LES GÂTEAUX ET MA "MINANA".
LES GÂTEAUX ET MA "MINANA".
Dans les petits villages, les fêtes de famille sont des moments très importants.
Ce jour là, « Léa de la Caussada » mariait sa petite fille.
Elle était bien habillée, en noir comme toujours, mais comme c’était sa petite fille qui se mariait, elle avait mis, sous son gilet noir, un chemisier couleur crème, avec la belle broche de famille.
Après les cérémonies tout le monde s’était retrouvé autour d’une table bien garnie parce que les émotions creusent l’appétit.
Elle était heureuse Léa, sereine, apaisée de voir toute sa famille réunie et accompagnée par les amis.
C’était un grand moment de joie, de bonheur et d'émotions partagées.
Comme elle était belle, sa petite-fille dans sa robe blanche !
Elle riait de bon cœur en découpant, avec son jeune époux, l’énorme pièce montée toute décorée de caramel blond et de dragées multicolores.
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- Servez-vous tous et faites passer à vos voisins de table, disait-elle en déposant les choux tout rebondis de crème sur les assiettes.
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- Tiens, Mémé ! prends donc du gâteau ! dit la mariée à sa Grand-mère en lui tendant une assiette pleine de choux.
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- Mais non ! fais passer l’assiette, l'interrompit sa mère, tu sais bien que Mémé n'aime pas les gâteaux.
Il y eut un instant de silence qui sembla très long, un moment de gêne et l'on entendit soudain la voix joyeuse de Grand-mère :
- Mais que oui ! je les aime les gâteaux. Tiens, je vais prendre ce beau chou, là, le plus gros.
Regard stupéfait de sa fille.
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- Comment ça, tu aimes les gâteaux ? Mais tu n'as jamais aimé les gâteaux !
Moi ta fille, j'ai cinquante ans et je ne t'ai jamais vu manger un gâteau de
toute ma vie.
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- De ta vie à toi, de petite fille, oui, mais pas de la mienne ! oh que oui je les aime, les gâteaux !
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Je les ai toujours aimés, les gâteaux...
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Seulement, nous étions si pauvres quand tu étais petite, tu le sais bien...
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Des gâteaux, je ne pouvais en acheter qu'une fois de temps en temps et encore seulement les dimanches de fête...
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J’en prenais un pour chacun, mais quand je voyais tes yeux, ma toute petite, quand tu dévorais ton gâteau avec tant de plaisir, mon plaisir à moi, tu vois, c'était quand tu venais t'asseoir sur mes genoux, de te donner « mon » gâteau.
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Je te le donnais bien volontiers en ajoutant toujours pour que t’on plaisir soit complet :
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- Mange ma petitoune, va !... moi je ne les aime pas les gâteaux.
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La Grand-mère, Léa, en disant cela souriait tendrement, dodelinant doucement de la tête. -
Elle ajouta encore en riant franchement :
- Tiens, ma fille, aujourd'hui c'est fête, donne-moi aussi celui qui reste sur le plat, là...
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D'ailleurs il va finir par tomber si tu continues à trembler comme ça !
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Tu as froid ou c'est l'émotion de marier ta fille ? dit-elle malicieusement
Les gestes d'amour mettent parfois de longues années avant de prendre toute leur signification ou être compris par les personnes pour lesquelles ils ont été accomplis.
Les plus beaux se font le plus naturellement du monde, dans la plus grande discrétion sans avoir été pensés ou réfléchis.
Souvent, longtemps après, Il suffit parfois d'un moment de tendresse, pour qu'ils prennent toute leur saveur.
Comme un bon gâteau !
E cric e crac mon conte es acabat ! Montgauzy le 13 mars 2003
Ce conte, adapté à « l’usu corsu », je le raconte encore quelques fois.
Mais je n’oublierai jamais ce soir de juin 2010 où nous contions pour une association de personnes âgées à Sainte Lucie de Porto-Vecchio.
Une fois le spectacle conté terminé, une vieille dame, courbée sur sa canne, s’est approchée en pleurs.
Elle m’a regardé, sa main tremblante s’est posée sur la mienne et là, elle m’a dit, je n’oublierai jamais ses mots :
« Merci monsieur, avec votre histoire, je viens de comprendre pourquoi, pendant la guerre, ma grand-mère me donnait toujours son morceau de pain. Elle n’aimait pas le pain, qu’elle disait. Maintenant je sais... »
Alors, je ne suis pas arrivé à retenir quelques larmes.
Claude Franceschi
Source photo : Pino di Maria.