Une hiérarchie des fortifications
Une hiérarchie des fortifications.
Les fortifications évoquées ci-dessus n’ont pas le même aspect, leur situation topographique est très variable et, certainement, toutes n’ont pas le même statut.
Les châteaux chefs-lieux de seigneurie et de châtellenie
Les listes de châteaux appartenant à un même seigneur répondent à un ordre précis qui suggère une hiérarchie à l’intérieur de la terra.
Ainsi, dans le serment des seigneurs de Bagnaia daté de 1247, non seulement les fortifications appartenant aux Bagnaia sont citées avant celles de leurs fidèles, mais la première à être mentionnée est Biguglia, avant même Borgo Bagnaia et son palatium dont nous avons vu qu’il ne s’agissait pas d’un castrum.
De fait, Biguglia est l’une des plus importantes forteresses du nord de l’île aux XIIIe-XIVe siècles.
C’est la seule que Luccheto Doria assiège en 1289 et où il s’installe pour recevoir les serments de fidélité des seigneurs de la région.
Arrigo della Rocca s’y fait proclamer comte de Corse quelques décennies plus tard.
Elle est aussi utilisée comme siège de justice au mo- ment de la révolte populaire de 1358.
Enfin, elle abrite la première résidence des gouverneurs génois de l’île avant son transfert dans la fondation voisine de Bastia.
Dans le serment de Giovanninello de Loreto, en 1289, c’est Patrimonio qui apparaît le premier.
En 1247 il est encore indivis pour des raisons qui nous échappent.
Au début du XIVe siècle, Guglielminuccio et Orlando Cortinco revendiquent une partie de l’héritage de leur grand-mère, une Loreto de Nebbio.
Leur grand-oncle, Rolanducello refusant le partage, c’est les armes à la main que les Cortinchi présentent leur requête et s’emparent de sa seigneurie.
Ils investissent alors, en premier lieu, le château de Patrimonio.
Quelques années plus tard, il est entre les mains des Génois qui le considèrent comme un point stratégique essentiel. Dès 1324 il appartient à Nicolo Doria et entre 1348 et 1351 on y installe un capitaine avec une importante garnison de quinze arbalétriers.
En juin 1349, la répartition des dépenses ordinaires des fortifications sous le contrôle de Gênes montre que seules les places fortes de Portovenere et du Sperone de Savone, dans la péninsule, sont mieux dotées.
Dans le Cap, enfin, le château de San Colombano occupe le devant de la scène.
Même si sa primauté n’apparaît pas dans les actes de vente de 1246, c’est de là qu’est organisée et gérée toute la seigneurie des de Mari.
Ces forteresses jouent le rôle de chef-lieu, même si elles ne sont pas toujours les résidences permanentes des seigneurs qui possèdent des palais en dehors des châteaux (voir par exemple Borgo Bagnaia).
Pourtant, elles ne disposent pas de droits différents de ceux des fortifications «secondaires»;
ce qui les oppose est avant tout d’ordre symbolique.
Le cas de Petrelerata est particulièrement significatif.
Ce château, certainement le plus ancien possédé par le lignage des Cortinchi à qui il a donné son nom (il est déjà mentionné en 1149), se trouve à la tête de l’une des plus grandes seigneuries.
Aux XIIIe-XIVe siècles, celle-ci compte une douzaine de castra et couvre toute la Castagniccia et même quelques pievi situées au-delà du Tavignano.
L’énumération des biens en 1289 est éloquente; on se limite à citer la forteresse de Petrelerata et castris suis aliis...
Alors que les autres châteaux de la seigneurie Cortinchi sont, au mieux, simplement mentionnés dans la chronique de Jacopo Doria lorsqu’ils font l’objet d’une attaque ou d’une négociation, Petrelerata apparaît, lui, comme un enjeu majeur.
La chronique de Jacopo Doria relate l’expédition en Corse de son cousin Luccheto avec abondance de détails et de précisions qui complètent très utilement les actes des serments de fidélité (il en existe 20 pour la seule année 1289).
La seule soumission du castrum est non seulement décrite dans la chronique mais elle est aussi à l’origine de trois actes parmi les plus longs.
Le 17 juillet 1289, à deux reprises, Guglielmo, castellano de Petrelerata, jure fidélité à la Commune de Gênes; une première fois en promettant de livrer un otage et une seconde fois en donnant son fils Ugonetto.
Le 11 novembre de la même année, des seigneurs Cortinchi prêtent à nouveau serment à Luccheto Doria en promettant d’aider la Commune dans sa lutte contre Giudice de Cinarca.
Une mise en scène hautement symbolique est alors organisée : en signe de victoire, Luccheto plante lui-même l’étendard génois au sommet de la tour de Petrelerata :
... et domino vicario pro eo vexillum ipsius comunis cruce rubea signato super turrim castri ipsius posuit cum honore...
Les plus importants de ces châteaux sont donc, ou les berceaux de la famille seigneuriale, comme Petrelerata, ou bien des positions stratégiques et militaires optimales pour le contrôle de l’espace, comme Biguglia et San Colombano.
Les actes les plus importants y sont rédigés.
Et, en 1289, lorsque Luccheto Doria parcourt l’île avec son armée pour recueillir les serments de fidélité, ce n’est que dans ces châteaux qu’il s’arrête pour recevoir l’hommage des seigneurs du nord de la Corse.
Daniel ISTRIA
Source : persee.fr