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Les Nabatéens
Les ancêtres de l'Arabie
Tous les chemins mènent à Pétra ! Des voyageurs audacieux du XIXe siècle aux simples touristes d'aujourd'hui, personne ne peut lutter contre la fascination exercée par la cité de pierre. Mais victimes du pouvoir d'attraction de cette ville extraordinaire, nous en oublions trop souvent qu'elle n'est que la représentante, certes prestigieuse, d'un peuple qui ne demande qu'à être redécouvert.
Avec la mise en valeur de nouveaux sites en Arabie saoudite, les Nabatéens vont enfin sortir de l'ombre de Pétra et nous prouver qu'ils ne sont pas les bâtisseurs d'une seule ville.
Isabelle Grégor
Fouilles à Hégra, Mission archéologique de Madâin Sâlih, CNRS, DR. L'agrandissement montre une vue du site d'AlUla, Arabie Saoudite, HR, DR.
Une fort mauvaise réputation
Mais d'où peuvent bien venir les Nabatéens ? Seraient-ils les descendants de Nebayôt, peuplade arabe citée dans l'Ancien Testament ? Une chose est sûre : on ne sait pas ! La seule certitude est qu'ils sont originaires d'Arabie où, dès l'époque perse, ils s'adonnaient au commerce avec le port de Gaza.
Nicolas Poussin, Carte de piste caravanières, dans Christian Augé et Jean-Marie Dentzer, Pétra, la cité des caravanes, éd. Gallimard, 1999. L'agrandissement montre un ex-voto, Alula, Ve-Ier s. av. J.-C.Au VIe siècle avant J.-C., les voilà qui commencent à s'intégrer aux populations jordaniennes du sud de la mer Morte, apportant notamment dans leurs bagages leur maîtrise de l'irrigation.
C'est l'historien grec Diodore de Sicile qui nous les fait découvrir, mais sa description est peu flatteuse. Après les avoir traités de « brigands qui ne vivent que du pillage qu’ils vont faire chez leurs voisins », il rappelle que ceux de la côte « s'étaient mis à piller les vaisseaux échoués, [et] couraient les mers en pirates, fidèles imitateurs de la méchanceté et de la férocité des Taures, habitants du Pont [Crimée] ». Il ajoute que, « toujours invincibles, [ils] ont toujours conservé leur liberté et qu’il n’est point de conquérant qui les ait soumis » (Bibliothèque historique, Ier siècle av. J.-C.).
Voilà une belle réputation ! Il est vrai que les événements donnent raison à l'historien : en 312 av. J.-C. par exemple, Antigone le Borgne, général du grand Alexandre, voulut faire payer à ces commerçants qu'on disait déjà forts riches une taxe sous formes d'aromates.
Grave erreur ! Les Nabatéens finirent par massacrer les Grecs et se faire une belle place dans ce nouveau monde né des conquêtes d'Alexandre. Ils étaient désormais incontournables.
Offrande en forme de hérisson, s. d., Pétra, musée archéologique.
Les fous de liberté
« Pour ceux qui les ignorent, il est utile de rapporter les usages de ces Arabes, grâce auxquels, semble-t-il, ils sauvegardent leur liberté. Ils vivent en plein air et appellent patrie ce territoire sans habitations, qui n'a ni rivières ni sources abondantes pouvant ravitailler en eau une armée ennemie. Ils ont pour coutume de ne pas semer de grains, de ne pas planter d'arbres fruitiers, de ne pas boire de vin et de ne pas construire de maisons. Si quelqu'un est pris à agir autrement, le châtiment est la mort. Ils suivent cette coutume parce qu'ils croient que, pour pouvoir en jouir, les possesseurs de ces biens se laisseront aisément contraindre par les puissants à exécuter leurs ordres.
Certains élèvent des chameaux, d'autres du petit bétail qu'ils font paître dans le désert. Des nombreuses tribus arabes, ceux-ci sont de loin les plus riches, quoique leur nombre ne dépasse guère dix mille. [...] Ils aiment passionnément la liberté, et lorsqu'une forte troupe ennemie s'avance, ils s'enfuient dans le désert qui leur sert de forteresse : le manque d'eau le rend inaccessible aux autres, mais, pour eux seuls qui ont creusé dans la terre des réservoirs revêtus d'un enduit de chaux, il est un asile sûr » (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Ier siècle av. J.-C.).
Vue du site de Pétra. L'agrandissement est une photographie de G. Grégor.
Comment se faire remarquer…
Dès le IIIe siècle avant J.-C. les Nabatéens ne sont plus de pauvres nomades mais les habitants d'un véritable royaume qui se développe autour de leur capitale, une ville occupée autrefois par les Édomites et connue sous le nom de Pétra, « la Roche ».
Vu du chemin menant au Deir, Pétra, AFP, DR. L'agrandissement montre le Deir, l'un des plus emblématiques monuments de Pétra, AFP, DR.Mais ils n'ont pas oublié pour autant leur origine : ces nomades continuent en majorité à vivre sous la tente et à s'adonner au commerce. Petit à petit, l'argent entre dans les caisses, attirant le regard des puissances voisines.
C'est d'abord le roi Antiochos XII, de la dynastie hellénistique des Séleucides, qui a la mauvaise idée en 87 av. J.-C. de les provoquer : il est massacré avec ses troupes. Puis c'est le tour des Romains et de l'empereur Auguste de s'intéresser à eux, à leur plus grand malheur.
En 64 av. J.-C., il envoie le préfet d'Égypte, Aelius Gallus, annexer le royaume de Saba, en Arabie du sud. Rien de plus facile, il suffit d'utiliser la parfaite connaissance du pays qu'ont leurs alliés, les Nabatéens. Grave erreur... Les 10 000 hommes de l'expédition, mal conseillés, se perdent dans le désert et ce n'est qu'après 6 mois d'errance que le Romain put rejoindre Alexandrie, maudissant ces amis bien peu fiables.
Théâtre à Pétra, photo G. Grégor. L’agrandissment montre le théâtre à Bosra.
David contre Goliath
Le début de notre ère est aussi celui de l'apogée des Nabatéens grâce au bien-nommé Arétas IV « Philopatris » (« qui aime son peuple »).
Ex-voto, Alula, Ve-Ier s. av. J.-C. L'agrandissement montre un bas-relief décoré d'une lionne allaitant son petit, Arabie saoudite, sanctuaire de Dadan, Vème-Ier siècle av. J.-C.Sous son règne la paix et les affaires fleurissent et la ville de Pétra se couvre de monuments, tous plus splendides les uns que les autres : théâtre, tombeaux, palais... Rien n'est trop beau pour le royaume dont les richesses sont visibles jusqu'à Hégra (site d'Al-'Ula), en Arabie.
Les Romains sont en embuscade et se montrent de plus en plus pressants, observant d'un œil envieux les lourdes caravanes qui semblent les narguer. En définitive, les Nabatéens ne peuvent rien face à la volonté de Trajan d'unifier son Empire : en 106, la région est annexée et devient une simple division de la grande province d'Arabie, gérée à partir de la belle ville de Bosra (Syrie).
El Khasnè, Pétra, gravure de David Roberts, 1849. L’agrandissement montre une peinture d’ El Khasnè par Frederick Edwin Church,1868.La dynastie régnante à Pétra disparaît sous le rouleau compresseur romain, ce qui n’empêche pas sa cité de continuer à briller. Elle accède même au titre de Petra Metropolis en 130, après la visite d'Hadrien.
Mais rien n'y fait, le trafic se déplace vers Palmyre et même si Pétra reste une des plus grandes métropoles de la région, devenant même évêché à l'arrivée du christianisme, au IVe siècle, le déclin est là, accéléré par plusieurs tremblements de terre. L'arrivée des Croisés en 1116 ne parvient pas à réveiller la belle endormie qui, trop éloignée des routes des pèlerins musulmans, finit par être délaissée par les Arabes.
Ce n'est qu'en 1812 qu'un curieux du nom de Johann Ludwig Burckhardt fait redécouvrir à l'Occident une cité morte nichée dans les montagnes de Jordanie. Avec elle, c'est tout un peuple qui sort enfin de l'oubli.