LA COUR D'APPEL D'AJACCIO À L'HEURE DU CHOIX EN 1814.
LA COUR D'APPEL D'AJACCIO À L'HEURE DU CHOIX EN 1814.
L'année 1813 avait vu s'élever contre la France, la plus formidable des coalitions.
Napoléon organisa une résistance énergique, et chacun apporta son concours à cette œuvre nationale.
Dans beaucoup de départements les agents du Pouvoir Central durent faire pression sur les communes, les administrations et les corps constitués pour obtenir des subsides.
La cour d'Appel d'Ajaccio, spontanément, voulut participer à la défense de la métropole, et vota, à l'unanimité, une somme égale au vingtième du traitement d'une année de tous ses magistrats.
L'adresse, accompagnant l'envoi de cette souscription, marque si bien un pur esprit Français qu'elle mérite d'être citée en entier.
A sa Majesté l'Empereur des Français etc.
La Cour Impériale d'Ajaccio partage vivement les sentiments qui éclatent dans toutes les contrés de l'Empire Français. Si des causes extraordinaires ont pu ralentir les succès de vos armées, votre génie est un sûr garant des plus heureux résultats, et les ennemis de votre gloire verront que votre puissance est principalement fondée sur l'amour unanime de vos peuples.
Daignez permettre, Sire, que nous apportions, au pied du trône un gage de cet esprit patriotique qui anime tous les Français. Le tribut que nous osons offrir est faible, mais notre dévouement à la personne sacrée de Votre Majesté est sans borne.
Nous sommes etc.
Ce don volontaire fut transmis au gouvernement, qui l'employa à. la défense de la grande patrie.
1813-1814 sonnèrent le glas de l'Empire.
Écrasé par la coalition de ses ennemis, abandonné par ses alliés, l'Empereur abdiqua, fut exilé à l'île d'Elbe, le gouvernement des Bourbons se substitua à celui de Napoléon, avec l'assentiment de l'étranger, et essaya de traiter pour sauver la France.
C'est à ce moment que se place la plus belle page de l'histoire de la Cour d'Appel de la Corse.
Il existait alors à Bastia un parti, qu'on nommait communément le parti Anglais, parce qu'il avait, avec le Général Pascal Paoli, en 1794, provoqué .une invasion Anglaise, dans l'espérance d'établir dans l’ile sous l'égide Britannique, l'autonomie et la liberté, en la séparant de la France, alors livrée à l'anarchie et aux pires folies révolutionnaires.
Ce parti, déçu en 1796, adversaire déclaré de Napoléon, était devenu, en 1814, nettement royaliste et souhaitait que la Corse fît partie du royaume concédé aux Bourbons par les Alliés.
Il se trouvait sous la direction de MM. Frediano de Vidau, Gentili et Massoni : le poète Salvator Viale en était le secrétaire.
A ce moment, une agitation extrême régnait partout, la Corse avait beaucoup souffert au cours des dernières années du régime impérial : des troubles profonds se produisaient sens ceste on était sans nouvelle de ce qui se passait sur le continent et l'Ile entière, désirait être laissée au roi Louis XVIII, pour éviter l'annexion à des Etats coalisés ou l'anarchie intérieure.
Le 11 avril 1814 de graves désordres se produisirent à Bastia, à la suite d'une contribution extraordinaire imposée par le Gouverneur César Berthier, et se propagèrent dans les environs.
Le parti royaliste sous la présidence de Frediano de Vidau, pensant que les Anglais, qui avaient imposé le retour de la France continentale aux Bourbons, pourraient mieux que tous les autres rattacher aussi la Corse à leur gouvernement, les appela, recommençant ainsi l'erreur de Pascal Paoli en 1794, alors qu'instruit par l'expérience, il aurait dû savoir que les Britanniques, appelés en libérateurs, s'installent en maîtres et en tyrans.
Une frégate Anglaise se présenta devant Bastia le 23 Avril 1814, avec une petite armée, dirigée par le Général Montrésor : en même temps, un courrier annonçait la chute de l'Empire.
Le Général Gouverneur comte Berthier remit la Corse aux Anglais, jusqu'à ce qu'il soit statué sur le sort de l'Ile, et partout surgirent des manifestations en l'honneur du roi de France.
Le Général Montrésor débarqua à Bastia, prit possession du pays, au nom de sa Majesté Britannique, et se rendit par mer à Ajaccio.
La Corse entière envoya des adresses enthousiastes à Louis XVIII et se crut délivrée de toutes les misères que l'Empire lui avait infligées : elle s'imagina que les Anglais n'avaient assumé qu'un mandat ; l'occuper et la conserver pour le roi de France.
Montrésor se chargea de la détromper, et, le 6 mai, à peine installé, il prit l'arrêté suivant :
Le Major-Général Montrésor, gouverneur de l'Ile de Corse Considérant que la dissolution de toutes les autorités judiciaires et administratives, dans les circonstances actuelles, pourrait produire de grands désordres, a arrêté ce qui suit :
Art. 1. - Tous les corps municipaux, justices de paix, tribunaux civils et Cour d'Appel sont provisoirement maintenus.
Art. 2. - La justice et tous les autres actes, qui émanent des autorités susdites, seront rendus au nom de sa Majesté Georges III, roi de la Grande Bretagne.
Art. 3. - Les corps susvisés devront, par l'intermédiaire de leurs chefs, correspondre directement avec S. E. le Gouverneur.
Art. 4. - Toutes les lois et les règlements, actuellement en vigueur, seront, jusqu'à nouvel ordre, provisoirement exécutés. Le Premier- Président de la Cour d'Appel sera tenu de faire connaître le présent arrêté à toutes les autorités énoncées ci-dessus.
Fait à Ajaccio le 6 mai mil huit cent quatorze.
Signé : MONTRESOR, Général.
Cette décision du Gouverneur Anglais fut signifiée, le même jour, au Premier-Président de Castelli, chargé de son exécution. Au lieu de s'y soumettre, ce haut magistrat convoqua immédiatement la Cour, qui prit, à son instigation, une délibération restée célèbre, ainsi libellée.
La Cour d'appel d'Ajaccio s'étant réunie à la suite de la convocation qui en a été faite par M. le Premier-Président ; après avoir entendu lecture de l'arrêté de M. le Général Montrésor, Gouverneur civil et commandant en chef des troupes de Sa Majesté Britannique, en l'Ile de Corse, en date d'hier.
Considérant que la Corse est un département Français ; que rien jusqu'à ce jour, n'établit qu'elle ait cessé de faire partie intégrante de la France et qu’elle n'a été remise qu'à titre de dépôt par M. le Général comte Berthier, commandant en chef, à M. le Général Montrésor .
La Cour, délibérant à l'unanimité.
Arrête qu'elle ne saurait, sans trahir son honneur et ses devoirs las plus sacrés, rendre la justice qu`au nom de Louis XVIII, roi des Français (sic).
Fait en la chambre du Conseil à Ajaccio, le 7 mai 1814 ;
présents MM. de Castelli Premier Président. Forcioli, Muselli, Giacobbi, D'Eslon, Durazzo, Leclerc, Bertora, Olivettti, Stephanopoli, Conseillers. Peraldi Conseiller Auditeur . Colonna d'Istria, Procureur Général et Cunéo d'Ornano Substitut. Etaient absents : MM. de Suzzoni, Président de Chambre, Multedo, Farinole, Serval, Conseillers, Casabianca, Conseiller Auditeur, et Rigo, Avocat Général.
Cette courageuse délibération fut accompagnée, le même jour, d'une adresse au roi de France, par laquelle la Cour d'Appel adhérait au gouvernement des Bourbons, parce que c'était celui de la France, dont elle entendait !toujours faire partie, surtout en présence de l'étranger.
Cette adresse est courte.
Par elle, vis-à-vis de la métropole envahie, démembrée et qui semblait avoir oublié la Corse, la Cour d'Appel d'Ajaccio proclame et affirme que, dans l'adversité de la mère-patrie, elle est et restera toujours Française.
Considérant, dit-elle, que les communications officielles et ordinaires entre le département de la Corse et le continent Français sont interrompues depuis de longs mois, et que la Cour n'a eu, jusqu'à présent connaissance des actes du Sénat des 3 et 6 avril derniers (1814) que par la voie des journaux et par la notoriété publique.
La Cour, empressée néanmoins à manifester ses sentiments sur les évènements qui rétablissent sur le trône le chef de la maison de Bourbon.
Déclare qu’elle adhère unanimement aux actes du Sénat des 3 et 6 avril 1814, ordonne que copie du présent sera adressée au Président du gouvernement provisoire, et au Commissaire du département de la Justice.
Source : ca-bastia.justice.fr
Ref : Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse..
Photo : John Montresor (1736-1799) par — From the Detroit Institute of Arts