LIBÉRATION DE LA CORSE : L'HISTOIRE MÉCONNUE.

LIBÉRATION DE LA CORSE : L'HISTOIRE MÉCONNUE.

Au lendemain de l'armistice du 8 septembre 1943, alors que les premiers bataillons de choc débarquent du sous marin Casabianca faisant d'Ajaccio la première ville française libérée, Bastia est prise sur le feu croisé des troupes italiennes.

 
 
RÉCIT D'UN OFFICIER ITALIEN DÉSORIENTÉ MAIS COMBATIF.
Confusion générale après un revirement inattendu.
 
Devenus ennemis du soir au lendemain après l’armistice signé entre Badoglio et les Alliés, Italiens et Allemands se livrent aussitôt à une guerre sans merci pour le contrôle du port de Bastia.
 
À la tête d’un peloton de « bersaglieri, » le lieutenant Nazzareno Pancotti a vécu les premières heures dramatiques de la Libération de la CorseLe 8 septembre 1943.
 
« il tenente » Pancotti se trouve en détachement à Borgo, où son peloton est cantonné dans l’école élémentaire située juste à l’entrée du village, ayant en charge un secteur comprenant Borgo, Lucciana, Vignale, Scolca et la zone de l’aéroport de Bastia.
 
De son belvédère, il a l’oeil sur un vaste territoire allant du Cap Corse à la Casinca.
 
À midi, on signale seulement la présence de quelques unités allemandes devant l’aéroport.
 
La veille vers 22 heures, des fusées ont été aperçues indiquant un possible parachutage d’armes à la périphérie de Vignale.
 
À 15 heures, le lieutenant Pancotti apprend que ses hommes en poste près de l’aéroport sont en fête, ils viennent d’apprendre par la radio la nouvelle de l’armistice entre Badoglio et les Alliés.
 
La confirmation arrive une heure plus tard par un message officiel disant :
« L’Italie a signé l’armistice.
Toutes les dispositions sont annulées, y compris le couvre-feu.
Se défendre en cas d’attaque.
Rapatrier les pelotons au sein des compagnies le plus tôt possible. »

Réunissant ses hommes, Pancotti leur recommande de rester unis, chacun devant rejoindre avec armes, véhicules et munitions le détachement de Cardo, au-dessus de Bastia.  
 

Dans la soirée, la nouvelle de l’armistice se répandant, des manifestations de joie éclatent à Borgo, mais Pancotti dit ne craindre « aucun mouvement d’hostilité de la part de la population ».

Sa préoccupation première, ce sont les Allemands qui stationnent à moins de trois kilomètres.

Après minuit, il entend des détonations dans le lointain vers Bastia, sans doute une canonnade.

9 septembre, 8 h. Décidant de créer un avant-poste sur la nationale avec l’intention de bloquer l’accès à l’aéroport, Pancotti entre sur la piste où il n’y a plus qu’un avion léger.

Le pilote en instance de décollage, lui apprend que des combats ont éclaté à Bastia où les Allemands ont attaqué les Italiens.

Puis il apprend que les Italiens ont repris le port.

La situation est extrêmement confuse.

Le « chef des partisans » (pas de nom cité, ndlr) fait une requête auprès de l’officier italien, demandant des armes, des munitions et du carburant.

« Je leur ai répondu que je ne disposais que du strict nécessaire.

Je leur ai laissé cependant deux fûts d’essence de mon escorte, que je ne pouvais emmener avec moi. »

Les balles sifflent autour des motos lancées plein gaz.

9 septembre, 20 h. Le détachement des bersaglieri quitte Borgo salué par les applaudissements de la population.

Bien que ne disposant d’aucune information précise sur la situation nouvelle créée dans l’île, Pancotti sent que le danger pourrait venir du sud, mais qu’il peut tirer parti de la confusion générale.

Sur la route nationale 193, le convoi des bersaglieri roule pleins phares à vitesse soutenue.

A la hauteur de Casatorra, des Allemands braquent un fusil mitrailleur dans leur direction.

Les bersaglieri passent outre.

Un peu plus loin, la même scène se répète, avec des soldats plus nombreux.

Pancotti donne ordre à Greco, son estafette, de ne pas s’arrêter, même si on lui tire dessus.

« Quand nous sommes arrivés à hauteur des Allemands, un soldat couché a tourné son arme vers nous, mais à notre passage, il n’avait pas encore réussi à se poster. 

Il nous suivit avec, dans le regard, une indécision qui m’avait rassuré.

À ce moment, j’ai eu la conviction de m’en être sorti.

Puis ils ouvrirent le feu.

Leurs balles ont sifflé près de nous, sans pour autant nous impressionner. »

À 22 h 30, le convoi des bersaglieri atteint le siège de la compagnie à Cardo sans coup férir :
 
« L’ordre avait été exécuté, la mission accomplie sans effusion de sang !
Ma satisfaction fut extrême, la joie de mes bersaglieri indescriptible, et notre chance immense.»
Pancotti apprend alors par son commandant de compagnie, ce qu’il s’est réellement passé à Bastia les heures précédentes.
 
La vive réaction des Italiens contre l’emprise allemande sur le port de Bastia a contribué à pousser le haut commandement italien « à prendre une décision ferme. »
 
Pancotti s’attend à être mobilisé sans délai pour attaquer des objectifs dans des missions d’exploration, d’avant-garde, d’anti guérilla, ou de prise de contact avec l’ennemi.
 
10 septembre. À la faveur d’un calme relatif, le lieutenant Pancotti prend le temps d’envoyer une carte postale militaire à sa mère, tout en sachant que cet intermède sera de courte durée.
 
Une colonne logistique a été attaquée à L’Île-Rousse et des combats sont engagés du côté de Miomo dans le Cap Corse.
 
Un détachement allemand a pris pour cible la 225e Divisione costiera et désarmé la garnison.
 
Puis, a obligé les soldats italiens à décharger leur matériel et à le charger sur les véhicules allemands.
 
Les chauffeurs ont été tués et remplacés par des Allemands.
 
Le convoi a pris la route du sud.
 
Mission pour les bersaglieri :
reprendre aux Allemands ce qui a été volé à l’armée italienne.
 
Pancotti se met en route aussitôt vers L’Île-Rousse avec sa brigade motorisée renforcée d’une section de mitrailleurs.
 
Désormais c’est à lui d’aller au feu.
Connaissant les lieux, il arrive avant les Allemands à un point déterminé sur la route nationale, d’où il repère une colonne de sept chars légers italiens précédés d’un véhicule allemand près duquel se tient un officier.

 

 

« Je fis ouvrir le feu par le fusil mitrailleur le plus avancé.

Ce fut le signal.

Les autres entrèrent aussitôt en action. »

La réaction ennemie est sporadique, les Allemands abandonnent leur butin et prennent la fuite.

Pancotti compte sept cadavres ennemis à terre, mais ne déplore aucune perte dans son camp, seulement de « la peur et de la sueur ». 

De plus, il a libéré les hommes de la Divisione Costiera qui avaient été faits prisonniers.

L’action qui avait débuté vers 21 h 30 a trouvé une conclusion rapide sans qu’il soit utile de faire intervenir le gros de la compagnie.

La flotte allemande et les Stukas bombardent Bastia, le 11 septembre au petit matin

La flotte allemande et les Stukas bombardent Bastia, le 11 septembre au petit matin

Panique dans le secteur de Cardo Le cimetière dévasté par une explosion. 

11 septembre, à l’aube. Pancotti et les bersaglieri sont de retour à Bastia où la canonnade a repris notamment depuis la mer.

La bataille prend un tour aigu dans l’après-midi avec l’intervention de la Luftwaffe dont les redoutables Stukas fondent en piqué, lâchent leurs bombes et s’éloignent rapidement sans être inquiétés par la DCA italienne. 

Pancotti raconte : 

« Notre position, quoique assez protégée, était très exposée. L’artillerie postée au-dessus de nous sur la zone haute de Cardo, justifiait notre pressentiment : les impacts des Stukas se rapprochaient de nous. »

Toutes les batteries étaient en action contre l’attaque aérienne qui a duré deux heures.

Aussitôt après, c’est au tour des batteries allemandes de 88 récemment installées à Bastia d’ouvrir le feu.

Une relative accalmie interviendra au milieu de la nuit.

12 septembre. Les unités de bersaglieri ont ordre de prendre position pour défendre Bastia. Le sous-lieutenant Semini doit se poster au sud du cimetière.

Pancotti se tiendra avec ses hommes à la périphérie de Cardo, pour suivre les événements :

« Dans les premières heures de l’après-midi, la pression allemande s’intensifie avec un feu nourri de mitrailleuses.

 Toute la zone de Cardo est prise sous un tir impressionnant auquel se mêlent des coups de canon venus aussi de la mer.

Les premières maisons autour de Cardo sont touchées.

Pleurs des femmes et des enfants, suppliques désespérées des civils de tous âges demandant de l’aide, soldats italiens aux abois cherchant une issue. »

Grâce à une paire de jumelles prise à l’ennemi, Pancotti peut avoir une vision précise de la batterie allemande installée à 400 mètres à vol d’oiseau.

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Au signal donné, les fusils mitrailleurs et la mitrailleuse alignés en oblique ouvrent le feu. Les Allemands répliquent immédiatement et violemment.

Pendant ce temps, Pancotti qui rampait avec ses hommes, va pour sortir à découvert quand deux fortes explosions retentissent, provoquant de hautes colonnes de fumée.

Alors la réaction allemande s’affaiblit, puis cesse d’un coup.

Pancotti se lance avec ses hommes à l’assaut d’un demi-cercle constitué de pierres et de sacs de sable.

Les Allemands surpris, sont mis hors de combat avec des bombes à main.

L’action aura duré deux heures et demie. Pancotti a fait 50 prisonniers « complètement désorientés, » et ne déplore que quelques blessés légers, les morts étant du côté ennemi.

Mais une autre unité allemande déclenche le feu à la mitrailleuse, tandis que l’artillerie italienne intensifie son tir.

Alors que le jour tombe, une forte explosion, suivie d’autres, obscurcit toute la vallée.

Les tirs cessent. 

« La poudrière située dans le secteur du cimetière venait de sauter. » 

Pancotti arrive près du cimetière au prix de mille difficultés, la route labourée par les obus rendait quasi impossible toute circulation. 

De l’aveu même de Pancotti ce fut la nuit la plus dure, où l’émotion est indicible et la situation irréelle.

Il raconte : 

« À la hauteur du cimetière, réduit à un amas de décombres, je laissais ma moto pour commencer à ratisser la zone.

Nous passons à travers les tombes fracassées, les cercueils brisés et les cadavres dispersés un peu partout avec des restes humains gisant tout autour.

Je fus frappé par la tête d’une jeune femme, inhumée depuis peu, avec ses cheveux qui semblaient peignés, illuminés par la pleine lune qui brillait dans le ciel étoilé, rendant cette vision encore plus sombre.

Ce silence lugubre fut interrompu par quelques tirs, déchiré par les hurlements et les lamentations, ceux des blessés côtoyant les morts. » 

Des soldats italiens arrivent pour compter les morts et secourir les blessés.

« Les blessés allemands refusaient notre aide, démontrant envers nous une haine méprisante. » 

Pour les bersaglieri, le bilan est lourd.

Le 3e peloton du sous-lieutenant Simini a été complètement anéanti, ayant pris de plein fouet l’explosion de la poudrière alors qu’il s’approchait du cimetière.

Pour les bersaglieri, le bilan est lourd. Le 3e peloton du sous-lieutenant Simini a été complètement anéanti, ayant pris de plein fouet l’explosion de la poudrière alors qu’il s’approchait du cimetière.

Pour les bersaglieri, le bilan est lourd. Le 3e peloton du sous-lieutenant Simini a été complètement anéanti, ayant pris de plein fouet l’explosion de la poudrière alors qu’il s’approchait du cimetière.

Les Allemands aux portes de Bastia Les Italiens se replient par Teghime.

13 septembre. Le jour est déjà avancé quand le commandant de compagnie Ambrosi de Magistris donne l’ordre de retour au campement.

Du côté de l’aéroport vient l’écho de la bataille, des détachements de tous types se dirigent vers le sud.

Pancotti y prête peu d’attention.

Recru de fatigue, il est tout prêt de s’endormir sur sa moto.

Presque arrivé, il est arrêté par l’estafette du commandant Ambrosi en discussion avec le général Stivala sur le bord de la route.

Le haut commandement veut avoir des informations précises sur la ligne défensive établie, connaître les détachements engagés au sud, et savoir à quel niveau sont arrivées les troupes allemandes.

Pancotti se voit chargé de cette nouvelle mission de renseignement.

Reparti dans la direction de Borgo, il trouve une situation inextricable avec des véhicules à l’arrêt et des troupes en désordre.

L’affaire prend un tour plus dramatique à la hauteur d’un passage à niveau :

« Des soldats s’enfuyant, terrorisés, sur la route, des mitrailleuses sans leurs servants, des corps gisant à terre.

Des groupes de fantassins se repliaient en désordre sous la protection de l’artillerie.

 Son entrée en action avait contenu la pression ennemie.

Les Allemands tiraient à la mitrailleuse par brèves rafales notamment sur la route.

Ils n’avaient pas dépassé le km 5, et ils étaient à l’arrêt. »

Pancotti estime à ce moment que sa mission n’est pas d’attaquer, mais de protéger le décrochage de l’infanterie. 

Grâce au tir nourri de trois pièces d’artillerie de campagne, deux chars allemands sont touchés et les bersaglieri achèvent leur destruction.

Avec le peu d’hommes dont il dispose, Pancotti, qui a troqué son mousqueton contre une mitraillette allemande, favorise le repli des unités, puis se replie également, non sans voir épuisé ses munitions dont les bombes à main.

Ne restent que les morts et les blessés prisonniers des Allemands.

Alors que les Panzergenadiers venus de Sardaigne s’approchent de Bastia, le bilan est lourd pour les unités italiennes.

Pancotti, tel un rescapé de l’enfer, se laisse aller à embrasser le premier bersagliere qu’il rencontre :

 « Ce moment fut pour moi le plus dur de la bataille : voir ces hommes encore unis malgré le climat de peur, de défaite et de désespoir que nous avions autour de nous, me faisait sentir plus grand et plus douloureux le vide des ‘‘absents’’. »

L’écho des combats et de l’avancée allemande sème la panique à Bastia.

« Tous ces gens, tant civils que militaires, qui avaient vu sortir de la Citadelle le peloton des bersaglieri au complet, et qui en avaient conçu tant d’espérance, les voyaient revenir quelques heures après, marqués par les combats. 

Les rescapés leur disaient :

‘‘Les Allemands ont été stoppés, rassurez-vous’’. »

Devant le commandant Ambrosi, Pancotti fait le bilan : 5 tués, 3 blessés prisonniers, 4 disparus, 4 motos perdues dans les combats et 2 hors d’usage.

Désormais, les Italiens qui tenaient Bastia depuis le 11 novembre 1942, sentent bien que la chute de la ville est imminente au vu des nouvelles préoccupantes.

De nombreux soldats remontent vers Cardo.

La retraite a commencé.

Mais le commandant Ambrosi de Magistris, lui, ne fuit pas, il ordonne de contenir les troupes en débandade qui encombrent la route de Cardo avec leurs véhicules chargés de bagages.

Puis, organisant la compagnie en formation d’arrière-garde, donne le signal du départ.

Une initiative personnelle, selon Pancotti, car il n’y avait alors plus de commandement. 

Au soir du 13 septembre, Nazzareno Pancotti et les bersaglieri quittent la ville sous les balles de mitrailleuses. 

À minuit, ils franchissent le col de Teghime, à bord de véhicules saisis à l’ennemi lors de précédents combats, juste avant que les Allemands ne ferment cette unique voie de salut.

Le général Giovanni Magli commandant le VIIe Corps d’armée en Corse.

Le général Giovanni Magli commandant le VIIe Corps d’armée en Corse.

Un officier allemand en descend, porteur d’un message personnel émanant du Feldmarschall Kesselring et du général Senger Und Etterlin, commandant en chef des troupes allemandes en Corse.

Le texte d’un style diplomatique, est assorti de menaces.

Magli répond amicalement mais fermement, dénonçant la traîtrise de l’attaque allemande à Bastia, accusant Senger Und Etterlin de lui avoir menti, concluant « qu’à la force répondra la force. »

La 90e Panzerdivision venue de Sardaigne, dotée d’une puissance de feu supérieure avec les redoutables chars Tigre, entre dans Bastia le 13 septembre renforçant la Stürmbrigade SS Reichsführer.

La ville tombe, les Italiens refluent, se repliant dans la montagne, notamment sur une ligne col de Sorba-Vezzani où, dès le 25 septembre, ils opèrent leur jonction avec les forces françaises de Giraud qui progressent depuis Ajaccio.

Cette décision franco-italienne de faire front commun contre les Allemands a été prise le 17 septembre à la faveur d’une rencontre à Corte entre les généraux Magli et Martin.

Dans une première phase, des combats sont menés par les Italiens appuyés par les patriotes corses afin d’empêcher les déplacements de troupes allemandes. 

Puis, le 18 septembre, les opérations prennent un caractère défensif, dans l’attente de l’arrivée des unités françaises qui vont permettre avec le soutien des résistants, une offensive combinée franco-italienne en vue de reprendre Bastia et de libérer ainsi la Corse.

Fait inédit dans les annales de la guerre, les occupants de la Corse contribueront eux-mêmes à sa libération, engendrant une situation propice aux malentendus. 

Ainsi, certains observateurs présentent la fuite des troupes allemandes le 4 octobre comme une victoire italienne, la première depuis la bataille de Piave.

Or, ce sont les Tabors du capitaine Then et les Goumiers qui entrent les premiers dans Bastia libérée, les bersaglieri motorisés venant ensuite.

Les Alliés avaient pour mission d’infliger le plus de pertes possible aux Allemands en train d’opérer une retraite qu’Hitler lui-même avait ordonnée.

Les compagnies Friuli et Cremona seront ensuite transférées en Sardaigne, mais privées de leurs armes lourdes.

Malgré la victoire, la défiance est de mise.

Car autour du général de Gaulle, on fait valoir une analyse différente :

 « Malgré la décision du maréchal Badoglio de se rallier à la cause des Alliés (décision illustrée par la participation des Italiens à la libération de la Corse - Alger n’y accepte aucun partage d’autorité : au nom du CFLN – Comité français de libération nationale) le préfet Luizet l’a clairement signifié au général Magli.

L’Italie, trop récemment détachée du régime fasciste et de ses liens avec les Nazis, n’est pas considérée comme une alliée entièrement fiable avec laquelle un partage de pouvoirs est envisageable. 

Ni le CFLN ni le Commandement militaire français ne lui accordent un véritable statut d’allié.

La population corse ne l’aurait d’ailleurs pas accepté. » 

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L’attaque perpétrée le 9 septembre par les Allemands contre les installations portuaires, suivie de l’occupation des navires amarrés dans le port et dans la rade, obéit à une tactique du coup de main, facilitée par une désorientation des troupes italiennes, consécutive à la signature de l’armistice.

Ce jour-là, la défense fixe du port de Bastia fut quasi inexistante et limitée à des actions épisodiques vite neutralisées par les Allemands. 

Ceux-ci venaient ouvertement de déclarer la guerre aux Italiens, faisant beaucoup de prisonniers, certains ayant déjà été embarqués. 

Le général Stivala, commandant la place, mobilise aussitôt la 1re Compagnie des bersaglieri motociclisti et un bataillon de chars légers.

À ce moment précis, aucun Allemand n’est encore arrivé du sud, cela signifiant que l’occupation du port de Bastia est avant tout le fait de quelques unités allemandes ‘‘locales’’. 

Les tirs ayant cessé, il règne sur le port un silence seulement troublé par le crépitement des véhicules en flammes et par la confusion provoquée par l’embarquement des prisonniers italiens. 

Alertés, les bersaglieri quittent Cardo dans la nuit, précédés d’un peloton de mitrailleurs aux ordres du lieutenant Bona.

Aux premières lueurs de l’aube du 9 septembre, les unités se déploient devant le port en position de combat.

Deux mitrailleuses sont mises en batterie.

Bona donne le signal d’attaquer aux deux pelotons de bersaglieri motorisés.

Sous la couverture de l’artillerie, ils se lancent à l’attaque, s’infiltrant partout, prenant les bateaux à l’abordage, débusquant les Allemands, libérant tous les prisonniers, marins et soldats, reprenant ainsi possession de tout le port, à savoir de tous les engins et matériels que les Allemands avaient amassés sur le quai.

Cette action conduite « comme dans les manuels », a ébahi les Allemands euxmêmes, qui se sont rendus après une faible riposte, levant les bras sans créer de difficulté. 

L’effet moral de cette victoire eut un retentissement chez tous les soldats italiens quelle que soit leur arme.

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Epilogue

Dans la nuit du 3 au 4 octobre, les derniers Allemands quittent Bastia sous un déluge de fer et de feu.

 

Les troupes du général Magli entreront dans la ville... juste après les unités de la France libre.

Elles ne sont pas autorisées en effet, à défiler dans Bastia comme vainqueurs aux côtés des Français, et en concevront une certaine amertume.

Leur participation aux combats de la libération de la Corse fut pourtant effective, comme en atteste le bilan officiel :

635 morts dont 35 officiers. 

Hitler avait même demandé à ce que les officiers italiens, qu’il considérait comme des francs-tireurs, soient fusillés.

Un tel ordre ne fut jamais exécuté.

Mais dans l’allégresse générale de la Corse enfin libérée, était-il pensable de faire participer au défilé de la victoire, ceux qui un mois auparavant, faisaient partie des forces d’occupation, menant pour certains une dure répression contre les résistants ?

Selon le général Jean Delmas :

« septembre 1943 est l’acte de naissance de la nouvelle armée italienne qui vit en Corse les premiers combats des Italiens contre les Allemands. »

Tony Calloni a vécu la libération de Bastia. Il servait de guide aux Goumiers le 4 octobre quand les forteresses volantes américaines bombardèrent Bastia faisant des centaines de victimes.

Tony Calloni a vécu la libération de Bastia. Il servait de guide aux Goumiers le 4 octobre quand les forteresses volantes américaines bombardèrent Bastia faisant des centaines de victimes.

 C’est le milieu de la matinée.

Un motocycliste SS me conduit jusqu’au fort Luigi sans qu’il soit nécessaire que je lui donne la moindre indication.

Cela me surprend, car je ne vois pas l’intérêt de ma présence.

Le fort est bourré d’Allemands s’activant autour des camions qu’ils remplissent de matériels divers avec l’aide des prisonniers italiens.

Après une attente assez courte, nous repartons et je pense que c’est le retour vers la maison.

En réalité, nous prenons la route du col de Teghime et nous rejoignons les troupes allemandes installées en haut du col.

En face, les Goumiers attaquent les positions allemandes, ça tire de tous les côtés, de toutes les armes.

Fumigènes, balles traçantes, miaulement des balles, détonations, et le silence des hommes.

C’était un monde irréel où la peur n’avait pas sa place.

J’avais réalisé depuis un moment que mon motard était une estafette, et que j’étais son bouclier humain.

Nous ferons deux fois l’aller retour fort Luigi-Teghime.

Mais la seconde, nous n’irons pas plus loin que Suerta.

Les ‘‘Goums’’ avaient enfoncé les Allemands.

Bravo et merci aux francs-tireurs qui m’ont vu et qui n’ont pas tiré.

Je retrouve Cardo au milieu de l’après-midi. Aux questions qui fusent, je réponds : ‘‘RAS’’. »

Dans la soirée du 3 octobre, le bruit des panzers s’estompe et disparaît.

4 octobre. Couché dans un caniveau pour échapper aux bombes

« Nous sommes heureux, une joie immense nous envahit. Mais nous ne savons plus l’exprimer.

Est-ce possible que cela soit terminé ?

Mais si les Allemands fuient, c’est que les nôtres arrivent.

Nos regards se portent vers les crêtes.

Nous passons la nuit à attendre.

Demain sera tricolore et nous ne voulons pas louper cela.

Le 4 octobre à 6 heures, les soldats français sont là, ils sont sortis de la nuit, ce sont des Goumiers.

On les embrasse, on leur offre à boire, ils veulent du café. Mais ils sont pressés.

Ils veulent atteindre Bastia au plus vite, par le plus court.

Et moi qui connais les plus petits sentiers qui mènent en ville, je me propose d’être leur guide.

À 8 h, nous entrons en ville par le palais de justice.

À 9 h, nous sommes sur le port. Il fait un temps superbe. Soleil et ciel bleu sont de la fête. Mais à 10 h, c’est l’apocalypse...

Des escadrilles de bombardiers survolent la ville et lâchent leurs bombes.

Des escadrilles de bombardiers survolent la ville et lâchent leurs bombes.

Les premières explosent sur la jetée nord, puis atteignent les quais de rive, puis la gare, la vallée du Fango et même le village de Cardo.

Couché dans un caniveau tout près de l’ancienne mairie, je vois les bombardiers défiler lentement au-dessus de la ville.

Je vois des petits points noirs sortir des soutes de ces avions qui nous survolent dans un bruit d’enfer.

De ces avions dont les ailes sont marquées d’une étoile blanche à cinq branches, l’étoile américaine.

Je ne comprends plus rien.

Ces avions sont bien les nôtres.

Bon Dieu, mais pourquoi nous bombardent-ils ?

Je suis effondré.

Autour de moi des camions sont en flammes, des maisons s’écroulent.

L’air vibre, le sol vibre comme lors d’un séisme.

Il y a dans l’air une épaisse poussière, de lourdes volutes de fumée noire.

Il y a des blessés partout qui appellent et qui crient.

Des corps que j’imagine sans vie, gisent sur l’avenue.

Parmi ces images définitivement gravées dans ma mémoire, celle d’une jeune femme en chemisier blanc, qui fuit la zone du port.

Elle remonte vers moi en courant.

Alors que cela pète de partout, que les caisses de munitions à bord des camions explosent, que l’hôtel bordant l’avenue est éventré.

Cette femme est seule debout à courir dans une panique extrême, exactement dans l’axe du bombardement.

On lui crie de se coucher.

Entend-elle dans ce fracas d’explosions ?

Rien ne semble arrêter sa course vers son destin.

À présent, elle est à dix mètres de moi et je lui fais signe de se coucher.

Mais dans sa panique, elle ne me voit pas, elle n’entend pas.

Tout à coup, elle stoppe net, titube et c’est alors que je vois son sang rougir son chemisier, et puis ses mains qu’elle serre sur sa poitrine.

Dernière image et dernier flash qui me terrifient.

La jeune femme tombe dans une sorte de glissade lente sur le côté, puis bascule en arrière.

Sa poitrine est une immense tache rouge.

Et derrière elle, s’élèvent comme dans un jeu d’eau gigantesque des geysers éclatant de lumière.

Immenses gouttelettes d’eau pulvérisées en gouttelettes blanches que le soleil irise et que poussent vers le ciel les bombes qui explosent dans le port.

C’est fascinant.

Je n’ai jamais su le nom de la jeune femme.

Elle était jeune, elle était belle.

Elle hante ma mémoire.

Là où est morte cette femme se dresse aujourd’hui un grand bassin animé été comme hiver par des jets d’eau qui projettent très haut dans l’air des geysers que le soleil méditerranéen éclabousse de lumière. » 

“Tout à coup, la femme stoppe net, titube et c’est alors que je vois son sang rougir son chemisier, et puis ses mains qu’elle serre sur sa poitrine”

Source : corsematin.

(Encyclopædia Corsicæ. La Seconde Guerre mondiale).

(Guy Meria. Résistance et clandestinité en Corse)

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