CORSICA ET TOSCANA : DIX SIÈCLES D'HISTOIRE.

CORSICA È TOSCANA : DIECI SECOLI DI STORIA.

 

La Corse et la Toscane ont entretenu des relations.

La géographie les a placées dans le rôle de voisines aux aguets et leur a imposé des panoramas.

Le rapport s'est nourri de choses vues à travers le canal de Corse.

Puis l'histoire a fait le reste, avec obstination, à marche forcée, au gré de connivences de circonstance, de promesses d'aventures, d'espoirs ou de désillusions.

La chronique des siècles corso toscans est à la merci du moindre retournement de conjoncture.

Elle a ses phases d'échange, centrées sur des écueils, arrimées à de grandes figures, dominées par des influences fécondes.

La coïncidence des trajectoires, siècle après siècle, procède à coups de variations.

C'est le clergé le premier qui imprimera son style à cette mémoire en commun.

Au Moyen-Âge, l'évêque de Lucques prie pour le salut des âmes et se constitue un petit patrimoine foncier dans l'île voisine, en particulier dans la portion Nord-Ouest.

L'aristocratie souscrit à la démarche.

Au VIII siècle marquis, ducs et prélats possèdent en Corse « des domaines et des droits ».

Les propriétaires sont enclins à accaparer toujours plus de pouvoir.

Un engrenage se met en place.

Il conduit au début du IXeme siècle à « l'entrée en dépendance de l'île par rapport à la région voisine ».

La proximité passe par la sujétion ainsi que par le marquis de Toscane, Boniface II et son fils Adalbert        « désignés comme protecteurs de la Corse ».

Depuis les rivages insulaires, les Toscans observent le monde et repoussent les Barbares.

Ils tirent profit d'une position charnière, en d'autres termes d'une plaque tournante navale de grand intérêt dans la défense du nord de la mer Tyrrhénienne face aux attaques des Sarrasins ».

L'évêque de Pise quant à lui renforce son emprise sur le clergé insulaire tout en demeurant attentif aux prétentions de Gênes.

En tout état de cause, en dépit des vicissitudes et des secousses, des alliances sont scellées entre « congrégations monastiques et institutions charitables du monde pisan ».

Les hôpitaux qui accueillent les malades, les pauvres et les pèlerins, unissent aussi.

Des passerelles sont lancées entre « l'ospedale nuovo di Pisa e di San Nicolao di Cardo, comme entre l'Ospedale di Stagno e l'ospedale di Nidi Corbi di Corsica.

Les femmes, un peu soignantes, un peu dames patronnesses consacrent le rapprochement.

C'est le temps du consensus de la solidarité et de la santé.

Avec son lot de péripéties.

Au XIII et XIV eme siècles, le commerce se trouve aussi au cœur du modèle de coopération.

L'activité est intense.

Elle se caractérise par « de faibles tonnages ».

L'île fournit les céréales, le bétail, la viande séchée, le fromage, le vin et les peaux.

Elle reçoit, en retour, le textile, le métal, la céramique et le verre.

Zerbi, Graziani, Angeli

Au passage, les pirates prélèvent leur part de la cargaison.

Tout est argent mais aussi rapines entre Corse et Toscane désormais.

La circulation des hommes figure une autre ligne d'évolution.

« Pendant toute la période moderne, on enregistra un fort courant migratoire de l'île vers la Toscane », observe-t-on.

Les Corses affichent d'entrée de jeu une nette prédilection pour Pise et ses environs.

Avant de jeter leur dévolu sur Sienne.

Ils sont pour la plupart « marchands, patrons de barques, paysans, bergers. »

Ils sont avides de fortune et espèrent être mieux lotis que sur le sol natal.

Ils comptent beaucoup sur « les dispositions financières arrêtées par la République de Sienne pour favoriser le repeuplement de ses zones côtières ».

Une partie de la diaspora trouve sa Terre Promise à Piombino, à Livourne, au XVII.

Là, les Franceschi, les Cardi,entre autres, amassent du bien grâce à « une intense activité tant commerciale que corsaire ».

Dans tous les cas, on dessine des cartes marines, on fait des affaires et les banques fleurissent.

La prospérité, l'audace financière et la navigation deviennent le moteur de l'histoire.

D'autres Corses s'exileront par amour des armes et de l'affrontement.

Leur guerre débute à Florence, à Gênes, à Milan, Rome ou Venise, selon la conjoncture et l'époque.

Ils sont faits chevaliers, participent avec fougue à l'aventure du Risorgimiento ou bien rêvent, avec Pasquale Paoli, d'indépendance pour leur île.

Le cœur est resté en Corse. Le patriotisme, en revanche, possède une tonalité universelle.

C'est en Toscane aussi que les insulaires acquièrent un vernis culturel, indispensable à une brillante carrière.

« L'université de Pise était l'un des centres de formation préféré des élites corses, dont les jeunes obtenaient en majorité un doctorat en droit. » 

L'avenir sourit aux Ruggieri, Zerbi, Graziani, Farinole, Angeli de Bastia.

Plus tard, Charles Bonaparte et après lui son fils Joseph, décrochera son diplôme à Pise.

Antonmarchi, le médecin de Napoléon à Sainte -Hélène, Salvatore Viale feront à leur tour partie des lauréats pisans.

À partir des années 1860, l'université de Pise cesse d'être un motif majeur dans le paysage insulaire.

Les jeunes corses parlent et étudient en français à présent.

En outre, le parchemin obtenu dans la toute jeune république italienne ne vaut plus rien en France. 

Dans le même temps, l'unité politique de l'Italie distend les relations.

La symbolique se perd, comme l'aura révolutionnaire.

La Corse en tant que « première nation de l'aire italique qui avait tenté de se libérer du joug étranger », cesse de fasciner les esprits.

Le XIX eme siècle,puis le XXeme verront passer la Corse à un nouveau statut; celui d'une terre attractive, d'un nouvel eldorado pour les classes les plus laborieuses.

Le marchand ambulant de Venaco

Les voiliers puis les vapeurs de la compagnie Valery assurent les rotations entre les deux rives.

La traversée dure quelques heures ou une nuit entière.

Les « Lucchesi » se plient aux conditions météorologiques.

Ils partent en groupe, ils rentreront en groupe quelques semaines plus tard.

Leurs allées et venues font une large place à la saisonnalité.

« Depuis la Toscane arrivaient surtout en Corse des travailleurs saisonniers qui quittaient la montagne au début de l'hiver pour y revenir à la fin du printemps (...) Ils s'embarquaient par le port de Livourne ».

Ils ont pour habitude de voyager léger.

Le bagage comprend une hache, du pain dur, du fromage et quelques guenilles.

Pas besoin de s'endimancher pour trimer dans les vignes du Cap, pour s'en aller couper du bois, confectionner du charbon ou tracer une route.

Les hommes s'apprêtent à vivre une vie de peine et de misère à « passer des mois dans des cabanes de branchage, dormant sur des lits de branchage ».

Quelques immigrés trouveront une autre façon d'exister dans l'île, comme « ce marchand ambulant qui, à Venaco en 1931 exposait ses tissus sur la place de l'église ».

Mais pour aller de l'avant tous ou presque, devront braver une forme de défiance et d'hostilité diffuse .

«Les rapports entre immigrés et populations   locales n'étaient pas toujours des meilleurs ».

Après l'âge d'or, la discrimination ordinaire relie Corse et Toscane.

La transgression des frontières a son revers.

Les Lucquois « n'étaient souvent vus que comme des bras pour effectuer des travaux.La dimension humaine des individus est laissée de côté.Par ailleurs, la saisonnalité interdisait presque toujours de véritables effets d'intégration ».

Seule l'ingratitude semble rétribuer la force de travail.

C'est écrit jusque dans les pages des manuels de géographie de l'époque et c'est enseigné aux enfants des écoles :

« En Corse, les Lucquois apportent un précieux concours payé en retour par certains, par un mépris et une haine inexpiable »

La France, de son côté, jette de l'huile sur le feu.

« La politique de l'État français consistait à effacer ou du moins à marginaliser toute influence italienne dans l'île », souligne-t-on.

Les vociférations conquérantes et fascistes de Mussolini, la guerre de 39-45 en général achèveront d'éloigner les deux territoires.

« Le second conflit mondial et le résultat désastreux de l'occupation de l'île par l'armée italienne créèrent une profonde et douloureuse fracture destinée à se prolonger de longues années ».

Quelques décennies plus tard, le tourisme, les souvenirs lointains, les programmes de coopérations transfrontalières sous l'égide de l'Europe changent la donne et tissent de nouvelles correspondances.

Les rapaces, tel que le milan royal corse tissent du lien à leur tour, à la faveur d'opération de repeuplement.

Les bateaux jaunes assurent la liaison plusieurs fois par jour entre Bastia et Livourne ou Savone.

Source : Corse Marin.Par Véronique EMMANUELLI 

Chercheurs, historiens corses et toscans ont participé à la rédaction de l'ouvrage : Jean-André Cancellieri, Franco Angiolini, Ange Rovere, Marco Cini, Rosalia Amico Riccardo Belcari, Miletta Sbrilli, Alessandra Pesante, Fiorenza Gemini, Tiziano Arrigoni

Retour à l'accueil