant avec arrogance sur les raisons de cet emportement, le missionnaire se calma et demanda enfin :
— Mais, qu’est-ce que tu fais, avec les garçons ?
— On parle. On grimpe aux arbres. On se dispute. On se jette des cailloux !
Le missionnaire mit les mains sur son front.
— Pauvre innocente, dit-il dans un souffle.
— Pauvre de lui ! s’écria Julia, la maman de Lùnetta.
La gamine n’assista pas à l’entretien qui eut lieu entre sa mère et le stupide capelan.

Elle le vit seulement quitter le village à la hâte, sans attendre la diligence ni héler la plus quelconque charrette. Il partit.

À la grande satisfaction de Lùnetta, elle devait ne jamais le revoir.

 

Monique Bellini.

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