Le Chevalier d’Eon (1727-1810)
Le Chevalier d’Eon (1727-1810)

Le Chevalier d’Eon (1727-1810)

Son premier prénom était Charles, le deuxième Geneviève.

A Saint-Pétersbourg, elle est lectrice de la tzarine, mais à Versailles, il se présente en capitaine des dragons.

On s’interroge aujourd’hui encore sur le sexe du chevalier de Beaumont.

Tour à tour homme ou femme selon les circonstances, Charles Geneviève de Beaumont, chevalier d’Eon, officier de Sa Majesté et agent secret français, aura réussi, toute sa vie durant, à se dérober aux investigations qui auraient permis de dévoiler son apparence l’un ou l’autre des deux sexes. 

A sa naissance en 1727, son père le déclare comme garçon au curé de l’église Notre-Dame de Tonnerre, en Bourgogne, mais sous les prénoms de Charles, Geneviève, Louise, Auguste, Andrée, Thimothée… trois masculins et trois féminins.

Pourtant, le fait semble, pour l’instant, ne gêner personne.

Elève doué et charmant, Charles Geneviève mène ses études avec brio, à Tonnerre, puis à Paris, au collège Mazarin, et il en sort ses diplômes en poche, à l’âge de 20 ans.

Afin de ne pas déroger à la tradition familiale, il se lance, avec le même bonheur, dans des études juridiques qui lui permettent bientôt d’émarger au Parlement comme avocat.

Il passe son doctorat en droit et devient prévôt de la salle d’armes. 

Malgré se petite taille et le timbre féminin de sa voix, il aime les exercices physiques et il est considéré comme l’une des lames les plus redoutables du royaume.

Il se révèle en outre un fort habile cavalier.

Bref ! N’était-ce son indifférence aux choses de l’amour qui surprend ses amis, car on ne lui connaît aucune de ces aventures galantes ou de ces frasques inhérentes à la jeunesse dorée et libertine du temps, il est en toutes choses un jeune homme accompli. 

 

L’année 1755 va être déterminante.

Charles Geneviève a 27 ans.

La France, par la volonté de François-Joachim de Pierre, cardinal de Bernis (1715-1794), décide de renouer des relations diplomatiques avec la Russie.

Situation délicate : les deux pays sont en très mauvais termes.

Préposé par Louis XV aux affaires secrètes, le prince Louis-François de Bourbon-Conti (1717-1776), qui a remarqué la beauté et les traits fins du jeune homme, autant que sa discrétion et ses talents de négociateur, lui demande de se travestir et lui remet des faux papiers au nom de Mademoiselle Lia de Beaumont.

Le déguisement et le maquillage font le reste, et c’est une troublante jeune fille qui prend le chemin de Saint-Pétersbourg.

La chevalière de Beaumont œuvre tant et si bien qu’elle s’attire les bonnes grâces de la tzarine Elisabeth Ière (1709-1762), au point qu’elle devient l’une de ses familières et sa lectrice favorite.

Le tour de force fait murmurer le Tout-Paris de l’époque. La position de lectrice impliquait une très grande intimité avec la tzarine.

Comment cette dernière a-t-elle pu se méprendre ? Et si le chevalier était réellement une chevalière ? ou un hermaphrodite ? 

On observe mieux Charles Geneviève : Elle ou il est imberbe, on lui découvre sous ses habits des formes avantageuses.

Dans ses « Mémoires », Giacomo Girolamo Casanova (1725-1798) lui-même, pourtant grand amateur de femmes, est péremptoire : « Malgré son esprit ministériel et ses manières d’homme, je ne fus pas un quart d’heure à le reconnaître pour femme, car sa voix était trop franche pour une voix de castrat, et ses formes trop arrondies pour être d’un homme ». 

Le spirituel père de « Figaro », l’inventeur, l’intrigant, l’affairiste Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799) lui-même, notera que la chevalière « fume, boit et jure comme un estafier allemand ».

Mais, écrivant à Charles Gravier, comte de Vergennes (1719-1787), ministre de Louis XVI :

« tout le monde, affirmera-t-il un peu plus tard, dit que cette fille est folle de moi… »

En fait, c’est lui qui s’est épris de Charles Geneviève !

Il n’empêche, la « fille » s’est fort bien acquittée de sa mission diplomatique : au cours d’entrevues clandestines, « elle » entraîne la Russie dans l’alliance avec la France et l’Autriche contre la Prusse.

Vêtu tantôt en homme, tantôt en femme, le chevalier d’Eon n’a pas fini d’intriguer les esprits.

Non seulement il mène à bien de difficiles missions diplomatiques dans divers pays d’Europe pour le compte de Louis XV, mais devenu capitaine des dragons, il se signale par sa bravoure au combat, ce qui lui vaut la croix de Saint-Louis.

Un moment, les rumeurs cessent.

Une femme pourrait-elle commander à des soudards ? (on a oublié Jeanne d’Arc !). 

En poste à Londres comme secrétaire d’Ambassade (1762), d’Eon brouille encore une fois les pistes.

Sans que le nécessite la politique ou la diplomatie, il apparaît tantôt en homme, tantôt en femme, et il ne s’en justifie pas devant son entourage.

Mieux : il va jusqu’à parler au féminin !

Etonnés, les Londoniens en viennent à parier, comme à la loterie, sur le sexe du chevalier.

Ils miseront, quatre lustres durant, des sommes énormes…

Ainsi, pour la seule année 1771, le montant total des mises atteint presque 300.000 livres sterling !

Bien qu’il s’en déclare fort chagrin, Charles Geneviève ne fait rien pour détromper qui que ce soit.

Louis XVI décide que c’est une femme.

Exaspéré, maintenant que son agent secret ne lui est plus de rien, le roi de France lui-même veut éclaircir cet irritant mystère.

Il envoie sur place Beaumarchais, à qui Charles Geneviève signe un acte où il proclame enfin, sur la foi d’un collège de médecins, la nature de son sexe : féminin. Nous sommes en 1774.

Le roi, alors, contraint l’ancien chevalier à ne plus se travestir en homme, et l’assigne à résidence chez les siens, à Tonnerre.

Nonobstant, après la mort de Louis XV, en 1777, d’Eon se rend à Versailles et se présente à la Cour dans son uniforme de capitaine des dragons.

Chapitré par ses ministres Vergennes et Maurepas, Louis XVI se montre inflexible : femme le chevalier-chevalière est, femme le chevalier-chevalière restera.

Son destin est scellé : elle sera Mademoiselle d’Eon à jamais, quoi qu’il lui en coûte.

Son sexe, en effet, l’écarte de l’armée, des affaires, de la diplomatie : toutes choses dont la privation bien vite lui pèse. Nous sommes en 1785. 

Le cœur lourd, Charles Geneviève gagne Londres.

Peu à peu, d’Eon se fera à sa condition féminine.

On ne le verra plus endosser l’habit masculin.

Trente années durant, elle mènera la vie d’une lady vieillissante et respectable.

Surviennent la Révolution et l’exécution du roi.

La chevalière, ruinée, ne change rien à ses habitudes : elle est résignée.

Elle s’éteint à Londres le 21 mai 1810, dans sa quatre-vingt-troisième année.

Entouré de quinze témoins, un chirurgien examine le corps.

C’est celui d’un homme bien conformé.

Surpris dans le lit de la reine d’Angleterre.

Loin d’éclaircir le mystère, cette autopsie fait problème.

Pourquoi un homme actif, dynamique, ambitieux, comme l’était Charles, Geneviève, Louise, Auguste, Andrée, Thimothée de Beaumont, chevalier d’Eon, a-t-il voulu, puis accepté de passer près de quarante ans de sa vie dans un rôle de femme ?

Comment se fait-il que des médecins, en 1774, aient authentifié les dires du chevalier ? se sont-ils pliés à quelque impérieux devoir ?

Est-ce par raison d’Etat que Louis XV, puis Louis XVI ont refusé absolument que le chevalier retourne à une vie normale ?

Pourquoi, enfin, après la mort des deux monarques, d’Eon n’a-t-il pas jugé bon de rétablir la vérité sur son sexe ? autant de questions qui attendent une réponse. 

Devant le mutisme des historiens, force est bien de relever, dans les archives de l’Ancien Régime, la note suivante : si le chevalier n’obtint de rentrer en France qu’à la condition de porter des vêtements féminins, c’est afin d’ « assurer la tranquillité d’une auguste personne ».

Se rendant à Saint-Pétersbourg en costume féminin, le chevalier rencontra en effet sur sa route Sophie Charlotte de Mecklembourg-Strelitz (1744-1818).

Cette dernière lui inspira une très vive affection.

Fut-il payé en retour ?

Tout ce qu’on peut dire, c’est que devenue l’épouse du roi d’Angleterre George III (1738-1820), la jeune femme ne cessa pas pour autant d’être sensible aux assiduités de son ami.

Le roi surprit même le chevalier dans la chambre de la reine, auprès du lit où dormait le prince de Galles !

Afin de dissiper les soupçons du souverain sur la légitimité de l’héritier, on lui assura que d’Eon était bien une femme. 

Les chancelleries auraient donc sacrifié le chevalier d’Eon à la raison d’Etat.

Avec l’assentiment partiel de celui-ci ? 

On peut l’admettre.

d’après René L. Louis, (1943).

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