Des migrants italiens du Piémont franchissent les Alpes pour venir en France en 1946. crédit : Musée de l'histoire et de l'immigration

Des migrants italiens du Piémont franchissent les Alpes pour venir en France en 1946. crédit : Musée de l'histoire et de l'immigration

L'IMMIGRATION ITALIENNE EN CORSE. (1789-1945).

- La situation migratoire jusqu’aux débuts des années 1850.

Les très nombreuses péripéties politiques et militaires des années 1793-1814 entraînèrent la Corse dans un véritable tourbillon de souverainetés.

En effet, l’instauration de la seconde indépendance (1793-1794) déboucha sur la création du royaume Anglo-corse (1794-1796) avant que les Français ne fassent leur réapparition (1796-1814); pour autant, cette dernière domination fut entrecoupée d’une tentative russe (1799-1801), de plusieurs soulèvements populaires et d’un fugace retour de la présence britannique (avril-juin1814).

En 1815, la chute définitive du Premier empire déboucha sur l’intégration politique qui se voulait désormais irréversible, de la Corse à la France, faute notamment de projets concurrents ; seule, un temps, la tentation de certains Corses de s’inscrire dans le cadre du Risorgimento devait apporter un semblant de perturbation à ce schéma intégrateur, subi dans un premier temps, accepté et recherché par la suite.

Ces années tumultueuses furent propices à des mouvements migratoires très courts et d’origine politique ; entre 1790 et 1793, des patriotes italiens favorables aux idées nouvelles furent accueillis dans l’île à l’image de Filippo Buonarotti, par ailleurs rédacteur du Giornale Patriotico di Corsica ; entre 1794 et 1796, des royalistes français purent compter sur la bienveillance des autorités du royaume anglo-corse ; après 1796, au contraire, ce furent des révolutionnaires sardes, tel Gio Maria Angioy, qui trouvèrent un asile sûr dans l’île.

Entre 1801 et 1804, sous le Consulat et l’Empire, la quasi-totalité des 700 Maltais, partisans des Français et réfugiés à Marseille et à Toulon, furent envoyés en Corse afin d’y servir comme colons agricoles.

Mais, installés en ville, principalement à Ajaccio, Bastia, Bonifacio et Porto Vecchio, ils vécurent dans des conditions difficiles, ne trouvant guère à s’employer et devant vivre du maigre pécule que leur versait le gouvernement français.

Une partie d’entre eux, néanmoins, tenta de développer la culture du coton en Corse ; sans grand succès semble-t-il.

Un certain nombre fit souche dans l’île sans que l’on puisse en dire plus.

Cette immigration, à l’exception de celle des Maltais, avait été quasi uniquement individuelle, et ce quelle qu’aient été les périodes et les options politiques de ces réfugiés, si bien que, par la suite, aucun d’entre eux ne devait demeurer en Corse.

Enfin, convient-il de rappeler que l’île fut également terre de relégation, en particulier sous le IerEmpire, pour des prêtres romains, des forçats napolitains ou des patriotes de Saint-Domingue et de la Guadeloupe (Antilles); ces derniers furent notamment employés à la construction du lazaret d’Ajaccio entre 1804 et 1806.

Aucun ne semble être resté en Corse après la chute de l’Empire ; il en fut visiblement de même pour les soldats croates stationnés à Bastia jusqu’en 1814.

Passé les turbulences des guerres révolutionnaires et impériales, la Corse n’en continua pas moins à s’insérer dans les flux migratoires antérieurs qui, bien que contrariés par les vicissitudes de l’Histoire, restaient très largement liés à l’espace italien.

Si les territoires les plus proches – Toscane et Sardaigne – fournissaient toujours leurs contingents de migrants saisonniers à l’occasion des grandes activités agricoles, notamment dans le Sartenais, ils participaient également à une immigration définitive avec la présence d’artisans installés en ville comme à la campagne ; dans ce dernier cas leurs activités s’exerçaient essentiellement dans le domaine du bâtiment.

À ceux-là s’ajoutaient des bergers sardes, mais également des charbonniers et bûcherons ; ceux-ci, originaires de Lucques, étaient assignés à des travaux particulièrement pénibles en forêt de Vizzavona ou dans l’Alta Rocca (Levie).

Encore largement saisonniers, ces travailleurs étaient remarquablement organisés, à l’image des charbonniers lucquois groupés en « brigades » et dirigés par un « caporal ».

Le Mezzogiorno fournit également son contingent de migrants avec, à compter des années 1840, la présence permanente, en particulier à Bonifacio et à Ajaccio, de nombreuses familles de pêcheurs napolitains ; non sans heurts parfois violents avec les pêcheurs locaux.

Les Napolitains apportèrent, d’une part, de nouvelles techniques de pêche ainsi qu’un vocabulaire particulier et, d’autres part, de nouvelles formes de religiosité nonobstant l’introduction de prénoms en relation avec les saints napolitains, en particulier celui de Gennaro, plus tard francisé en Janvier ; linguistiquement, ils s’assimilèrent aux populations locales – à l’instar des autres italiens – soit en adoptant la langue corse soit, dans le cas bonifacien, le parler d’origine ligure.

Cette immigration péninsulaire constitua la quasi totalité de la population étrangère de l’île puisque, au recensement de 1851, les ressortissants italiens étaient au nombre de 3 800 pour une population étrangère totale de 4 245 personnes, soit environ 1,6% de la population corse.

 

Ceci dit, la présence italienne ne fut pas seulement liée aux activités économiques.

La Corse servit également de refuge à nombre d’Italiens en délicatesse avec les autorités politiques de leurs pays dans la période précédant la première guerre d’indépendance (1848-1849).

Ce fut le cas, notamment, des patriotes (fuorusciti) fuyant la répression autrichienne lors des premières luttes pour l’émancipation et l’unité de ce qui n’était encore qu’une simple « expression géographique », pour reprendre les termes du chancelier autrichien Metternich (1773-1859).

Entre les années 1820 et 1848, plusieurs centaines de ses fuoruscitise retrouvèrent dans l’île, tels l’écrivain florentin Francesco Domenico Guerrazzi, le napolitain Giovanni La Cecilia ou encore le génois Giuseppe Mazzini pour s’en tenir aux plus célèbres.

Si quelques uns élirent définitivement domicile en Corse, la très grande majorité retourna en Italie dès les premiers soubressauts devant conduire à l’unité ; après 1861 et l’instauration du royaume d’Italie, cette immigration disparut de facto.

Cette présence d’éxilés politiques eut, entre autres conséquences, celle d’inscrire mentalement – pour un temps – la Corse dans l’espace national italien.

En effet, au vu de l’environnement culturel insulaire, ces fuorusciti ne se considéraient nullement en terre étrangère, bien au contraire ils estimaient – à l’instar de certains Corses – que l’île devait faire retour à la Madre Patria.

Si bien que, tout en étant juridiquement des étrangers, ils ne s’estimaient pas et n’étaient pas perçus comme tels, sauf par l’administration française.

Le paradoxe de la période voulut, en effet, que les seules personnes qui se considérèrent comme des immigrés et se sentirent à l’étranger, furent les fonctionnaires arrivés du Continent, d’autant que les langues du pays (Corse et Italien) leurs restèrent parfaitement étrangères ; en 1815, Vérard, inspecteur à l’hôpital militaire d’Ajaccio, pouvait écrire, à propos de la bataille de Ponte Novu, que cette affaire, si meurtrière pour eux, [...] ne nous a coûté que cinquante soldats et trois officiers.

En cela, l’attitude de ces fonctionnaires et de ces administrateurs rapellait celle de Racine à Uzès, un siècle et demi plus tôt (1662), ou celle de Mérimée à Avignon en 1836 ; tout deux déclaraient se sentir en pays étrangers.

Cette distanciation vis-à-vis des Insulaires de la part des Continentaux, non exempte d’un certain sentiment de supériorité, devait par la suite très fortement s’estomper sans toutefois jamais disparaître au point de se perpétuer jusqu’à nos jours.

Les Corses, pour leur part, eurent longtemps le sentiment que ces Français du Continent n’étaient pas leurs compatriotes ; en 1849, ce fut aux cris de Morte a i Francesi ! que des Ajacciens donnèrent la chasse à des soldats de la garnison qui s’étaient baignés nus devant des femmes et des enfants.

Un demi-siècle plus tard encore, à Ajaccio en mars 1910, au cours des exercices d'un bataillon d'infanterie, les insultes qu’un officier adressa à l’encontre des Corses présents autour du champ de manœuvre, engendrèrent un échange de coups de feux entre l’officier et la population qui fit deux blessés.

Cet incident faisait suite à toute une série d'accrochages entre la population insulaire et les fonctionnaires continentaux, qui ne remirent cependant pas en cause de la présence française.

 

- La deuxième moitié du XIXème siècle (1848-1914).

L’élection à la Présidence de la République de Louis-Napoléon Bonaparte (1848) devait entraîner dans l’histoire de la Corse – et par conséquent dans son histoire migratoire – une rupture décisive : celle de sa véritable incorporation à l’espace national; pratiquement au même moment, les étudiants corses disparaissaient peu à peu des universités italiennes.

La Troisième république (1870-1940), pour sa part, en ouvrant notamment l’empire colonial aux Insulaires devait quantitativement totalement transformer les flux migratoires au départ et à destination de l’île.

Initié sous le Second empire, le développement industriel de la Corse, limité mais réel, entraîna l’arrivée de nouveaux contingents d’immigrés italiens.

En effet, l’industrialisation et la mise en exploitation de gisements miniers :

- en particulier dans la région bastiaise et le Cap-Corse (hauts-fourneaux de Toga, cuivre de Cardo, antimoine d’Ersa, amiante de Canari, fer de Feringule etc...)

- ainsi que dans la plaine orientale (cuivre de Linguizetta, arsenic de Matra, fonderie de Sari-Solinzara), exigea la venue d’une main-d’œuvre expérimentée originaire de l’Italie septentrionale (Émilie-Romagne, Ligurie, Lombardie, Piémont, Toscane etc....) ;

- d’autres travaillèrent comme simples mineurs ;

- la très grande majorité de ces hommes demeura sur place et, passée la première génération, contracta des mariages mixtes.

- À cela il convenait d’ajouter l’exploitation du chêne-liège (Bonifacio, PortoVecchio), où furent employés notamment des ouvriers sardes,

- et les scieries industrielles (Ajaccio, la Castagniccia dans son ensemble, Francardo, Propriano, Ventiseri, etc...) où opérèrent bûcherons et scieurs de long du nord de la péninsule.

Outre ces activités proprement industrielles, les immigrés italiens se rencontraient également sur les chantiers de constructions, comme terrassiers ou sur les chantiers de construction du chemin de fer à compter de 1879.

Une fois encore, cette immigration allait s’inscrire dans la durée.

Enfin, on se gardera d’oublier le rôle important que continua d’exercer la main-d’œuvre péninsulaire dans les activités agricoles, notamment, comme lors de la période précédente, dans le Sartenais et en Balagna ; nonobstant le nombre non négligeable de colporteurs en milieu rural et de petits artisans en milieu urbain.

Ici aussi, cette immigration devint largement définitive.

En une quarantaine d’années (1851-1891), le nombre de ressortissants italiens en Corse s’était accru de manière considérable, malgré un net fléchissement autour de 1910, à un moment où l’Amérique attirait nombre d’immigrants péninsulaires.

Au recensement de 1891, ils étaient 17 277 pour une population étrangère totale de 17 626 personnes, soit pratiquement 6% de la population corse officielle ; sans oublier quelques 10 000 travailleurs saisonniers.

Quatre ans plus tard, en 1895, un recensement intermédiaire faisait état de la présence de 12 388 Italiens, sur un total de 12 518 étrangers de diverses nationalités recensées dans l'île.

Si les hommes restaient majoritaires, un certain regroupement familial s’était néanmoins peu à peu opéré.

Vers la fin du XIXème siècle, les zones de force de l’implantation italienne se situait avant tout dans les ports, ainsi qu’en témoignaient la répartition des consulats ou agences consulaires du Royaume situées à Ajaccio, Bastia, Bonifacio, Calvi, L’Isula Rossa, Porto Vecchio et Propriano.

En 1935, outre le Consulat général de Bastia, il y avait le Vice-consulat d’Ajaccio et les agences consulaires de Bonifacio, Corte, L’Isula Rossa, Porto Vecchio, Propriano, Solenzara et Vicu

 

Bastia au premier chef, où 10% de la population au moins était italienne (3600 personnes) ; non loin de la grande ville du nord, la Castagniccia et le Cap-Corse suivaient d’assez près.

Néanmoins, la grande variété des métiers pratiqués par les Italiens favorisa leur extrême dispersion géographique, au point qu’il serait à peine exagéré d’affirmer que, vers 1914, chaque village de Corse comptait, ou eut compté, un habitant originaire d’Outre-Thyrénienne.

En 1861, la population de la corse comptait 252 889 habitants.

Les italiens représentaient 95 % de la population étrangère avec 7807 personnes.

 

Cette forte progression de la présence italienne – dont le maximum se situait aux alentours de 1890 –, se fit dans une Corse où, passées les illusions de l’industrialisation, la situation économique ne cessa de se détériorer pour atteindre un seuil critique au tournant du siècle.

Parallèlement, l’une des conséquences de la « républicanisation » de l’île, fut la mise en place d’un système clanique et clientéliste qui permettait aux hommes politiques de pourvoir leurs fidèles en emplois administratifs - sur le Continent et surtout dans l’empire colonial - aboutissant ainsi à une imbrication totale du politique et de l'administration, le tout sur fond de fraudes électorales massives.

L’un des nombreux effets pervers de ce système fut de vider la Corse de ses habitants, partis chercher ailleurs une hypothétique promotion sociale.

Cette présence italienne intervenait également à un moment où la francisation atteignit un point de non retour vis-à-vis de l’italianité première de l’île, faisant ressentir tout ce qui pouvait venir d’Outre-Thyrénienne comme étranger, ou à tout le moins comme différent.

Enfin, on ne saurait oublier, dans ce contexte fin de siècle, que les relations internationales entre la France et l’Italie étaient particulièrement tendues, tant dans le domaine de la rivalité coloniale que de la diplomatie et de l’économie ; l’Italie ayant de plus adhéré à la Triple Alliance anti-française dirigée par l’Allemagne impériale (1882), cela aboutit entre autres à la réactivation des revendications italiennes sur la Corse (irrédentisme).

D’où l’existence d’un fort courant xénophobe et raciste accusant le Lucchesu – terme péjoratif désignant les Italiens – de tous les maux de l’île.

Traités avec mépris, victimes parfois d’actes de violence – sans que cela ne déboucha jamais sur des pogroms comme celui d’Aigues-Mortes (1896) –, ces Lucchesi devinrent les boucs-émissaires idéaux dans ce climat de crise généralisée.

La presse insulaire elle-même ne se priva pas de mener parfois de véritables campagnes de xénophobie et de racisme à leur égard ; non exemptes d’un certain mimétisme intégrateur vis-à-vis de la nation française.

Ainsi, L’Echo de Bastia du 30 juillet 1898, dans un article significativement intitulé L’Invasion n’hésitait pas à écrire qu’ Ils sont partout ! C’est par milliers qu’on les compte[...] qui viennent à la curée, sucer les dernières gouttes de [notre] sang [...].L’italien, cependant, reste la plaie de notre pauvre pays. [...] Lorsqu’il n’est pas un espion, il est toujours un calomniateur. À quand le holà ? 4.

Après 1901, et le rapprochement diplomatique entre Rome et Paris, cette hostilité anti-italienne décrût sans pour autant que disparaissent les comportements de rejet qui perdurèrent jusque dans la seconde moitié du XXème siècle ; la présence italienne se fit également moins visible : en 1911, ils ne représentaient plus que 3% de la population.

Néanmoins, cela n’empêcha pas, outre l’acquisition de la langue corse par ces immigrés que, peu à peu, l’accroissement des mariages mixtes devint une réalité, notamment après 1945, il est vrai, participant ainsi à leur intégration progressive et, finalement, réussie.

Bien qu’ils fussent en situation quasi-hégémonique, les Italiens ne furent pas les seuls immigrés présents sur le sol insulaire à la veille de la Grande Guerre ; de ci de là, on pouvait noter la présence définitive de quelques très rares ressortissants grecs venus en Corse afin de pratiquer la pêche aux éponges, comme ce fut le cas à Bonifacio.

De même quelques réfugiés politiques maltais, polonais ou espagnols étaient présents dans l’île dans les années 1830-1850 sans que l’on sache si certains purent s’établir à demeure.

En 1911, sur une population de 259 727 habitants, nous comptions 8658 étrangers, soit 3 % de la population, dont 60 % d'hommes.

Les italiens au nombre  de 8198, représentaient 95 % des étrangers.

 

Source : Histoire et mémoires des immigrations en région Corse.

Synthèse du rapport final - avril 2008

page1image1153957840

- Jean-Michel Géa, Didier Rey, Pierre Bertoncini
- Vannina Marchini, Marco Ambroselli, Yannick Solinas

Responsable scientifique : Ph. Pesteil

 

page12image1112193040

 

Retour à l'accueil