MON DÉSORIENT par DANIÈLE MAOUDJ.

MON DÉSORIENT par DANIÈLE MAOUDJ. 

"Epuiser la violence dans l'écriture." Paul Mathis

A l'heure où j'écris ces lignes, je ressasse de moins en moins l e s hasards de la fureur de l'Histoire. Plus tranquille avec m o i - m ê m e sans avoir toutefois perdu ma capacité de m'insurger, je comprends mieux les clameurs simplificatrices des autres." Ainsi débute ce témoignage de Danièle Maoudj, issue d'un métissage franco-algérien et qui vit en Corse où elle anime le festival de cinéma méditerranéen de Bastia.

Sur les sentiers de ma révolte, mon ami de toujours, Charles Santoni qui porte le nom de ma mère, a su, avec le raffinement de sentiments qui caractérise ces hommes corses élevés dans le secret du granit, me faire découvrir la diversité des vérités en m'initiant à la tolérance. Pas cette tolérance où l'on regarde de haut le reste du monde avec indulgence. Pas cette tolérance qui fait que se croyant supérieur on supporte l'autre. Non rien de tout cela; il m'a appris la tolérance qui considère que tout être humain a sa part de lumière. Sans doute aussi, ai-je la chance d'avoir une soif inassouvie d'inventer les rencontres: et le destin m'a fait connaître des femmes et des hommes qui m'ont fait confiance.

Depuis, j'ai la tentation continue d'entremêler les voyelles et les consonnes dans le tête-à-tête silencieux de mes nuits où chaque page écrite est une bataille gagnée contre la mort lente. Pourtant j'avais promulgué le décret de fréquenter le versant de la mort en m'interdisant l'entrée dans le cérémonial de la langue de Descartes. J'avais décidé de mon incapacité à assembler les mots, ces mots que mes parents n'avaient pas choisis. Comment pouvais-je écrire avec les mots de ceux qui n'acceptaient pas les miens? Or, j'étais une expulsée du langage. Il est vrai qu'à moi seule, je résume l'essentiel des minorités: Corse par ma mère, Kabyle et protestante par mon père et la fortune d'être femme. De quoi dynamiter la centrale de la République.

Dans le Paris des Trente Glorieuses, l'institutrice de la communale ne comprenant pas ma silhouette malingre soutenue par un visage de déjà vieille, éclairé par un regard fulminant, me taxait d'enfant mixte.

 

Seul mon regard était capable d'exprimer les pleins et les déliés que ma main droite refusait de représenter. Je perturbais l'espace rythmé par le temps abrégé de l'assimilation. Ma peau faisait de l'ombre dans la salle de classe où seules brillaient les lampes électriques. Et lorsque j'entendais ce qualificatif — enfant mixte — c'était comme le tocsin annonçant ma perdition.

L'attitude de cette institutrice me confortait dans le sentiment injuste que je portais à mon père. Je le rendais responsable des rafales de haine que je recevais. Je ressentais son origine comme une "tare" et le rendais coupable de mon désorient. J'ai vécu cette origine, dans les larmes et la désespérance dans un Paris rancunier qui n'hésitait pas à me rappeler à l'ordre et à me remettre à ma place de "bicote".

C'était sans doute les intérêts que je devais payer pour bénéficier de l'entrée dans le parler des Droits de l'Homme. La France conquérante croyait pouvoir continuer de "s'attacher" son Algérie insoumise. La France des propriétaires illégitimes a fait rougir le safran de cette terre qui demandait seulement l'éclosion des bourgeons de liberté, d'égalité et de fraternité. C'était le temps de la pacification, mais la France n'a pas soutenu ceux qui avaient su imaginer des passerelles.

En Algérie, se répétait la barbarie.
Dans la ville de la Commune, je vivais la solitude de ma guerre civile.
Plus tard, je devais comprendre l'incertitude à m'exprimer dans la langue une et

indivisible: je devais apprendre à me défaire des primes d'insultes qui devaient s'imprimer dans la nuit de ma chair. Je devais aussi comprendre que j'étais la révélatrice du mal-être des gens dont le regard ne va nulle part. Enfant issue de couple mixte selon les sociologues, comme si les autres couples faisaient des enfants avec leur propre image. Moi, je préfère dire enfant de l'amour nomade incarnant les contradictions d'un monde toujours effrayé par le mouvement.

Un monde qui ne trouve à sa panne de rêve qu'un simple cadenas pour clore son imagination. Fille de l'amour nomade, sans doute plus ouverte au cosmopolitisme, revendiquant une identité corse avec des musiques intérieures kabyles algériennes, une citoyenneté française et une conscience méditerranéenne, je me sens. Mais peut-être étais-je trop nombreuse à moi toute seule pour vivre dans une certaine France qui demande à toutes ses composantes de renoncer à la cohorte du "je" qu'habitent des individus de ma sorte?

Ces blessures de l'absurde ont pourtant réussi à balafrer mon âme et m'ont enfermée dans l'amer du passé. A mon tour de reproduire le modèle des démoniaques, de ceux qui m'avaient appris la lisière de la société et voulaient m'assigner dans les bataillons de l'excommunication.

A mon tour donc de refuser. De refuser la France. J'étais en mal de pays. C'est ainsi que je me réfugiai dans le pays de ma mère: celui de ma Corse mythique. Mais cela ne m'empêchait pas de fréquenter les allées du désespoir où je faisais la rencontre de la rage. Rage qui a bien failli m'anéantir si je n'avais pas su tuer mon ressentiment vis-à-vis de ces chefs d'orchestre qui ont la malchance d'avoir pour seule partition l'intérêt.

J'ai eu le privilège de savoir mourir pour retrouver la trace inoubliable de mes Histoires. J'ai connu l'initiation d'une renaissance de tous les chants d'amour que m'autorise le désir. J'ai la chance d'avoir des amis qui savent m'écouter, j'ai eu la chance de les entendre, j'ai eu la chance d'avoir des amours qui me donnent les forces créatrices m'apprenant la dépossession de mon moi pour me ramener à l'Autre. C'est ainsi que je fais des pages d'écriture pour me réconcilier avec celles que l'institutrice m'imposait parce que ma conduite déparait dans l'univers de la communale qu'elle imaginait lisse.

Cette pauvre institutrice ne soupçonnait pas les ravages qu'elle renforçait chez la petite fille que j'étais: on ne lui avait pas appris son histoire. J'avais le tort d'hériter de deux histoires bâillonnées. Elle l'ignorait; mais a-t-on idée d'additionner autant de handicaps!

J'étais confinée dans une solitude de turbulences. C'est vrai que j'étais bien maladroite en serrant entre mes doigts frêles ce porte-plume qui ne savait pas occuper la ligne droite. Un porte-plume trop lourd à porter pour une main aux lignes entremêlées d'un amour interdit. Et puis cette plume que l'on nommait sergent major devait me faire songer à ce grade de l'armée française que mon oncle paternel arborait sans fanfare. Ce grade mi-figue mi-raisin devait sans doute me terroriser et je devais sentir aux crissements de cette plume l'ordre insidieux de me situer dans le cadre de la page blanche.

Mais je me souviens: je savais donner de la couleur à la pâleur de ces feuilles à carreaux. J'étais la reine des pâtés. Je les tachais brillamment de cette encre violette ces pages blanches avec ma menotte brune. Ma façon à moi d'imprimer mes traces. Ainsi me semblait-il me lier aux magnifiques dessins qui prenaient des formes vagabondes. Ils s'inscrivaient dans cet espace que je libérais et prenaient l'allure de fantômes que je pouvais raviver en y frottant le doute de ma main.

A présent, j'ai choisi le mélange d'une encre bleu-nuit. Ce bleu-nuit, brassage de paix et d'inquiétude, me rappelle cette mer inattendue qu'est la Méditerranée de laquelle aujourd'hui je borde mes nuits où le frémissement de mes craintes, crée de nouvelles berceuses. En effet, depuis plus d'une vingtaine d'années, je vis dans la forteresse des sentiments de ma mère. J'ai fui un Paris, croyant réparer une histoire meurtrie. J'ai fui un Paris qui ne supportait pas le transport d'alluvions conjuguées. J'ai fui de Paris où la Seine ne pouvait plus fredonner le "temps des cerises"; fleuve maudit d'avoir charrié les noyés, ceux que l'on n'a jamais voulu nommer, mon père et les siens: les Algériens.

En rentrant en Corse, j'ai cru surplomber en plus de la mémoire, la mémoire du futur, qui seule permet de retrouver les nuits claires de la lune. En retrouvant l'eau bleue qui ourle les récifs colorés de mauve, j'ai cru retrouver l'intelligence intuitive d'une mère qui a osé par amour, abolir les démarcations. Une mère qui a eu l'audace du plaisir. J'ai cru que ma Corse était à l'image de cette montagne où la lumière cruelle fixe et aveugle les êtres défaillants. J'ai cru que ma Corse rejoignait cette nature indomptable pour s'engloutir dans le vide des brumes et rejoindre l'incertitude des confins.

Mais c'était oublier qu'il n'existe pas de peuple élu.

Et chaque jour qui coulait, me faisait réaliser ma Corse. Une Corse qui, elle non plus, ne supportait pas l'étrange. Mon nom est absent des monuments aux morts! Pour être admise dans la communauté de destin, il aurait fallu que j'abandonne le nom de mon père, qui, en 1943, avec les troupes d'Afrique du Nord, a permis à l'île d'être le premier département libéré de la pureté mortifère? Ou bien estropier le nom de celui qui m'a redonné un lieu, le pays de sa femme: ma mère. L'estropier en supprimant la troisième voyelle afin de le corsiser comme cela m'a été dit lorsque je l'ai vu imprimé dans une revue de littérature corse ?

Pourtant, j'arrivais dans une Corse qui refusait d'être tenue à l'écart des grands mouvements de la modernité. J'arrivais dans une Corse redevenue actrice.

Gare à la foi!

J'ai sans doute eu le tort de croire que des hommes et des femmes, pour la plupart devenus mes amis, qui souhaitaient une Corse de l'être, devaient l'emporter sur ceux qui étaient incultes et sans gouvernail et n'ont trouvé comme unique amour que le clinquant poussiéreux d'une monnaie qui n'est même plus fiduciaire.

J'ai sans doute eu aussi la naïveté de croire qu'en rentrant au pays de ma mère, j'étais guérie de la maladie du lien. Comme si un pays, un parti, une religion, pouvaient soigner un deuil irréparable: le deuil de l'enfance. Cette enfance qui a habité mes parents comme un pays. Les anges noirs m'ont aidée à grandir, ils m'ont délivrée de l'identité. Et puis, c'était être tout simplement profane que de vouloir ignorer que depuis la conquête française de 1768, la Corse avait perdu son ancrage dans la mer nourricière. Elle nageait autour de l'hexagone et était devenue l'orpheline de la Méditerranée. Contraints à l'exil, la plupart de ses fils se détournaient d'eux- mêmes, et étaient devenus les janissaires de l'empire colonial français.

"Sur les deux millions de blancs qui vivent en Algérie, un quart peut-être est d'origine insulaire", peut-on lire sous la plume de Paul Silvani. Notre chroniqueur ignorait sans doute le rapport remis au ministère de la Police en 1819 par M. Constant qui parlait ainsi des Corses: "L'Etranger se demande s'il est en France ou en Afrique, et si les lois faites par la nation la plus civilisée, conviennent toutes aux mœurs agressives d'un peuple que l'on prendrait dans ses montagnes pour les Arabes du désert..."

A chacun son "bougnoule" selon les latitudes...

Devenus contremaîtres, nombre de Corses étaient atteints du mal blanc... et pendant la guerre que la France menait en Algérie, beaucoup excellèrent dans la défense de l'Algérie française. L'OAS était la rencontre où se cristallisèrent les sentiments de revanche que voulaient prendre nombre de Corses, ceux qui se persuadaient d'être "devenus des Français par adhésion libre". Pour certains d'entre eux, ils passèrent allègrement de l'Algérie française à la Corse corse. On en retrouvait ainsi dans la lutte de libération nationale corse. C'était leur entrée dans un nationalisme de ressentiment, comme s'ils n'avaient pas supporté d'être "trahis par la France".

Pourtant les Corses avaient beaucoup donné à la France. Des jeunes de 17 ans étaient partis en 14-18 la défendre. Beaucoup, beaucoup trop ne sont pas revenus. Tous égaux devant la mort, Corses, Algériens, Marocains, Sénégalais, étaient en première ligne.

Depuis, l'île manque de rêve.

En juillet 1962, la paix est proclamée en Algérie. Dix-huit mille rapatriés d'Afrique du Nord viennent s'installer en Corse dont beaucoup d'insulaires, ne croyaient plus à la France: abandonnés pendant deux siècles, ils voyaient la République supprimer leur exutoire. La géographie de l'Algérie et celle de la Corse sont parentes. La chaleur de l'été a la même manière d'incendier les tempéraments fougueux des deux terres. Les nuages inscrivent la même langueur dans un azur qui tranquillise sur le sens de la vie. La lune a la même tendresse laiteuse des deux côtés.

Nous aurions pu inventer le royaume de tous les possibles car les odeurs n'en finissent pas de s'étirer. Les odeurs ici et là-bas se boivent comme le vin clair. Ce vin clair aux couleurs d'or qui autorise le voyage du doute, mais l'intérêt sait limiter l'amour. Ceux qui auraient dû promouvoir une identité ouverte, se sont crus les propriétaires de l'identité corse, célébrée religieusement, et ont assassiné la noblesse de l'insurrection. Héritiers d'une succession encombrante, nombre de responsables nationalistes venaient de l'extrême droite, ou bien étaient souvent les fils naturels ou spirituels de ceux qui avaient combattu l'Algérie indépendante. Ils ont été incapables de réfléchir, d'achever un deuil coupable.

Et c'est ainsi qu'ont été désavoués les initiateurs du projet du FLNC.

Ceux qui, fascinés par la victoire historique du peuple algérien, rêvant une Corse majeure, ont été sans doute dépassés lors de l'exécution des deux Tunisiens en janvier 1986 par les "porteurs de valeurs". Revendiquer l'assassinat de deux Maghrébins, c'était sortir le nationalisme français de la clandestinité corse. La sentence était tombée; le FLNC accusait ces deux ouvriers immigrés de trafic de drogue. En réalité, les immigrés ne faisaient qu'incarner la nostalgie d'un paradis perdu. Le FLNC a voulu une fois encore "épater" Paris. Sans doute, séduit par Le Pen, voulait il le prendre de court car quelque temps plus tard la Corse entière était placardée d'affiches: "Pour défendre l'identité corse, non à l'immigration".

Le Pen paraissait ici débuter dans son entreprise de poursuite de sa guerre avec l'Algérie. C'était une guerre à domicile. Mais cela faisait longtemps que les germes du racisme étaient dans la pensée nationaliste. On pouvait les trouver dans la revue Arritti dès ses débuts en 1967, revue de l'Action régionaliste corse (ARC), revue fondée par ceux qui inscrivaient leur doléance dans le champ de la démagogie. Et c'est ainsi que les défenseurs de "l'ethnie corse" développaient l'intolérance: "La Corse est désormais un pays étranger... les chiffres sont là dans leur brutalité: 25 000 étrangers non naturalisés, 4 000 Arabes dont on tait sciemment les indélicatesses".

On était loin des idées que préconisait le Front régionaliste Corse (FRC) qui voulait construire "un front commun de tous les travailleurs quelle que soit leur origine, pour aider le peuple corse à devenir enfin maître de son destin". Refusant la nation du sang pour continuer le chemin d'un peuple qui a toujours été en perpétuel débordement, le FRC appliquait sans théorie la notion de jus solis.

En assassinantdeux Tunisiens venus gagner leur vie chez nous, le FLNC révélait en fait ce que je pressentais et refusais d'accepter, la conception de la pureté du peuple corse. Le FLNC achevait sa crédibilité. C'était l'annonce d'un arrêt de mort envers son peuple.

Et moi, au lieu de garder le silence, j'étais prise dans le piège de l'amour de mes deux pays. Je clamais haut et fort mon indignation au sein du collectif antiraciste Ava basta où des hommes et des femmes étaient l'honneur de la Corse. Cela me valut des lettres de menaces. Bien entendu, des lettres courageusement anonymes dont le vocabulaire rappelait la sinistre période de l'OAS. Pour ces survivants, il y avait confusion de territoire: "Fatma, tu menaces l'identité du peuple corse, la valise ou le cercueil", m'écrivaient-ils. D'autres textes que je tairai par respect pour ma mère qui m'a appris la liberté, pour mon père qui m'a appris à ne jamais baisser les yeux, me reniaient.

A nouveau, je vivais l'incertitude de ce que j'étais. Je vivais l'affrontement de mes entrelacements. Je ne pouvais accepter que les miens perdent la boussole et s'égarent dans la conspiration des marchands, alors que le peuple corse avait de justes revendications.

Parallèlement, pendant toutes ces années, je retrouvais aussi l'Algérie. Ces allers- retours sans cesse inassouvis au pays de ma mémoire m'ont permis d'assembler les éclats de mes ancêtres confisqués. Mais retourner dans le pays de mon père était toujours un inaccessible passage. Même ceux qui m'aimaient me traitaient de Française, reproche suprême pour la femme qui voulait la reconnaissance de la tribu paternelle.

Plus tard, je compris leur amertume, celle d'avoir été floués, par d'anciens

caporaux de l'armée française qui avaient pris les commandes du pays en faisant peser "un interdit de penser sur leurs intellectuels" et en faisant disparaître de la scène publique les femmes qui, hier utiles à la libération du pays, sont aujourd'hui condamnées à vivre dans les cachots silencieux de l'apprentissage à mourir. Sortir dans les rues d'Alger était toujours une épreuve. Cette marée d'hommes me semblait un gouffre dans lequel je tombais. J'assistais à la naissance des monstres, ceux qui, plus tard ont été enrôlés dans les troupes d'un islam de la mutilation. Des yeux exorbités fracassaient la fragilité de mon corps. Leurs yeux semblaient percer mon intimité. Et, il arrivait que de cette marée haute, jaillisse un bien jeune homme, les traits usés par l'absence de vie, m'aspergeant au passage de crachats.

J'étais la femme proche et lointaine, la femme idéale pour ces hommes vivant la mort ensoleillée, la femme d'ici et d'ailleurs, ce qui les autorisait à déverser leur réserve animale. Privés d'espace où ils auraient sans doute pu apprendre la réconciliation avec eux-mêmes, victimes des nouveaux maîtres réducteurs de l'indépendance, ils erraient dans les rues qui leur laissaient quelque cible de liberté !... Impossible de vivre dans le pays de mon père. Mais j'ai su renouer les fils d'une affection que l'on m'avait volée dans les chemins poussiéreux d'une histoire pulvérisée.

Aujourd'hui, je vis toujours en Corse, je continue de sculpter les mots de la langue française comme des corps que je me suis si longtemps interdits de caresser parce que j'assimilais les individus au pouvoir de l'Etat.

Ecrire m'a appris à arpenter le champ de ma naissance.
Ecrire pour mieux aimer et être aimée.
Aimer sans connaître le passeport.
Ecrire pour tenter d'avoir le pardon de ceux qui s'imaginent déposer leur fardeau en

écorchant ma sensibilité. J'écris l'oralité que j'ai reçue en héritage. J'ai retrouvé l'intuition du secret que ma mère m'a appris. Depuis, je déserte mes nuits d'insomnie pour dormir dans mon pays, celui de l'amour. Merci à mes larmes de m'avoir récompensée d'être libre et insolente envers les mots qui sont devenus miens.

A Bastia, le 19 juin 1996

Danièle Maoudj.

 

Charles Santoni est co-fondateur du Front régionaliste corse (FRC) en 1966.

Source : iremmo.org

Photo de Rita Scaglia

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