Photo : Martin d'Azpilcueta, dominicain reconnu de l'École de Salamanque

Photo : Martin d'Azpilcueta, dominicain reconnu de l'École de Salamanque

L’importance historique de l’école de Salamanque

Luis de Molina

 Luis de Molina (1535-1601) fut un autre grand économiste dans la lignée de Vitoria, et l’un des premiers Jésuites à réfléchir sur des sujets théoriques en économie.

Bien que rallié à l’École de Salamanque et intéressé à son développement, Molina a enseigné au Portugal, à l’Université de Coimbra.

Il est l’auteur d’un traité en cinq volumes, De Justitia et Jure (1593 et ??suivantes).

Ses contributions au droit, à l’économie et à la sociologie étaient énormes, et son traité eut plusieurs éditions.

 Parmi tous les penseurs de sa génération favorables au libre marché, Molina était le plus pur dans sa vision de la valeur économique.

Comme les autres scolastiques de la dernière génération, il convenait que les marchandises n’étaient pas valorisés « selon leur noblesse ou la perfection », mais selon « leur capacité à servir l’utilité humaine ».

Il en a d’ailleurs donné un exemple convaincant.

Les rats, de par leur nature, sont plus « nobles » (plus haut dans la hiérarchie de la création) que le blé.

Mais les rats « ne sont pas estimés ou appréciés par les hommes », car « ils ne sont d’aucune utilité quelle qu’elle soit ».

 La valeur d’usage d’un bien particulier n’est pas éternelle entre les personnes ni fixe au cours du temps.

Elle change en fonction des évaluations individuelles et de la disponibilité.

Cette théorie explique aussi les aspects particuliers des produits de luxe.

Par exemple, pourquoi une perle, « qui ne peut être utilisée que pour décorer », est plus chère que les céréales, le vin, la viande, ou des chevaux ?

Il semble que toutes ces choses soient plus utiles qu’une perle, et ils sont certainement plus « nobles ».

Comme l’a expliqué Molina, l’évaluation est faite par des individus, et « nous pouvons conclure que le juste prix pour une perle repose sur le fait que certains hommes veulent lui accorder une valeur en tant qu’objet de décoration. »

 Un paradoxe similaire qui a embrouillé les économistes classiques était le paradoxe du diamant et de l’eau.

Pourquoi l’eau, qui est plus utile, devrait-elle être moins chère que les diamants ?

Suivant la logique scolastique, cela est dû à des évaluations individuelles et à leur interaction avec la rareté.

L’incapacité à comprendre ce fait a pourtant conduit Adam Smith, entre autres, dans la mauvaise direction.

 Mais Molina a compris l’importance cruciale des prix flottants et leur relation avec la production économique.

Cela était dû en partie à ses nombreux voyages et à des entretiens avec des commerçants de toutes sortes.

« Quand un bien est vendu dans une région ou un lieu à un certain prix » observait-il, tant qu’il l’est « sans fraude ni monopole ni tout acte criminel », alors « ce prix devrait être considéré comme une règle et une mesure pour juger le juste prix des biens dans cette région ou dans ce lieu. »

Si le gouvernement tente de fixer un prix qui est supérieur ou inférieur, alors il sera injuste.

Molina a également été le premier à montrer pourquoi les prix de détail sont plus élevés que les prix de gros : les consommateurs achètent en plus petites quantités et sont prêts à payer plus cher pour des unités supplémentaires.

 Les écrits les plus sophistiquées de Molina concernent l’argent et le crédit.

Comme Navarrus avant lui, Molina a compris la relation entre l’argent et les prix, et savait que l’inflation résulte d’une masse monétaire plus importante.

« Tout comme l’abondance des biens entraîne une baisse des prix », a-t-il écrit, — en spécifiant que cela suppose que la quantité de monnaie et le nombre de marchands restent les mêmes —, l’« abondance de l’argent » pousse elle les prix à la hausse — en spécifiant que la quantité de biens et le nombre de marchands restent les mêmes.

Molina est même allé jusqu’à souligner que les salaires, les revenus et même les dots aux femmes mariées augmentent finalement dans la même proportion que la masse monétaire.

Il a utilisé ce cadre pour repousser les limites conventionnelles du prêt à intérêt, ou de l’ « usure», un point de friction majeur pour la plupart des économistes de cette époque.

Molina a fait valoir qu’il devrait être autorisé à tout le monde de faire payer des intérêts sur un prêt lié à un investissement en capital, même si le retour sur investissement ne se concrétise pas pour l’emprunteur.

 La défense de la propriété privée par Molina reposait sur la conviction que la propriété est fixée dans le commandement « tu ne voleras pas ».

Mais Molina est allé au-delà de ses contemporains en exposant également de solides arguments pratiques.

Lorsque le bien est détenu en commun, dit-il, il ne sera pas pris soigneusement en charge et les gens vont se battre pour le consommer.

Loin de promouvoir le bien public, lorsque la propriété n’est pas divisée, les gens forts dans le groupe vont profiter des faibles pour monopoliser et consommer toutes les ressources.

 Comme Aristote, Molina a également considéré que la propriété commune des biens provoquerait la disparition de toute libéralité et de toute charité.

Mais il est allé plus loin et a affirmé que « l’aumône doit être donnée à partir de biens privés et non de biens communs. »

 Dans la plupart des écrits d’aujourd’hui sur l’éthique et le péché, des normes différentes s’appliquent aux États et aux particuliers.

Ce n’était pas le cas dans les écrits de Molina.

Il a fait valoir que le roi peut bien, en tant que roi, commettre une variété de péchés.

Par exemple, si le roi accorde un privilège de monopole à certains, il viole le droit qu’ont les consommateurs d’acheter auprès du vendeur le moins cher.

Molina en a conclu que ceux qui en bénéficient sont tenus par la loi morale de compenser les dommages qu’ils causent.

Vitoria, Navarrus, Covarrubias, et Molina sont les penseurs les plus importants parmi plus d’une douzaine de penseurs extraordinaires qui avaient résolu des problèmes économiques difficiles, bien avant la période classique.

Formés dans la tradition thomiste, ils ont utilisé la logique pour comprendre le monde qui les entourait, et ils ont cherché quels étaient les institutions susceptibles de promouvoir la prospérité et le bien commun.

Il n’est guère surprenant, ce faisant, que la plupart des scolastiques tardifs aient été des ardents défenseurs du libre marché.

S’ils vivaient à notre époque, les membres de l’École de Salamanque ne seraient pas trompés par les mensonges qui dominent la théorie économique moderne et la politique.

Si seulement notre compréhension moderne pouvait de nouveau revenir sur cette route pavée pour nous il y a plus de 400 ans !

 

Llewellyn H. Rockwell, Jr. © Copyright 1995, Foundation for Economic Education.

Traduit par Benoît Malbranque

Source : Institut Coppet.

L’Institut Coppet est une association loi 1901 dont la mission est de participer, par un travail pédagogique, éducatif, culturel et intellectuel, à la renaissance et à la réhabilitation de l’école française d’économie politique, et à la promotion des différentes écoles de pensée favorables aux valeurs de liberté, de propriété, de responsabilité et de libre marché.

 

Retour à l'accueil