FIDÉLITÉS ET RÉSISTANCES.
FIDÉLITÉS ET RÉSISTANCES.
F. Pomponi. En Corse sous la Révolution
En quoi consiste le républicanisme bastiais ou calvais alors que les deux présides sont occupés par les armées révolutionnaires et que la part est difficile à faire entre adhésion, prudence et contrainte ?
Acceptons l'idée de la ferveur républicaine des zappaioli bastiais en suivant le témoignage de Lacombe Saint Michel; ils ont participé activement à la construction des batteries mais on ne peut pas en dire autant des marins.
Sur quelles réalités sociales est fondé le noyau d'opposition ajaccien dans une ville où Paoli avait de nombreux partisans dans toutes les couches de la population et surtout dans la classe dirigeante "anti-bonapartiste" qui détient le pouvoir local ?
Solidarités de parti ou solidarités de classe ? Nous retrouvons le problème.
Rappelons comment dès février 1794 la municipalité s'est indignée des accusations portées contre Paoli, comment en place d'armes fut brûlé l'arbre de la liberté et comment s'est comporté le club à la terminologie pourtant trèsrévolutionnaire des Amis incorruptibles de la liberté... créé au début de l'année 1793... pour dénoncer le jacobinisme !
C'est au niveau de l'administration du district de composition plus "rurale", là où était influent l'abbé Coti, allié des Bonaparte, que se décèle une opposition perceptible en juin 1793 à propos du licenciement des canonniers du bateau Le Vengeur échoué dans la rade.
L'administration de district s'y oppose en déclarant qu'il est intéressant pour la Nation française que le port et le golfe d'Ajaccio leur soit conservé d'autant que les ennemis de la République ont couvert la mer de leurs bateaux et peuvent de ce fait surprendre la place sans y trouver de résistance.
Mais les Paolistes avec les Peraldi et les Pozzo di Borgo sont puissants dans cette ville que les Bonaparte ont dû abandonner en catastrophe et la situation est bien prise en mains par les commissaires du governo provisorio qui destituent l'administration de district en transférant ses compétences à la nouvelle municipalité.
Celle-ci compte Paul Vincent Guitera comme maire et, comme officiers municipaux, Paul Félix Peraldi, Bonaventure Maestroni, Joseph Ponte, Charles-André Campi, Laurent Cervotti, J.B. Recco, tous paolistes.
Avec Pozzo di Borgo au département, les membres de sa famille et les Peraldi sur place (dont Mario Peraldi commandant du bataillon de la garde civique), alliés et parents des Benielli et des Stephanopoli19, Ajaccio apparaît comme un bastion paoliste.
Le 6 janvier 1794, les cérémonies funèbres à la mémoire de Clément y revêtent un éclat particulier et les autorités ne manquent pas une occasion de célébrer l'alliance anglaise20.
Rares sont en fait les actes de résistance à connotation nettement "républicaine" dans l'intérieur de l'île où sont signalés pourtant de nombreux incidents. Comment s'expliquent les troubles de la période ? Nous manquons le plus souvent d'éléments pour le dire. Quelle fut La part des querelles locales "de parti", voire de personnes, par rapport aux oppositions sociales liées en particulier aux questions agraires ?
Lorsqu'en été les populations de Vivario et de Bocognano occupent les forts et s'emparent des armes, des portes et fenêtres, des bois et autres "effets nationaux", le conseil de département envoie la troupe pour rétablir l'ordre.
La question agraire est mieux présente dans la vallée de la Gravona et dans la région d'Ajaccio où s'installe sous le gouvernement provisoire un climat de tension qui atteindra son apogée sous le royaume anglo-corse.
Ici les "accapareurs" des anciens communaux, terres de parcours des populations montagnardes de Bocognano de Péri ou de Tavera sont précisément les chefs paolistes, les Peraldi et les Stephanopoli, membres influents du governo qui disposent de la troupe pour étouffer dans l'oeuf une révolte en été 1793.
Peut- on parler pour autant d'opposition républicaine ? Ce serait abusif.
Arrêtons-nous sur les événements du Taravo de janvier-février 1794, sans doute les plus graves de la période en milieu rural. Ils sont marqués par l'influence de fortes personnalités républicaines dont l'abbé Coti de Zevaco et surtout les Abbatucci de Zicavo qui réussirent à mobiliser leurs clientèles contre les Paolistes.
En décembre 1793 l'abbé Coti, l'ancien "complice" de Bonaparte lors des incidents d'Ajaccio de Pâques 1792 et ora capitano dell'armata francese est accusé d'entretenir le trouble dans la région.
Ses partisans font la jonction avec ceux du perfido Abbatucci , occupent le couvent et participent à une assemblée en forme de consulte.
On se croirait revenu 30 ans en arrière lorsque les mêmes Abbatucci refusaient l'union sous l'égide du maire et des officiers municipaux de la ville d' Ajaccio au commandant de l'escadre anglaise où il est fait état de l'intérêt manifeste que la nation anglaise a constamment témoigné à la Corse et (de) sa générosité et ses bienfaits envers son chef le général Paoli...
Ce serait une bien grande satisfaction pour les citoyens de cette ville etpour toute la patrie de voir dans ce port quelques navires anglais ; ils y seraient accueillis avec cet enthousiasme d'une allégresse inexprimable.
Les auteurs précisent que les habitants sont de bons patriotes disposés à mourir pour résister à la tyrannie, à l'oppression et à la férocité des ennemis ; voir également une autre lettre de février 1794 où la municipalité célèbre les succès de l'escadre anglaise et se réjouit de la prise de la tour de la Mortella et de celle de FornarL
Le 24 février une frégate anglaise vient mouiller à Ajaccio et la municipalité lui rend les honneurs.
Général. Il y a pourtant sur place un parti paoliste animé notamment par Francesco Sabiani de Zicavo qui mobilise ses partisans contre les insurgés.
Le clivage est une fois de plus de type vertical : notables et pastori se retrouvent dans les deux camps.
C'est au niveau des solidarités et des inimitiés de famille qu'il conviendrait de faire l'étude du conflit mais les archives sont pour cela une source insuffisante.
Abbatucci est considéré comme autore di tutti i disordini che si sono commessi nella pieve di Talavo comme dans les années 1760 ! Résurgence d'une vieille rivalité d'influence entre capi dipartito s'inscrivant dans la traditionnelle opposition entre Deçà et Delà des Monts ?
On peut y penser.
Le 18 janvier Paoli prend la décision d'une expédition punitive d'envergure : des renforts viendront du Deçà, depuis Ghisoni et la piève de Castello, et franchiront le col de Verde; Ambrosini d'Ucciani fera marche vers le Taravo à partir de la Gravone en passant par Forciolo et Zigliara où il rassemblera des volontaires.
Paoli ne faiblit pas et dans une lettre datée de Murato du 27 janvier alors que les opérations sont déjà engagées, il félicite Panattieri pour son action à la tête de l'expédition punitive et lui fait part de la détermination du governo de venir à bout de cette résistance21.
Dans son rapport de campagne Panattieri relate comment il est arrivé à Frasseto avec 300 hommes suivi par Peraldi (600 hommes) et d'une arrière- garde (100 hommes).
La rencontre a eu lieu à la bocca délia Granace où l'ennemi (les traditori dit Panattieri) avait érigé des fortins de défense. Le canon en vient à bout et les fuyards se réfugient à Olivese.
En février, il est question d'un regroupement de pastori ribelli nelle spiaggie del Taravo et dans la région de Coti (qui est la plage de Zevaco) alors que d'autres -dont Abbatucci- réussissent à gagner Bastia et Calvi.
La question agraire apparaît en filigrane liée aux traditionnelles revendications des populations de Frasseto et de Zevaco sur les terres de la piaggia de Coti qui ne leur ont pas plus été rendues par Paoli que par les gouvernements précédents.
Le mouvement ne fait pas tache d'huile mais Panattieri regrette la "neutralité" des habitants de Sartène, de Levie et de la Rocca qui n'ont pas fourni de volontaires à l'expédition, confirmant ainsi la prépondérance des solidarités familiales.
Dans la poche de la résistance de Bastelica, on est sensible à l'influence de Costa, fidèle de Bonaparte, qui a tenté d'entraîner son parti dans la révolte... sans succès d'ailleurs.
La question agraire est ici aussi présente puisqu'en mai 1974 les mécontents sont ceux qui espéraient pouvoir faire paître tranquillement leurs bêtes dans le chiso de Campo dell'Oro et mettre en culture les terres des Budiccie qu'ils avaient commencé à labourer ; mais la magnifique municipalité d'Ajaccio soutenue par le governo s'y est opposé23.
Une fois de plus -que le governo soit paoliste ou républicain, rien n'y change, les Bastelicais en révolte condamnent les signori ajaccini che cercano sempre a disturbare il riposo di quella communità, che sempre hanno cercato dei mezzi di toglierli i dovuti dritti et ils se réfèrent encore au Libro Rosso plutôt qu'à la Révolution pour faire valoir leurs droits.
On a du mal à voir clair dans la situation du Vicolais qui a été le lieu de nombreux incidents mais non point de révolte à proprement parler.
Prenons acte de la fidélité des Cargésiens24 à qui le governo provisorio donne des garanties pour la jouissance des terres qui leur ont été concédées sous l'Ancien Régime et qui sont toujours revendiquées par les communautés du Vicolais.
Là aussi on procède à des remaniements dans la composition de l'administration de district et à l'élimination des républicains remplacés par de fidèles paolistes. Qui sont donc ces "mauvais patriotes", l'abbé Stephanopoli, Multedo, Alessandri, Cristinacce, Cittadella et d'autres mis en accusation comme traîtres à la patrie corse ? On les dit républicains, partisans de la
fazione commissariata et on les accuse de collusion avec l'armée de la Révolution présente à Calvi25 où plusieurs d'entre eux d'ailleurs se sont réfugiés pour fuir les représailles des paolistes.
La troupe intervient en novembre 1793 pour arracher les traîtres à la protection des administrateurs, mais la démarcation passe à l'intérieur même de cette administration de district dont certains membres sont paolistes alors qu'ils appartiennent au même milieu social que leurs collègues "républicains"26.