LE FUMEUR DE PIPE.
LE FUMEUR DE PIPE.
Déjà depuis une heure il fume,
A petit coups, à mince brume,
Le gros et compact tabac
Qu’a resserré, avec une ardeur douce,
Son pouce,
Dans sa pipe de bruyère.
Il fume et se tait,
La bouche au frais, le ventre à l’aise
Il fume et surveille
Du coin de l’oeil et de l’oreille.
Il fume méticuleusement,
Sans nulle hâte aventurière,
Si bien que l’on n’entend
Que l’horloge de cuivre et son tictacquement,
Ou bien encor, de temps en temps,
Le flasque et lourd écrasement
D’un crachat blanc contre les pierres.
Il fumerait ainsi,
Inépuisablement, tout un après-midi,
Les petites volutes
Tracent avec leurs fins réseaux,
Ses souvenirs de tant de lutte,
Près du plafond, là-haut ;
Il s’entête à n’avoir d’yeux
Minutieux
Que pour sa pipe, où luit et bouge
Le seul point rouge
Dont sa pensée ait le souci.
Il le tient à sa merci,
Il le couve à l’étouffée,
Laissant de moins en moins les subtiles bouffées
Passer entre ses lèvres minces
Comme des pinces.
Oh son savoir malicieux,
Et ses gestes mystérieux,
Et ce qu’il faut de temps et d’heures
Avant
Qu’un foyer clair, entre ses doigts fervents,
Ne meure !
Texte modifié d'Émile Verhaeren par Augustin Chiodetti.
Source photo : Pino di Maria.