GARIBALDI N'A JAMAIS QUITTÉ LA CORSE DES YEUX.
GARIBALDI N'A JAMAIS QUITTÉ LA CORSE DES YEUX.
Garibaldi jette l'ancre à Bastia :
une escale impromptue sur fond de Risorgimento.
 

Installé en patriarche sur l’île de Caprera, le héros des Deux Mondes vient d’enlever la Sicile aux Bourbons et songe à faire de Rome une capitale mondiale.

La Corse n’est jamais absente des rêveries de ce guerrier doublé d’un penseur.

Le 21 décembre 1862, le vent qui souffle en tempête sur Bastia et l’archipel toscan malmène un navire inconnu qui s’approche avec grande difficulté, ralenti par un fort tangage.

Tant bien que mal, il s’engouffre dans le port et se met à l’abri.

De loin, les curieux peuvent lire son nom : Sardegna.

Sa destination, l’îlot de Caprera, trahit la présence du personnage illustre qui se trouve à bord, Giuseppe Garibaldi dont les exploits militaires au siège de Montevideo sont connus grâce à la plume d’Alexandre Dumas.

Cette rapide escale impromptue du héros des Deux Mondes passera inaperçue, car Garibaldi s’abstient de descendre à terre.

Mais à bord, il reçoit discrètement Gian-Paolo Borghetti, homme politique originaire de Tavagna, médecin militaire de son état, et considéré comme l’un des plus grands poètes corses d’expression italienne.

Dans une oeuvre lyrique, il a chanté la victoire de Garibaldi à la bataille de Varese en mai 1859.

Q u e représente alors la Corse pour Garibaldi, infatigable Ulysse, né en 1807 à Nice ?

Enfant, il a beaucoup navigué autour du golfe de Gênes au point que les côtes de la Corse lui sont devenues familières tout en restant alors inaccessibles.

Mais en achetant la moitié de Caprera pour 360 livres sterling en 1854, Garibaldi se rapproche de la Corse et de son imaginaire.

Faisant du cabotage sur son cotre (cutter), un petit bateau à un seul mât, il longe la côte orientale de la Corse chaque fois qu’il veut rejoindre Caprera en Sardaigne, îlot sauvage battu par les vents face à la Maddalena. 

« Il partagera l’île avec un couple anglais, les Collins, et un bandit corse de bonne compagnie, Giuseppe Ferracciolo » 

En 1855, alors qu’il sillonne la Tyrrhénienne entre Gênes et Cagliari en tant que commandant du navire « l’Esploratore », il se déclare « coltivatore » (agriculteur) et entreprend d’aménager sur son nouveau domaine, une « casa bianca » calquée sur l’architecture de l’hacienda, qui existe toujours aujourd’hui.

Pour ce faire, il a besoin de matériaux qu’il va chercher avec son bateau à Porto- Vecchio. 

« En 1857, Garibaldi s’installe définitivement à Caprera et c’est un menuisier bonifacien de talent, Mattià Sorba, installé à La Maddalena, qui fait les fenêtres, les portes et tout le mobilier de la maison. » 

Bien loin de la Corse, lors de ses aventures américaines, Garibaldi avait noué de solides amitiés avec des Corses de rencontre dont le prêtre rebelle Paul Semidei ainsi que deux Corso-Sardes.

L’un devint son fidèle parmi les fidèles, Gian- Battista Culioli, dit Leggero, l’autre, Susini, facilitera son accès à la propriété à Caprera.

Des amitiés cimentées dans l’adversité.

Alors que Garibaldi en difficulté défend Rome assiégée par les Français en 1849, Leggero l’aidera dans sa fuite, soutenant le corps de sa femme morte, Anita la Brésilienne.

À l’opposé, le cardinal Savelli, ministre de l’Intérieur au Vatican, inventera, afin de le discréditer, la légende noire du « trésor de Garibaldi. »

Entre l’épopée des Mille et Sedan :

l’idée d’une expédition en Corse.

Mais en 1860, les événements se précipitant en Italie, il lui faut laisser son havre de paix de Caprera pour reprendre les armes.

À la tête des Chemises rouges, un corps de volontaires, il débarque en Sicile afin d’en chasser les Bourbons.

C’est l’épopée des Mille qui se conclura par un succès contre la toute puissance du Royaume des Deux-Siciles.

De nouveau, des Corses croisent sa route, de près ou de loin.

Parmi eux, Desiderato Pietri, originaire de Bastia, est l’un des premiers tués à la bataille de Calatafimi le 15 mai, s’étant aventuré seul face à l’ennemi, à découvert et sans ordre.

Deux autres insulaires, Griscelli et Toti, espions qui seraient venus l’assassiner pour le compte de Cavour et du Pape, sont démasqués et expulsés.

 

Artisan glorieux de l’unité italienne, Garibaldi aura permis à Naples et à la Sicile d’intégrer le nouvel ensemble italien à l’heure où – ironie du sort – Nice, ancienne possession du royaume de Sardaigne, devient française.

Alors, Corsica, terra irredente ?

La question de l’avenir de la Corse reste présente à l’esprit de Garibaldi à un tournant décisif de l’unité italienne.

Cette idée, sans nul doute, fut longuement évoquée lors de la brève rencontre à Bastia avec Gian-Paolo Borghetti qui se trouve dans la position inconfortable de l’opposant au régime bonapartiste. 

« Républicain convaincu, les idées de Gian Paolo oscillent entre le désir de voir l’île demeurer dans une France convertie au fédéralisme, et le souhait de voir la Corse intégrer avec une administration spéciale une hypothétique repubblica federativa italiana. » 

Journaliste, il ne se prive pas de critiquer la politique de Napoléon III.

Ce qui lui vaut la fermeture de son propre journal La Corsica, écrit en italien.

Selon Marie-Jean Vinciguerra écrivain et garibaldien, 

« c’est à ce moment qu’aurait été envisagée une éventuelle expédition en Corse dans le style des Mille avec Nino Bixio à sa tête.

Leonetto Cipriani aurait été de la partie.

Rien n’est moins sûr.

Garibaldi a tiré les leçons de son aventure sicilienne.

La situation politique, sociale et économique de la Corse est différente de celle de la Sicile en 1860, notamment en ce qui concerne le problème agraire.

La Corse est bonapartiste. » 

Or, en 1870, à cause notamment du désastre militaire de Sedan imputé à Napoléon III, un vent d’anti bonapartisme souffle à Paris sur l’Assemblée nationale, Clemenceau allant jusqu’à faire la proposition « de rendre la Corse à l’Italie », quand Garibaldi se bat avec les Français contre la Prusse.

De par sa situation dans l’archipel du Tirreno, la Corse s’inscrit dans une aire linguistique commune, c’est la conviction que partagent les exilés italiens à Bastia et les élites qui entouraient Salvatore Viale.

En choisissant, tel Cincinnatus, de vivre à Caprera en patriarche agriculteur, Garibaldi tient la Corse voisine sous son regard.

Selon Marie- Jean Vinciguerra, il puise son énergie 

« dans cette île qu’il savait française de par les vicissitudes de l’histoire et difficile à reconquérir par les armes contre le voeu de sa population, surtout quand on aspire soi-même à une gouvernance mondiale pacifique. »

Chantant par ses poèmes l’italianité de la Corse, Gian Paolo Borghetti a caressé un rêve irrédentiste qui s’est évanoui avec l’âge mûr, le poète apprécié de Garibaldi devenant sous la république française chef de cabinet du préfet de la Corse...

Quand Garibaldi s’éteint en 1882 dans sa chambre d’où il aperçoit la Corse, Bastia lui rend un hommage sincère avec un lamento exprimé dans la langue de Dante :

 « Il nome di Garibaldi 

Resterà per gran memoria 

Un generale distinto 

Che ha acquistato onore e gloria. »

 

Source : Corse Matin. 

Marie-Jean Vinciguerra « Garibaldi et la Corse » dans « La Corse et la péninsule italienne. » Editions Piazzola. 2012
Eugène Gherardi. Dictionnaire historique de la Corse. Albiana.

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