LE RÉVOLTÉ D'ALENDU.

LE RÉVOLTÉ D'ALENDU.

Sambucucciu, héros emblématique des premières luttes insulaires, incarne entre mythe et histoire le refus des injustices, des inégalités et, peut-être plus encore, le rêve d’une société idéale

Sambucucciu débride l'imagination…

« Les fruits sont à tous et la terre n'est à personne ».

Le principe est posé par Rousseau.

Il aurait pu être lancé quelques siècles plus tôt par Sambucucciu et mis en pratique du côté de son village natal d'Alandu dans le Boziu.

Au fond le philosophe genevois n'a rien inventé.

Le Corse, au pelone et au bonnet pointu, s'est pris à rêver d'égalité et de prospérité pour tous et de bonheur de vivre ensemble bien avant lui.

Pour concrétiser ses aspirations avant-gardistes, Sambucucciu, « homme de grande réputation » aux dires du chroniqueur Giovanni Della Grossa, proscrit les longs discours argumentés et enflammés.

Il ne croit ni au pouvoir des mots, ni a celui des formules chocs.

Il n'a pas de culture de communicant.

Il sait sans doute tout juste écrire. Ce savoir rudimentaire lui convient tout à fait.En outre il est convaincu que les valeurs doivent se défendre pied à pied sur le terrain.

Un rejet de la féodalité

L'époque médiévale impose un style de vie concret et instinctif aussi.

Alors Sambucucciu se focalisera sur l'aristocratie nustrale.

Car la catégorie est incompatible avec la société harmonieuse qu'il envisage de bâtir.

Les seigneurs dominent, possèdent, spolient sans vergogne et châtient selon leur bon plaisir.

Ils décrivent, au gré de leur pouvoir insolent, un avenir sombre.

Le fossé qui se crée entre eux et la population est toujours plus profond. Les inégalités sont implacables.

De l'avis de Sambucucciu d'Alandu, la pire des attitudes serait la résignation et l'indifférence.

Il y a des droits à conquérir, des luttes sociales à mener tandis que le labeur de chacun ne fait jamais sens.

Rien ne semble altérer sa détermination.

L'irruption de sa passion et de son audace au sein de la communauté insulaire crée le choc.

À l'évidence, le mouvement renvoie à l'imaginaire d'une Corse révolutionnaire et à des envies de s'exprimer.

Le paysan d'Alandu produit son effet.

Il prend en 1357, la tête d'une révolte anti-féodale.

L'objectif est d'en finir avec les intimidations, de jeter à bas un système pétri de privilèges.

Sambucucciu et les siens avancent en cortège.

Ils convergent vers les châteaux et les maisons fortes. Ils hurlent, ils se démènent, ils chantent.

Ils brandissent fourches, épées et même quelques arbalètes.

Ils sèment le chaos sur leur passage. L'ambiance est celle de la jacquerie.

À une nuance près.

Les pêcheurs du Cap sont de la partie.

Ils ont remonté leurs filets et amarré leurs barques pour se ruer sur le hameau de Barbalinca.

C'est là que les seigneurs du lieu ont établi leurs quartiers.

La foule est féroce.

Elle semble prête à tout pour en finir avec le pouvoir héréditaire, pour venir à bout de la toute puissance des féodaux et pour obtenir des terres à cultiver.

Elle est animée par une volonté indéfectible de changement.

Elle réclame des lendemains radieux.

Elle mise sur des notables désignés par le peuple pour y parvenir.

À bas les Arrigo, les Sinuncello, les Rinieri, les Guglielmo et tous ceux de leur race !

Sambucucciu et les siens auraient détruit quelques châteaux et massacré quelques-uns de leurs propriétaires.

Ils auraient aussi imaginé une « terre du commun », à la place de la « terre des seigneurs ».

La stratégie fonctionne dans le nord de l'île.

Dans le sud, les seigneurs ont été sonnés mais pas éliminés.

Ils ont retrouvé leur superbe et leurs prérogatives foncières.

Mais la trame de l'histoire est plus tortueuse selon certains chercheurs.

La terre du commun n'aurait, en réalité, fait référence qu'à la « terre de la commune de Gênes ».

Un héritage discuté

Entre les féodaux corses et la République, entre la peste et le choléra, Sambucucciu aurait opté pour l'étranger.

Les paroles diplomatiques susurrées par l'émissaire génois Leonardo Da Montaldo sont convaincantes.

Et puis Gênes a au moins l'avantage de la nouveauté. On aurait même scellé un pacte avec ses représentants.

On échange une férule contre une autre en bonne et due forme.

On s'entre-déchire et on fait appel à une puissance extérieure pour régler les comptes.

On se laisse prendre au piège de ses propres vertiges. La logique fera son petit bonhomme de chemin tout au long des siècles suivants. Au point de devenir l'ordinaire de la Corse.

En attendant, le natif d'Alandu n'aurait pas trouvé la bonne manière d'orienter le cours de l'histoire.

Il aurait davantage enchaîné que libéré une Corse en cours de structuration.

Il aurait à son tour laissé de côté ses élans de bonté réformatrice et cédé à la tentation du pouvoir en sa qualité de notable ou bien de conseiller auprès des autorités génoises.

Il aurait aussi mis fin aux seigneuries et favorisé l'émergence des 66 communautés territoriales ou pieve selon le modèle génois.

Dans la foulée, la Corse devra apprendre à vivre entre l'En-deça des Monts et l'Au-delà des Monts.

La nouvelle histoire qui commence aurait mis en scène un gouverneur génois acoquiné à un vicaire chargé de rendre la justice.

Le duo 100 % génois s'installe à Biguglia, transformant ainsi la localité en capitale de la Corse. Les colons s'empressent de prendre leurs marques et de délibérer.

que Sambucucciu cultive l'équivoque.

Un héros romanesque

Les versions de l'épisode et les descriptions du personnage s'opposent et divergent. Le meilleur côtoie le pire.

Dans tous les cas Sambucucciu a une prédisposition pour le mystère.

Le penchant s'illustre dès la naissance.

Les historiens, sur le sujet font l'expérience de l'incertitude.

Ils découvriront seulement que le révolutionnaire corse visionnaire - à moins qu'il n'ait été l'artisan de la Corse génoise, a poussé son dernier soupir en 1370.

Il a succombé à la peste comme bon nombre de ses compatriotes.

Il est né, il est mort dans l'île.

Il s'est un peu perdu dans son époque jusqu'à semer le trouble dans l'esprit de Giovanni Della Grossa et de Petrus Cyrneas.

Les deux chroniqueurs médiévaux l'affranchissent de l'oubli et lui offrent sa part de postérité.

Le basculement comporte quelques anachronismes et sans doute quelques petits aménagements de l'histoire.

Sambucucciu apparaît au XIe siècle puis refait parler de lui au XVe…

Peu importe.

L'imagination, la vision romanesque des choses priment sur la recherche scientifique.

D'ailleurs on n'en a pas les moyens et on n'en éprouve pas la nécessite.

Parfois, il est préférable d'inventer.

La Corse médiévale ne se crispe pas autour de la question de la vérité.

Elle porte à la légende à force de jongler avec les identités troubles et de dérouler des fresques d'images énigmatiques.

Et puis les arguments du mythe sont souvent valides pour éclairer l'évolution commune.

D'autant plus que les individus contribuent bien souvent à donner une intensité étrange au récit.

La posture est revendiquée par les Giovannali.

Ils sont les contemporains de Sambucucciu.

Ils ont des dispositions mystiques et font davantage dans la spiritualité que dans le foncier ou le politique.

À la différence de Sambucucciu, ils s'ébrouent dans le sud de l'île, dans le village de Carbini.

Le front religieux

Ils se consacrent en priorité à la prière, à la manière de fous de Dieu le plus souvent.

Ils suscitent la suspicion et la crainte.

L'effroi ira crescendo.

À l'image de Sambucucciu, les gens de Carbini pensent niveau de vie, redistribution des terres, et partage des richesses.

L'égalité, la réduction de la pauvreté semblent être leurs chevaux de bataille. Ils se montrent aussi rebelles à toute forme de hiérarchie. On se mobilise pour défendre le peuple pour donner naissance à une autre Corse.

La tribu prône l'union envers et contre tout.

Une seule famille, une règle unique à suivre sur fond de renouveau.

Il faut en finir avec les caprices, les foucades et l'arbitraire des féodaux.

Mais c'est sur le front de la religion qu'ils prennent l'initiative.

Dans ce registre, ils s'en prennent au Pape, à ses ardents commissaires, à l'évêque d'Aleria.

Ils font la grève de l'impôt et cherchent même à partager les souffrances du Christ.

La proximité avec le Seigneur se tisse à la faveur de séances de mortification et de pénitence.

Les privations, les châtiments infligés, laissent surgir le désir de devenir des créatures nouvelles.

Leur révolte a l'avantage de la parité.

Les femmes ont droit de cité… et de s'insurger.

Dans le groupe certains se découvriront des talents de prédicateur voire de Messie.

Ils parviendront à rallier à leur cause et à leurs prières ferventes quelques petits seigneurs corses.

Même les privilégiés aspirent au changement surtout si Dieu cautionne leurs élans réformateurs.

Giovanni Della Grossa en revanche condamne avec vigueur.

Il en fera « une secte diabolique ».

L'historien du Moyen-Âge dépeint le vice à outrance.

La libre-pensée est une notion qui lui est étrangère. Il raconte :

« Ils se réunissaient dans les églises, la nuit, pour faire leurs sacrifices et là, après certaines pratiques superstitieuses, après quelques vaines cérémonies, ils éteignaient les flambeaux puis, prenant les postures les plus honteuses et les plus dégoûtantes qu'ils pouvaient imaginer, ils se livraient l'un à l'autre jusqu'à la satiété, sans distinction d'hommes ni de femmes ».

On se croirait à Babylone, la cité du Mal.

Les Giovannali échapperont plus ou moins aux épidémies mais pas aux persécutions épiscopales.

Les derniers d'entre eux périront sur un bûcher dressé à Ghisoni au pied du Kyrie Eleison et du Christe Eleison.

Au milieu des flammes ils entendirent sans doute l'office des morts.

La foule venue assister à l'exécution s'est mise à chanter.

Les années 1300 sont rudes.

 

Source : Corse Matin.
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