LITTORAL CORSE :  ENTRE PRÉSERVATION DE LA NATURE ET URBANISATION,  QUELLE PLACE POUR LES TERRES AGRICOLES ?

LITTORAL CORSE :

ENTRE PRÉSERVATION DE LA NATURE ET URBANISATION,

QUELLE PLACE POUR LES TERRES AGRICOLES ?

Révélons le meilleur de notre nature, ce slogan est celui de la dernière campagne de promotion touristique de la Corse.

Il met clairement en avant, à travers cette accroche, l’image d’une île sanctuaire à la nature préservée.

Effectivement, le littoral corse est encore très peu urbanisé au regard d’autres franges maritimes méditerranéennes, insulaires ou continentales.

Pourtant, la région n’est pas restée en marge du vaste mouvement de littoralisation qui a recomposé l’ensemble du bassin méditerranéen au cours des dernières décennies.

L’urbanisation des terres agricoles littorales, qui fragilise un secteur économique déjà déstabilisé, témoigne de ce transfert géographique, économique et social. 

2En matière d’évolution de son espace côtier, la Corse est aujourd’hui à la croisée des chemins.

La Collectivité Territoriale, qui concentre de nouvelles compétences en matière d’aménagement du territoire, doit élaborer le futur Plan d’Aménagement et de Développement Durable de la Corse (PADDUC).

Parce qu’il déterminera le projet insulaire pour la prochaine décennie, le document fait débat et soulève diverses questions: Sur quelle voie de développement littoral la Corse va-elle s’engager?

La société locale va-t-elle encourager un essor touristique à l’image de la toute proche Costa Smeralda au nord de la Sardaigne?

Un modèle original, qui pourrait inspirer d’autres territoires, peut-il émerger?

Au sein d’une société insulaire divisée quant à son avenir, la gestion des terres agricoles littorales, hautement symbolique, est au cœur de la controverse. 

3La mise en valeur agricole du littoral a été fragilisée par l’avènement de nouveaux usages du sol fortement concurrentiels.

Moins bien protégés que les espaces naturels, les espaces agricoles ont payé un lourd tribut à l’extension de l’urbanisation.

Dans un contexte de très forte pression foncière, cette dynamique interroge la place de l’agriculture dans les modèles de développement, pose le problème de l’appropriation du patrimoine foncier, et soulève des questions d’ordre socio-économique autant qu’identitaire.

Dans l’attente du futur PADDUC, les positions des acteurs locaux divergent en matière de protection du foncier agricole littoral.

4Comprendre les enjeux liés à la gestion du foncier agricole appelle un bref historique des évènements ayant rythmé l’évolution de la société locale au cours des six dernières décennies.

La Seconde Guerre mondiale marque en effet un tournant et engage ce que l’on appelle la modernisation de l’île (Dressler et Knight, 2008); période caractérisée par de profondes mutations démographiques et socio-économiques qui sont à l’origine de la recomposition de l’espace côtier.

Ce processus de « retournement » de l’espace, observé sur l’ensemble des littoraux méditerranéens, montre en Corse des traits particuliers. 

1.1 - Désertification de l’intérieur et avènement du tourisme littoral

5Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Corse est exsangue.

La société agropastorale, déjà en déclin suite à l’ouverture des marchés, est déstructurée par les pertes de population occasionnées par les guerres.

Définitivement libérées de la malaria grâce à la démoustication opérée en 1945, les plaines littorales connaissent une attractivité renforcée: les Corses encore présents sur l’île s’installent de façon permanente dans les bassins côtiers, à proximité des services urbains qui s’y développent rapidement (Pomponi et Alberti, 2004).

S’y ajoute le retour de Corses de la diaspora, l’installation des Pieds Noirs en plaine orientale, l’arrivée de retraités et de travailleurs immigrés, etc.

L’île n’échappe donc pas au vaste mouvement de littoralisation qui touche de nombreuses zones côtières.

Elle s’engage alors dans une ère nouvelle dont l’image la plus marquante est la véritable désertification des villages de l’intérieur.

Plus de 75% de la population insulaire vit aujourd’hui dans les communes littorales.

Ajaccio et Bastia, les deux principaux bassins d’emplois, concentrent 36% de la population permanente (fig.1).

 

 


 

 

 

Distribution spatiale de la population  Sourcedonnées INSEE, RP 1962-2006 – Conception et réalisation: C. Tafani, 2010 – UMR LISA 6240, université de Corse

Distribution spatiale de la population Sourcedonnées INSEE, RP 1962-2006 – Conception et réalisation: C. Tafani, 2010 – UMR LISA 6240, université de Corse

Le développement du tourisme de masse, dans les années 70, a participé de ce mouvement de littoralisation.

En 2008, on pouvait dénombrer 3 millions de séjours, 31 millions
de nuitées dont les 2/3 sur le littoral, et 2,5 millions de touristes.

Environ 80% des lits touristiques littoraux sont offerts par les nombreuses résidences secondaires, qui représentent parfois plus des trois quarts des logements communaux.

C’est donc un véritable « choc touristique » qu’a connu l’île dans son ensemble (Furt et Maupertuis, 2006).


 

1.2 - Les mutations de l’agriculture littorale

7L’agriculture littorale a connu de profonds changements.

Comme en Provence, la viticulture s’est engagée dans une démarche de qualité, dès les années 60, notamment avec l’AOC Patrimonio.

Parallèlement, les exploitants ont été incités à transformer leur production et à la vendre sur des circuits courts de commercialisation, non seulement pour tirer profit de la demande touristique et urbaine, mais aussi pour compenser la baisse du prix des produits bruts.

8Malgré tout, l’agriculture littorale est fragile.

Les revenus agricoles sont modestes pour les éleveurs avec respectivement 16000 € et 19000 € bruts par actif pour les éleveurs bovins et ovins; orientation dont il faut souligner qu’elle est la plus représentée sur le littoral.

Les exploitants agricoles ne représentent plus que 2,2% de la population active contre 41% au lendemain de la seconde guerre mondiale.

En outre se pose un réel problème de transmission et de reprise des exploitations: en 2000, 35% des exploitants des communes littorales avaient plus de 55 ans et seulement 20% moins de 40 ans.

Le renouvellement générationnel est donc loin d’être assuré.

Au niveau de la structure foncière, les surfaces libérées ont permis l’augmentation de la taille moyenne des exploitations, mais l’augmentation est restée modérée sur le littoral.

En revanche, si le faire valoir indirect s’y est plus développé qu’ailleurs, on sait qu’il peut être un facteur de précarisation de l’agriculture(tab. 1).

Le « retournement » de l’espace s’est accompagné de l’émergence et de la concurrence de nouveaux usages des sols, avec des écarts de rente foncière spectaculaires entre activité agricole etF constructibilité des terrains (Jouve et Napoleone, 2003).

Les besoins fonciers nécessaires pour répondre à l’accroissement démographique et à la demande touristique sont importants et croissent sans cesse: usage résidentiel, infrastructures de transports, de loisirs, de traitement des déchets, etc.

Enfin, touristes et résidents privilégient l’habitat pavillonnaire, particulièrement consommateur d’espace.

10Cette concurrence pour le sol est problématique.

Tout d’abord, la Surface Minimale d’Installation (SMI) est d’environ 10 ha pour la vigne et l’agrumiculture, de 50 à 250 ha pour l’élevage selon le couvert végétal.

Or la Corse est « une montagne dans la mer » et sa frange côtière est restreinte.

Dans ce contexte topographique très contraignant, les plaines côtières, les basses vallées irrigables et les piémonts de faible pente, qui correspondent souvent aux plus fortes potentialités agronomiques, sont les plus exposés à l’artificialisation en raison de leur proximité à la mer, de leur accessibilité et de leur relative facilité d’aménagement.

Recensement Général de l’Agriculture, évolution 1979-2000  Source données: RGA 1979-2000, Agreste

Recensement Général de l’Agriculture, évolution 1979-2000 Source données: RGA 1979-2000, Agreste

11De façon apparemment paradoxale, le dispositif de protection de l’environnement a contribué à fragiliser un peu plus les terres agricoles.

En effet, une protection à deux vitesses s’est mise en place.

2.1 - Des espaces naturels relativement bien protégés 

12En Corse, les espaces naturels littoraux ont été relativement bien préservés, non seulement en raison d’un développement urbain tardif, mis aussi grâce à une politique volontariste de l’État.

Le Conservatoire du Littoral est propriétaire de 20% du linéaire côtier, soit 200 km de côtes et 17000 ha.

On compte aussi 19 sites classés au titre de la loi de mai 1930, quasiment inconstructibles, couvrant 18000 ha.

Avec la loi Littoral, une protection supplémentaire est venue renforcer considérablement le dispositif.

Il s’agit principalement de sa disposition dite espaces naturels remarquables, qui limite la constructibilité à des aménagements légers.

En 2004, le Document d’Application de la Loi Littoral (DALL), élaboré par les services de l’État, les a cartographiés à hauteur de 70000 ha.

Toujours au titre de la loi Littoral, la disposition espaces proches du rivage, où l’extension de l’urbanisation doit être limitée, peut être considérée comme une protection relative.

Le DALL situe leur limite entre 1,5 et 2 km du trait de côte.

Au final, c’est la majeure partie du littoral corse qui est actuellement protégée par le dispositif législatif et réglementaire de l’État (fig. 2).

On relève tout de même des entorses à la loi Littoral. Plus de 400 établissements de plage sont installés à l’année sur le Domaine Public Maritime alors qu’ils devraient être démontés au moins six mois de l’année, et beaucoup ne bénéficient pas d’une Autorisation d’Occupation Temporaire (AOT).

Un abondant contentieux, notamment dans le sud de l’île, montre que d’autres dispositions de la loi ne sont pas respectées: présence d’habitations récentes dans la partie inconstructible de la « bande des 100 mètres », non respect de l’extension de l’urbanisation « en continuité des villages et agglomérations existants », permis de construire délivrés dans des « espaces naturels remarquables », etc.

La commune de Porto-Vecchio, dépourvue de Plan d’Occupation des Sols, et engagée dans un développement touristique et urbain volontariste, concentre une grande partie du contentieux sur la loi Littoral (fig. 3).

 

 

Figure 2. La protection des espaces naturels littoraux  Source données: DREAL CORSE – Conception et réalisation: C. Tafani, 2010

Figure 2. La protection des espaces naturels littoraux Source données: DREAL CORSE – Conception et réalisation: C. Tafani, 2010

figure 3. Occupation du sol dans la région de Porto-Vecchio  Source données: IGN, BD Topo; DREAL – Conception et réalisation: C. Tafani, 2010

figure 3. Occupation du sol dans la région de Porto-Vecchio Source données: IGN, BD Topo; DREAL – Conception et réalisation: C. Tafani, 2010

2.2 - Des terres agricoles plus exposées 

14La protection stricte dont bénéficient les espaces naturels n’a pas d’équivalent en matière d’espaces agricoles.

Ces derniers sont essentiellement pris en compte dans les documents de planification et d’aménagement du territoire.

À l’échelle régionale, le Schéma d’Aménagement de la Corse « fixe les orientations fondamentales en matière de protection, de mise en valeur et de développement du territoire de la région Corse. (Il) détermine, en outre, la destination générale des différentes parties de l’île, l’implantation des grands équipements d’infrastructure et la localisation préférentielle des activités industrielles, artisanales, agricoles et touristiques ainsi que des extensions urbaines » (art. L 144-1, CU). 

Datant de 1992, il est toujours en vigueur et préserve effectivement une partie des terres agricoles littorales de l’urbanisation.

Dans les secteurs de bonne potentialité agronomique, il n’autorise les changements d’usage du sol « que dans la mesure où ils ne mettent pas en péril les politiques de compétitivité, de filière, de label et d’appellation de la production agricole ».

Or seulement 5% de la surface des communes littorales, située pour l’essentiel en arrière côte, sont ainsi exclus de tout changement d’usage (fig. 4).

Diverses lois sont censées imposer une protection des espaces agricoles, mais sont en réalité peu efficientes.

La Loi Solidarité et Renouvellement Urbain de 2000 rappelle le principe d’équilibre entre « le renouvellement urbain, un développement urbain maîtrisé, le développement de l’espace rural d’une part, et la préservation des espaces affectés aux activités agricoles […] » (art. L121-1 du Code de l’urbanisme).

Mais cette disposition est trop générale, voire contradictoire, pour être efficace sur le terrain.

La loi Littoral pourrait également protéger les espaces cultivés en tant qu’espaces naturels remarquables ou caractéristiques, ou en tant que coupures d’urbanisation.

Or en Corse, comme dans le Var, le DALL n’a pas choisi de rendre inconstructibles des espaces productifs.

De sorte que les Plans Locaux d’Urbanisme ne sont pas obligés eux non plus de les préserver. 

2.3 - L’extension de l’urbanisation aux dépens des espaces agricoles

16D’après les données de l’Observatoire du littoral, en 2006, les espaces artificialisés recouvrent seulement 3,8% de la surface des communes.

Leur emprise relative augmente assez lentement, alors qu’elle avait progressé de façon significative entre 1980 et 1990.

Cette progression semble se faire au détriment des espaces naturels; la part relative des espaces cultivés étant remarquablement stable (tab.2).

On pourrait penser que les documents d’urbanisme et le dispositif de protection environnemental ont contribué à freiner l’artificialisation des sol et l’ont écarté des terres cultivées Il s’agit en fait, comme dans bien des cas, d’un effet statistique.

La nomenclature Corine Land Cover utilisée ici intègre les « milieux à végétation arbustive et/ou herbacée » au sein des espaces naturels.

Or en Corse, ces milieux qui justement reculent devant l’urbanisation, sont des parcours d’élevage; activité agricole dont a souligné l’importance sur le littoral.

18Par ailleurs, plus on se rapproche du rivage, plus le recul des espaces cultivés est sensible:           à moins de 500 m du trait de côte, l’emprise des espaces artificialisés approche les 15%.

Enfin, si le taux d’artificialisation reste assez faible, il a augmenté de 35% en 30 ans, soit le plus fort taux de progression de toutes les façades maritimes françaises.

Un chiffre qui illustre l’intensité de la dynamique d’urbanisation (tab. 3).

Nous avons pu analyser 9 des 13 documents d’urbanisme de la partie littorale de la Balagne, région située au nord-ouest de l’île et sujette à une forte fréquentation touristique.

De façon générale, il en ressort que les choix communaux vont dans le sens d’une ouverture à l’urbanisation.

Cette situation est bien illustrée par le PLU de Corbara (fig. 5).

Les zones immédiatement constructibles (U) et les zones d’urbanisation future (AU) sont situées pour l’essentiel le long de la route nationale, près du trait de côte, dans la limite des espaces proches du rivage au sens de la loi Littoral.

Leur superficie est surdimensionnée par rapport aux données démographiques et dédiée en grande partie à la construction de résidences secondaires individuelles et de complexes touristiques.

S’il subsiste des zones agricoles (A), la consommation de terres cultivées est importante.

Globalement, les élus littoraux optent pour une occupation de l’espace peu économe, caractérisée à la fois par de l’étalement urbain, de la densification et un mitage de l’espace; une gestion foncière qui semble donc peu optimale en termes d’équilibre entre usages du sol.

Figure 4. Les terres agricoles préservées par le Schéma d’Aménagement de la Corse de 1992  Source données: SODETEG 1979, BDalti, DREAL – Conception et réalisation: C. Tafani, 2010

Figure 4. Les terres agricoles préservées par le Schéma d’Aménagement de la Corse de 1992 Source données: SODETEG 1979, BDalti, DREAL – Conception et réalisation: C. Tafani, 2010

Tableau 2. Sources: Observatoire du littoral, 2009, IFEN-Corine Land Cover 90-2006

Tableau 2. Sources: Observatoire du littoral, 2009, IFEN-Corine Land Cover 90-2006

Tableau 3. Sources: Observatoire du littoral, 2006-2009

Tableau 3. Sources: Observatoire du littoral, 2006-2009

Figure 5. Plan Local d’Urbanisme de la commune de Corbara (2006), Balagne  Source mairie de Corbara – Conception et réalisation: C. Tafani, 2010

Figure 5. Plan Local d’Urbanisme de la commune de Corbara (2006), Balagne Source mairie de Corbara – Conception et réalisation: C. Tafani, 2010

3.1 - Augmentation de la température foncière

21L’analyse des ventes de parcelles agricoles sur la période 1998-2008 montre qu’une forte pression foncière s’est développée, tant en volume qu’en valeur.

Entre 1998 et 2008, le nombre de transactions a augmenté de 200%.

Le volume des ventes s’est accru de façon remarquable dans les deux principales agglomérations (golfe d’Ajaccio, région de Bastia) et dans la zone très touristique au sud de l’île (secteurs de Porto-Vecchio et de Pianottoli-Figari).

Les niveaux de prix y atteignent leurs plus hautes valeurs (fig. 6 et 7).

Ces zones se caractérisent aussi par une rotation importante des parcelles vendues, ce qui témoigne en général d’un phénomène de spéculation foncière.

Sur la commune de Porto-Vecchio, la moitié des transactions enregistrées concerne des parcelles ayant fait l’objet de deux ventes au moins sur la période étudiée.

Ces logiques de plus-values repoussent les acquéreurs plus modestes en périphérie, où l’on observe une augmentation des prix rapide mais un volume de transactions modéré.

On discerne clairement le phénomène classique de gradients de pression foncière s’affaiblissant vers des périphéries de plus en plus éloignées. 

23Un travail plus fin, à l’échelle de la section cadastrale, montre que les prix sont logiquement plus élevés dans les espaces proches du rivage.

Il faut néanmoins remarquer que dans les secteurs les plus convoités, les hauts niveaux de prix gagnent désormais l’arrière côte.

Ceci est à mettre en relation d’une part avec la loi Littoral qui tend à repousser la constructibilité vers les secteurs rétro-littoraux, et d’autre part avec le niveau des prix en bordure de rivage qui repousse des acquéreurs même fortunés plus à l’intérieur des terres.

3.2 - Un marché agricole spéculatif

Note méthodologique: la base de données SAFER, renseignée à partir des Déclarations d’Intention d’Aliéner, classe les transactions selon la destination du fonds, c’est-à-dire selon le projet que l’acquéreur déclare.

Nous avons regroupé ces différentes catégories en trois classes:

- destination agricole certaine,

- destination inconnue,

- terrains agricoles à bâtir.

Les deux premiers groupes représentent les terres encore agricoles et sont pris en compte pour le calcul du prix du foncier agricole.

La catégorie « terrains à bâtir » rassemble (sans pouvoir les distinguer) les terrains agricoles passés urbanisables dans les documents d’urbanisme mais aussi des terrains pour lesquels les acquéreurs ont précisé avoir un projet de construction, de tourisme ou de loisirs.

  • 1  Note méthodologique: la base de données SAFER, renseignée à partir des Déclarations d’Intention d (...)

24Entre 1998 et 2008, le prix moyen de vente du m² de terre agricole a été multiplié par plus de 6 en valeur constante, passant de 4 à 25 €/m².

L’analyse des transactions permet par ailleurs de quantifier de façon plus précise les changements d’usage des terres agricoles (tab. 4).

Sur la période 1998-2008, moins de 10% des parcelles agricoles ayant fait l’objet d’une transaction ont conservé leur vocation initiale.

Plus de 30% des ventes concernaient des lots devenus constructibles et la destination des 60% restants est inconnue ou incertaine.

Il est probable que ces parcelles aient été acquises en vue d’une urbanisation à venir.

Leur valeur est en effet intermédiaire et pourrait illustrer le phénomène d’anticipation de la constructibilité des terrains, observé dans la région périurbaine aixoise (Geniauxet Napoleone, 2003).

26Le processus de production de terrains constructibles transparaît clairement dans la structure des biens vendus.

En effet, les plus petits terrains, correspondant à des lots à bâtir, sont de loin les plus chers.

En outre, la part des transactions concernant des lots de moins de 2500 m² a plus que doublé entre 1998 et 2008, contrairement aux lots les plus grands (tab. 5).

 

 

Figure 6. Évolution du marché foncier sur les terres agricoles littorales (1998-2008)  Source- SAFER Corse – Conception et réalisation- C. Tafani, 2010

Figure 6. Évolution du marché foncier sur les terres agricoles littorales (1998-2008) Source- SAFER Corse – Conception et réalisation- C. Tafani, 2010

Figure 7. Valeur moyenne des terres agricoles selon les sections cadastrales des communes littorales  Source: SAFER Corse – Conception et réalisation: C. Tafani, 2010

Figure 7. Valeur moyenne des terres agricoles selon les sections cadastrales des communes littorales Source: SAFER Corse – Conception et réalisation: C. Tafani, 2010

Tableau 4.Sources- SAFER Corse.

Tableau 4.Sources- SAFER Corse.

Tableau 5. Source s - SAFER Corse

Tableau 5. Source s - SAFER Corse

3.3 - Marché foncier agricole et société locale

27La nature des acquéreurs de foncier agricole révèle un problème de société.

Sur ce marché, les agriculteurs n’accèdent qu’à 15% des ventes, à un prix moyen de 8,5 €/m².

Les autres catégories socioprofessionnelles achètent en moyenne à 19,5 €/m².

Alors que la presse et les politiques se font régulièrement l’écho d’une société locale craignant de voir sa terre achetée par des étrangers, au pouvoir d’achat supérieur, il convient de préciser que ce sont majoritairement des résidents corses qui achètent les terres agricoles (75%).

De plus, ces derniers achètent à un prix de moitié inférieur à celui des allochtones (15 €/m² en moyenne contre 27 €). 

28Deux interprétations sont possibles.

- Soit il existe un phénomène de ségrégation socio-spatiale dans l’accession à la propriété: les locaux sont en concurrence avec des acquéreurs extérieurs au pouvoir d’achat supérieur et sont repoussés vers le foncier agricole, moins cher que le foncier constructible.

- Soit on se trouve en présence d’un phénomène de spéculation foncière, entretenu par les résidents corses eux-mêmes: les locaux, en contact avec les propriétaires agriculteurs, achètent dans l’attente d’un changement d’usage et l’espoir d’une plus-value.

La première interprétation n’exclut pas la seconde.

Finalement, l’analyse du marché foncier rend bien compte de « la pénétration de l’urbanité dans la ruralité », observé plus tôt sur le littoral provençal et son immédiat arrière-pays (Daligaux, 1999). 

29C’est donc le choix d’un modèle de développement pour la Corse qui est interrogé au travers de la problématique du foncier agricole littoral.

Sur le plan socio-économique, la pression foncière menace le développement agricole: augmentation du coût de production, raréfaction de la ressource foncière, précarisation des fermages, déstructuration des exploitations, etc.

Sur le plan culturel, l’agriculture est une activité emblématique de l’île et un héritage pluriséculaire, dont l’avenir incertain soulève des questions identitaires.

Enfin, sur le plan environnemental, la poussée urbaine et démographique pose des problèmes aigus de traitement des eaux et des déchets.

Autant de questions auxquelles doivent répondre les acteurs de la planification et de l’aménagement du territoire. 

4.1 - Le PADDUC au cœur de la problématique

  • 2  La région Corse possède un statut juridique particulier et une organisation institutionnelle uniqu (...)

30Depuis la loi de 2002 et le nouveau statut de décentralisation, la Collectivité Territoriale de Corse doit élaborer le Plan d’Aménagement et de Développement Durable de la Corse (PADDUC), avec lequel les documents d’urbanisme de rang inférieur (SCOT et PLU) devront être compatibles.

La région Corse possède un statut juridique particulier et une organisation institutionnelle unique en France métropolitaine.

Elle a notamment des compétences élargies en matière de développement et d’aménagement et d’identité, ainsi qu’un pouvoir d’adaptation des normes réglementaires et des ressources budgétaires.

La collectivité territoriale de Corse (CTC) est organisée en une assemblé territoriale (l’équivalent des conseils régionaux), un conseil exécutif et un organe consultatif, le Conseil économique social et culturel.

En matière d’aménagement du territoire, la collectivité territoriale a désormais le pouvoir de préciser les modalités d’application des lois Montagne et Littoral (article L.111-1-1 du C.U.).

Cela signifie qu’elle peut, en remplacement des DALL, délimiter les espaces naturels remarquables et tracer la limite des espaces proches du rivage.

Ce point est absolument fondamental vis-à-vis des modalités futures d’urbanisation du littoral.

C’est pourquoi il fait l’objet d’une intense polémique au sein de la société insulaire, où deux visions s’opposent en matière d’aménagement du littoral et de protection du foncier agricole. 

31Un groupe d’acteurs, composé d’élus et de représentants du monde socioprofessionnel, soutient l’actuelle version du PADDUC (juillet 2008).

Elle propose un développement du territoire insulaire essentiellement fondé sur le tourisme balnéaire et qui pousse à un assouplissement de la loi Littoral.

Ce « PADDUC I » précise que l’utilisation du foncier par les exploitants agricoles doit permettre la valorisation des paysages et des savoir-faire, la fourniture de produits de qualité (labellisés) et de produits identitaires, ainsi que l’accueil des touristes en milieu rural.

Mais il n’impose au foncier agricole aucune protection stricte et durable.

Des extraits du document illustrent bien ce positionnement volontariste, qui touche tous les aspects du développement (encadré 1).

 

En matière de modalités d’application de la loi Littoral, le document propose un rapprochement de la limite des espaces proches du rivage du trait de côte, la suppression de certains espaces remarquables figurant dans le DALL et la création de hameaux nouveaux intégrés à l’environnement, dérogatoire au principe d’extension de l’urbanisation en continuité de l’existant (fig. 8). 

Un groupe d’opposants à ce projet défend un développement territorial plus équilibré.

Il comprends moins d’élus mais rallie les associations environnementales et culturelles, et les mouvements nationalistes.

Ce groupe de pression remet en cause les fondements du PADDUC, qui ne seraient pas durables.

Il pose la question de la répartition des fruits du développement, qui profiteraient à une poignée d’investisseurs;

le PADDUC étant « contraire aux intérêts collectifs de tous les Corses » selon l’association environnementale U Levante.

Il propose à l’inverse de limiter le nombre de touristes tant que les infrastructures nécessaires à leur accueil (notamment de traitement des eaux et déchets) n’existent pas, et de réorienter les efforts de développement vers l’intérieur de l’île.

En matière d’urbanisation, le Collectif pour la loi Littoral en Corse pense que « le projet actuel de PADDUC constituerait, s’il était adopté en l’état, un instrument de contournement et d’affaiblissement de la loi ».

Il demande, dans la prochaine version du document, la prise en compte des espaces remarquables et des espaces proches du rivage tels que cartographiés dans le DALL.

Enfin, en matière de terres agricoles, il est demandé de maintenir le potentiel productif et de mettre en place un dispositif juridique assurant la protection durable des secteurs à forte potentialité agronomique.

 

 

Encadré 1.

Encadré 1.

Modalités d’application de la loi Littoral dans le projet de PADDUC  Source: données PADDUC, version avril 2009 – Conception et réalisation: C. Tafani, 2010

Modalités d’application de la loi Littoral dans le projet de PADDUC Source: données PADDUC, version avril 2009 – Conception et réalisation: C. Tafani, 2010

4.2 - De la décentralisation à la « désanctuarisation » de la Corse

34En Corse, malgré un contexte politique difficile, l’État a joué un rôle important en matière d’urbanisation, d’aménagement et de protection environnementale.

Le millefeuille de zonages environnementaux qui existe aujourd’hui est le fruit d’une politique volontariste (présence importante du Conservatoire du Littoral, Sites classés).

L’application de la loi Littoral a constitué une préoccupation centrale de ses services, débouchant sur un DALL protecteur.

En matière d’aménagement, c’est le préfet de région qui avait rédigé en 1991 le schéma d’Aménagement de la Corse, alors que l’Assemblée de Corse, compétente en la matière depuis le statut Defferre de 1982, avait été dessaisie du dossier.

Ce schéma est toujours en vigueur actuellement.

Celui proposé en 1997 par la Collectivité Territoriale, dans le cadre du statut Joxe de 1991, fut rejeté par le préfet en 1998 pour non respect de la loi Littoral (Lefèvre, 2001; Moretti, 2006).

Enfin, l’État s’est montré présent en matière de contentieux d’urbanisme.

L’activité du tribunal administratif de Bastia entre 1998 et 2002 montre que les préfets sont à l’origine de la plupart des actions contre des permis accordés en infraction avec la loi Littoral; actions qui ont en général débouché sur l’annulation des permis litigieux. (Melot, 2006)

35Depuis le début des années 2000, la situation a changé avec l’avancée du processus de décentralisation, qui a mis lesélus régionaux aux commandes de la planification.

Cherchant dans l’urbanisation une ressource financière, sensibles à la pression de leur électorat au sein duquel figurent de moins en moins d’agriculteurs (Thareau, 2006), les élus perçoivent la loi Littoral comme une contrainte.

Soutenu par la majorité des maires littoraux et par des associations de propriétaires − dont certains agriculteurs − Camille de Rocca Serra, président de l’Assemblée de Corse (parti politique UMP) jusqu’en mars 2010, s’était fait le porte-parole de la désanctuarisation de l’île.

Cette idée, qui devait offrir une vraie bouffée d’oxygène à l’économie corse, avait orienté la rédaction du premier PADDUC (de Rocca Serrain Le Monde, 2006). 

  • 3  À noter que certains partis de gauche s’étaient associés aux associations d’écologistes pour l’app (...)

36Face aux édiles, on assiste à la montée en puissance des mouvements associatifs favorables à un développement modéré.

Une nouvelle version du PADDUC a été retirée du vote de l’Assemblée de Corse en juin 2009 après avoir été désavouée par le Conseil Économique et Social de Corse et décriée par un collectif, le « Front uni contre ce PADDUC », dont la pétition a rassemblé presque 16 000 signataires.

Ce collectif, mené par les associations de protection de l’environnement, dont l’historique U Levante, rassemble des personnalités de la société civile, des associations culturelles, des syndicats, les mouvements politiques nationalistes modérés et radicaux, ainsi que le collectif pour la loi Littoral.

À noter que certains partis de gauche s’étaient associés aux associations d’écologistes pour l’application de la loi Littoral en Corse. Ils font donc partie du collectif pour l’application de la loi littoral.

Il convient ici de rappeler que la classe politique corse s’était très tôt emparée des questions foncières et environnementales.

L’action régionaliste s’était engagée dans la lutte contre la « bétonisation des côtes » et la « baléarisation » de l’île, pour défendre l’accès à la terre aux Corses et préserver l’environnement.

Mais dans les années 90, [l’] interpénétration des milieux nationalistes et des milieux d’affaires, pour la mise en valeur du littoralest apparue évidente (Lefevre, 2001).

Les groupes politiques nationalistes ont perdu de leur légitimité sur ce terrain et la société civile a pris le relais, principalement via les associations environnementales (Martinetti, 2007).

Bénéficiant de soutiens hors de Corse (France Nature Environnement, ATTAC, Green Peace), ces associations sont actives et ont déjà gagné deux batailles emblématiques: le retrait par les sénateurs de l’article 12 du Projet Matignon 3 en 2001, qui autorisait l’assouplissement de la loi Littoral par le biais de son adaptation législative et réglementaire, et plus récemment, en 2008, l’annulation des permis de construire de MM. Séguéla et Sulitzer (Marc) à Bonifacio pour non conformité à la loi Littoral. 

 Les permis avaient été accordés par l’ancien maire de Bonifacio pour la construction de villas dans une zone vierge de tout bâti, ne pouvant donc être considérées comme situées en continuité d’urbanisation. Ces autorisations étaient par conséquent non conformes à la loi Littoral.

38L’émergence de nouvelles sensibilités, ou du moins d’un discours alternatif plus audible, est perceptible dans le seul projet de SCOT actuellement avancé.

On rappellera qu’il s’agit d’un outil de planification puissant puisqu’il définit un projet de territoire, coordonne les ambitions urbanistiques des PLU, peut décliner les orientations générales du futur PADDUC, mais aussi mettre en œuvre des modalités spécifiques d’application de la loi Littoral (Daligaux, 2004);

voire assouplir considérablement la portée du texte comme cela a été observé pour celui du golfe de Saint-Tropez (Daligaux, 2008).

Or, le projet de SCOT porté par le Pays de Balagne ne semble pas s’inscrire dans une logique de développement touristique et urbanistique débridé.

En préfiguration du document, une Charte de Territoire et une Charte Paysagère, Architecturale, Urbanistique et Environnementale ont été élaborées respectivement en décembre 2002 et en février 2008.

La stratégie de développement territorial qui y est prônée rejoint le point de vue plutôt protecteur des opposants au PADDUC I.

Par exemple, la Charte de Territoire propose une identification des potentialités naturelles du territoire pour favoriser l’installation des agriculteurs et maintenir l’activité productive.

Reste à voir ce que contiendra précisément le Document d’Orientation Générale du SCOT.

Un contenu d’autant plus incertain aujourd’hui qu’il sera fonction des alliances et des rapports de force entre élus de l’intercommunalité. 

 

39Le résultat des élections territoriales de mars 2010 a redistribué les cartes de la gouvernance territoriale, et sera sans doute déterminant pour l’avenir de la Corse.

Les partis de l’opposition de Gauche et les partis nationalistes, prônant un PADDUC moins volontariste en matière de développement urbain et touristique, ont emporté la majorité à l’Assemblée Territoriale Corse, devant une Droite en recul très sensible.

La question qui se pose est de savoir quel PADDUC proposera la nouvelle Assemblée.

Car si l’on entend parler de la création imminente d’un établissement public foncier, tel qu’il en existe plusieurs sur le continent, la priorité reste l’élaboration d’un outil de planification stratégique, au service d’un modèle de développement territorial qui doit désormais être redéfini.

Caroline TafaniUMR LISA 6240 CNRS, Université de Corse Pascal Paoli,

 « Littoral corse: entre préservation de la nature et urbanisation, quelle place pour les terres agricoles? », Méditerranée [Online]

Source : Revue géographique des pays méditerranéens.

Photo : U Levante / Alta Frequenza.

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