De la genèse à l’islamisation.
Le christianisme est né et se développe sur la partie orientale de l’Empire romain.
Le Moyen-Orient est donc par essence, le berceau de cette nouvelle religion.
Un temps minoritaire, les adeptes de cette croyance vivent cachés et ne peuvent pratiquer leurs rites en public.
Jusqu’au IIIème siècle de notre ère, les Chrétiens subissent de nombreuses persécutions et massacres.
Ils sont considérés comme ennemis de l’Empire et souvent perçus comme des individus hérétiques.
Jusqu’au début du IVème siècle de notre ère, les Chrétiens sont à la merci des différents empereurs.
Certains s’en prennent uniquement au clergé, tandis que d’autres oppriment les fidèles.
Il faut attendre l’arrivée de l’empereur Constantin 1er, converti au christianisme, qui promulgue l’édit de Milan en 313 et accorde la liberté de culte dans tout l’Empire.
Petit à petit, le christianisme se développe et devient l’unique religion officielle sous Théodose 1er à la fin du IVème siècle.
S’ensuit une période de foisonnement intellectuel avec de nombreux débats théologiques.
Les premières divisions apparaissent, ce sont les controverses autour de la nature humaine – divine – ou les deux du Christ.
Malgré les nombreux conciles, les ruptures sont consommées et aboutissent à la création de plusieurs églises distinctes.
Ainsi sous l’Empire byzantin, la communauté chrétienne ne forme pas un ensemble homogène.
Le pouvoir central de Constantinople ne réussit pas à centraliser et imposer un seul dogme chrétien.
C’est au Vème et VIème siècle qu’émergent les églises coptes d’Égypte, syriaques, assyro-chaldéennes de Syrie et maronites du Liban.
Leurs fidèles vivent clandestinement leur foi.
À la mort de Mahomet en 632, les armées arabes envahissent le Moyen-Orient.
Les églises dissidentes perçoivent initialement l’arrivée des musulmans comme une libération vis-à-vis du pouvoir autoritaire de Constantinople.
Dans un premier temps, les Chrétiens pratiquent plus librement leur foi, il n’y a pas de conversion forcée car ils sont reconnus comme des Gens du Livre (Ahl Al-kitab en arabe).
Mais petit à petit le pouvoir central musulman soumet la communauté chrétienne à un statut de dhimmis (selon le droit musulman, dhimmi désigne les non musulmans d’un État sous gouvernance musulmane).
Ce mot est souvent traduit comme une forme de « protection discriminatoire ».
Du fait de ce statut secondaire, les Chrétiens ont une obligation de paiement d’impôts supplémentaires (la djizya) et la liberté de pratiquer leur culte est restreinte.
Dès lors, les conversions à l’islam vont se multiplier.
Du déclin aux croisades.
Très rapidement, l’arrivée des troupes musulmanes va de pair avec l’arabisation de la société et des rites chrétiens.
Certaines langues théologiques disparaissent au profit de l’arabe.
La première Bible est traduite en arabe au IXème siècle.
Or, cette arabisation s’accompagne d’une islamisation de tous les pans de la société orientale.
Les églises orientales commencent à se refermer sur elles-mêmes.
La forte croissance démographique musulmane aggrave la situation des Chrétiens qui deviennent minoritaires.
Malgré certaines périodes de partage et de collusion avec les pouvoirs centraux, les Chrétiens sont marginalisés, discriminés si ce n’est persécutés.
Les relations entre Musulmans et Chrétiens vont davantage se détériorer avec l’arrivée des troupes d’Occident.
En effet, le pape Urbain II lance un appel à la croisade en 1095 pour aider les Chrétiens d’Orient et libérer Jérusalem, épicentre de pèlerinages de tous les Chrétiens occidentaux et orientaux.
Ainsi, ses derniers sont perçus comme des potentiels traîtres.
Pourtant, les armées d’Occident ne sont pas nécessairement bien reçues par leurs coreligionnaires d’Orient.
Certains décident d’aider les Croisés à l’instar des Maronites, d’autres préfèrent rester en territoire musulman comme les chrétiens orthodoxes.
En effet, le schisme de 1054 scella définitivement la division entre les églises rattachées à Rome (catholiques) et les églises rattachées à Constantinople (orthodoxes).
La présence des Croisés en Orient entraîne un durcissement des politiques à l’égard des Chrétiens d’Orient.
Saladin augmente la pression fiscale sur ses sujets chrétiens pour financer sa guerre contre les Croisés.
L’aide de l’Occident durant les croisades a finalement aggravé le sort des populations chrétiennes en Orient.
Le pouvoir musulman se venge de l’aide apportée aux Croisés.
Des églises sont détruites en Syrie, en Égypte et en Irak.
Des Chrétiens sont réduits en esclavage et certains décident de fuir à Chypre.
La période des croisades du XIème au XIIIème siècle a modifié le statut des Chrétiens d’Orient à l’égard du pouvoir musulman.
Le relatif équilibre est dès lors fragilisé et les communautés chrétiennes subissent une marginalisation politique, sociale et économique.
Sous l’Empire ottoman jusqu’au temps de la Nahda.
Sous l’Empire ottoman du XIVème au XXème siècle, les Chrétiens sont intégrés à la société en tant que dhimmis dans un ensemble qui s’appelle le « millet », sorte de structure confessionnelle propre à une communauté.
De fait, ils participent aux activités économiques locales, mais adoptent une différenciation vestimentaire (en bleu) et géographique.
Les Chrétiens habitent dans des quartiers qui leur sont réservés et ils exercent des fonctions dépréciées par l’Islam comme les métiers du commerce ou de la finance.
Les Arméniens de l’Empire ottoman contrôlent la majorité du commerce des armes.
Au gré des périodes, une relative pacification des rapports s’instaure.
Or, à l’aune des tensions avec l’Occident, les Chrétiens subissent de nombreuses persécutions physiques et fiscales.
Les nombreuses guerres qui opposent l’Empire ottoman et la Russie à partir du XVIIIème siècle donnent lieu à un durcissement des politiques ottomanes à l’égard des Orthodoxes, jugés proche de Moscou.
L’Occident s’intéresse au sort de ses coreligionnaires d’Orient.
François 1er noue des liens avec le sultan ottoman Soliman le Magnifique et signe un accord en 1535 qui lui permet d’avoir un droit de regard sur les populations chrétiennes en échange d’une liberté de commerce dans les ports français.
Très vite, cette volonté de protection des Chrétiens d’Orient est instrumentalisée à des fins de politique extérieure.
En effet, les puissances européennes veulent affaiblir l’Empire ottoman.
Tour à tour, Russes et Français se gargarisent d’être «les protecteurs des Chrétiens d’Orient ».
La Russie se porte garante de la sécurité des Orthodoxes alors que la France se veut protectrice des Catholiques.
Ce rôle va prendre une ampleur historique lors du massacre des maronites en Syrie et au Liban.
La France de Napoléon III intervient militairement en 1860 pour protéger la communauté chrétienne.
En lien étroit avec l’Occident, les Chrétiens d’Orient deviennent peu à peu le fer de lance d’un renouveau politique.
Embourbé dans une crise interne et externe, l’Empire ottoman durcit sa politique et empêche tout courant dissident.
Dans une logique nationaliste arabe, certaines figures chrétiennes libanaises, égyptiennes et syriennes écrivent, publient et partagent des idées politiques d’une lutte contre l’Empire ottoman.
La notion d’arabité prédomine pour gommer les différences communautaires et confessionnelles.
Ce bouillonnement intellectuel et politique est nommé « Al Nahda » (la renaissance en arabe).
Ce courant émerge à la fin du XIXème siècle et s’enracine dans les esprits de chaque arabe de l’époque.
Animés par un esprit de régénération de la dignité, les Arabes de l’Empire ottoman s’opposent au pouvoir central.
Cette opposition est consciencieusement soutenue par l’Occident qui mise sur l’implosion de l’Empire Ottoman.
De la fin de l’Empire ottoman aux mandats européens.
La déliquescence de l’Empire ottoman va de pair avec un durcissement de sa politique vis-à-vis des minorités religieuses.
Dès la fin du XIXe siècle, le pouvoir central d’Istanbul tente de rallier tous les musulmans à sa cause en imposant le panislamisme (mouvement politico-religieux prônant l’union de tous les musulmans).
Mais les citoyens arabes de l’Empire, toutes confessions confondues, veulent leur indépendance et s’organisent clandestinement.
Sous la houlette des penseurs chrétiens Jurji Zaydan, Naguib Azoury, les frères Sélim et Béchara Taqla ou encore l’auteur libanais Gibran Khalil Gibran, l’idéologie panarabe émerge des consciences et tente de gommer les différences religieuses.
Cependant, le pouvoir central matte rapidement les manifestations.
Les Chrétiens sont souvent pris pour cible et sont injustement qualifiés d’agents de l’extérieur.
Les Arméniens de l’Empire subissent des massacres dès la fin du XIXe siècle.
Ils sont assimilés à l’ennemi russe, car ils partagent la même religion orthodoxe.
De surcroît, en guerre contre la Russie à partir de 1914, les dirigeants turcs ordonnent un massacre systématique des Arméniens et des autres minorités chrétiennes.
Plus des deux tiers de la population arménienne sont décimés.
Les survivants fuient vers la Russie et la Perse de l’époque.
C’est le premier génocide du XXème siècle.
Avec la chute de l’Empire ottoman en 1923, les populations locales passent sous le joug des puissances européennes qui se partagent les restes de l’Empire déchu lors des accords de Sykes-Picot en 1916.
La France hérite de la Syrie et du Liban, tandis que la Grande-Bretagne obtient l’Irak, la Jordanie et la Palestine.
De ce fait, les populations locales qui rêvaient d’indépendance se retrouvent une fois de plus sous l’emprise d’une puissance tiers.
Dès lors, une frustration s’empare des nationalistes arabes chrétiens et musulmans.
En divisant le Proche-Orient, Paris et Londres entreprennent consciencieusement une régionalisation des communautés.
Les Chrétiens n’ont plus un destin commun et des tensions au sein même de la communauté apparaissent.
Aujourd’hui encore, les stigmates du mandat ont des conséquences sur la faible polarisation du pouvoir central.
Face à cette déception, des révoltes éclatent en Irak, en Syrie et au Liban pour demander le renvoi des troupes européennes.
Deux visions s’opposent chez les Chrétiens d’Orient.
Ceux qui prônent une opposition farouche au mandat, à l’instar d’Antoine Saadé, libanais orthodoxe, qui se fait l’apôtre de la Grande Syrie en créant le parti social national syrien en 1932.
D’autres, rêvent d’un État libanais majoritairement Chrétiens en niant son arabité à l’image de Pierre Gemayel, Chrétien maronite, qui fonde en 1936 le parti des Phalanges libanaises proche de l’administration française.
Finalement, l’hétérogénéité politique des Chrétiens explique le peu de collusion entre les différents coreligionnaires durant l’époque des mandats.
Au temps des indépendances : entre rêve et réalité.
Au lendemain des indépendances dans les années 40, les Chrétiens d’Orient aspirent à jouer un rôle de premier plan dans la vie politique et économique de la région.
Au Liban la constitution de 1926, imposée par la France, prévoit que le Président de la République libanaise soit de confession chrétienne maronite.
Malgré l’indépendance en 1943, la France garde un droit de regard sur le Liban.
À cette époque, les Chrétiens représentent 52% de la population (cf le recensement de 1932).
La cohabitation avec les autres communautés est bonne.
Il n’y a pas de réelle distinction communautaire au delà du cadre strictement politique.
En Syrie et en Irak, une laïcité orientale s’instaure sous l’influence d’un penseur chrétien orthodoxe Michel Aflak.
Ce dernier est le fondateur du parti Baath (résurrection en arabe) en 1944.
Cette idéologie s’impose avec Hafez Al-Assad en Syrie à partir de 1970 et en 1968 avec Saddam Hussein en Irak.
Elle prône la primauté de l’arabité sur l’appartenance religieuse et communautaire ainsi qu’une indépendance à l’égard de l’Occident.
De ce fait, les Chrétiens peuvent exercer des postes à haute responsabilité dans l’armée ou au sein du Parlement.
C’est le cas de Tarek Aziz qui est ministre des Affaires étrangères sous Saddam Hussein.
En Égypte sous le règne de Gamal Abdel Nasser (1954-1970), la communauté copte qui représente la plus importante population chrétienne au Moyen-Orient, connaît un renouveau, une impulsion mais de courte durée face à l’islamisation galopante de la société.
Avec la création de l’État d’Israël en 1948, les Chrétiens palestiniens jouent un rôle majeur dans le mouvement national.
Ils sont à l’avant-garde de la lutte contre l’occupation illégitime de la Palestine.
Georges Habache est le fondateur du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP).
Certains s’investissent dans la littérature politique comme Edward Saïd et se font les portes paroles des opprimés du sionisme et du danger qu’il représente en tant qu’entité communautariste.
- Vers une marginalisation progressive :
Les défaites militaires arabes face à Israël (en 1948, 1956, 1967 et 1973) chamboulent le relatif équilibre confessionnel et poussent les Chrétiens palestiniens à s’auto-marginaliser de la vie politique.
L’exode massif des Palestiniens engendre des difficultés d’ordre économique et social au sein des pays hôtes (Jordanie, Syrie et Liban).
En raison de la fragilité et des dissensions politiques vis-à-vis de la cause palestinienne, le Liban sombre dans une guerre « civile » aux multiples facettes de 1975 à 1990.
Une partie des Chrétiens se ligue contre les Palestiniens, perçus comme responsables de cette guerre.
Une autre frange de la population les soutient, car ils représentent la lutte contre Israël.
Le pays implose et connaît une guerre fratricide entre Chrétiens en 1989.
Désunis et influencés par l’extérieur, ils perdent leurs prérogatives politiques au profit des musulmans suite aux accords de Taëf qui mettent fin à la guerre en octobre 1989.
Face aux multiples échecs et humiliations subis par les nations arabes, petit à petit l’Islam radical éclipse le panarabisme avec le soutien officieux de l’Occident.
Cette idéologie prolifère majoritairement au sein des couches populaires musulmanes sunnites.
Le Chrétien y est considéré comme l’ennemi, car injustement et faussement assimilé à l’Occident.
Les Chrétiens d’Orient face à l’islamisme : entre exil, soumission et résistance.
Avec la destruction de l’appareil étatique irakien et ce, depuis l’invasion américaine de 2003, l’Irak est devenu un terrain fertile pour l’islamisme radical.
En 2013-2014, l’État islamique s’enracine au Levant et pousse des centaines de milliers de familles chrétiennes sur la route de l’exil.
En septembre 2013, le village chrétien de Maaloula en Syrie tombe aux mains des islamistes du Front Al-Nosra (branche d’Al Qaeda en Syrie).
Selon les témoignages des habitants :
« ils sont arrivés sur leurs pick-up en criant les Chrétiens au tombeau ».
Églises et cimetières sont ravagés et les tombes pillées.
Pour les islamistes, les Chrétiens d’Orient sont le cheval de Troie de l’Occident en terre arabe.
Cette sémantique impose un parallèle mensonger et absurde entre Occident et Christianisme, alors que le berceau de la Chrétienté se situe en Orient.
L’État islamique sanctuarise ses acquis territoriaux.
En 2014, avec la prise de la plaine de Ninive en Irak, les populations chaldéennes prennent l’exil de peur d’être persécutées et massacrées.
Les populations qui restent sous l’emprise des djihadistes sont obligées de se soumettre.
Ils se convertissent et doivent appliquer les codes de la charia.
Dans le meilleur des cas, les femmes doivent se voiler, les hommes doivent porter des vêtements amples et ne peuvent fumer.
Dans le pire des cas, les Chrétiennes servent d’esclaves sexuelles aux djihadistes et les hommes de main-d’œuvre bon marché en étant continuellement opprimés.
D’autres font le choix courageux de former des milices armées pour combattre les djihadistes dès 2013.
En Syrie, de nombreux groupuscules chrétiens sont créés dans les banlieues d’Homs et d’Alep avec l’aide des Russes et des Iraniens.
Ils forment les supplétifs de l’armée régulière syrienne.
Ils se battent pour leurs terres et pour un idéal révolu, celui d’une entente fraternelle avec la majorité musulmane.
Somme toute, l’arrivée de Daesh a provoqué un choc rédhibitoire pour de nombreuses populations chrétiennes.
Plusieurs syriens m’ont témoigné avec incompréhension et nostalgie :
« Avant la guerre, il y avait une forme de cohésion, on était tous Syriens, avec l’arrivée de Daesh, certains de nos voisins musulmans ont rejoint les terroristes ».
Le sectarisme politique, la menace terroriste sunnite et les politiques occidentales contestables marginalisent la communauté chrétienne.
Aujourd’hui plus que jamais, les Chrétiens d’Orient doivent se restructurer politiquement et économiquement et mettre en avant leurs particularismes s’ils ne veulent pas être définitivement considérés comme les oubliés de l’Histoire orientale.