EN CORSE SOUS LA REVOLUTION : LE TEMPS DU GOVERNO SEPARATO (JUIN 1793 - JUIN 1794) *
français Le 31 mai 1793 (estampe par Jean-Joseph-François Tassaert d'après l'esquisse de Fulchran-Jean Harriet).
Reprise d'une communication faite au colloque de Bono sur Gian-Maria Angioy (1993). Archivio Storico del Movimento Operaio. Cagliari.
La situation de la Corse est semblable à celle de tous les départements qui ont rejeté la tendance montagnarde de centralisation autoritaire pour rester fidèles au système fédéraliste. Ch. Ambrosi.
INSTITUTIONS ET PRATIQUE DU POUVOIR.
En 1793 la Corse paoline renoue avec le passé sous l'impulsion de ses dirigeants.
En mai, lors de la consulte (le terme même est significatif de la résurgence) de Corte qui réunit 1009 députés des communautés et des centaines d'hommes en armes... comme au bon vieux temps, est-on tenté de dire, en dépit de la volonté affichée de ne pas rompre avec la Convention, un certain nombre de décisions marquent une prise de distance.
Il y est décidé que les administrateurs départementaux élus en 1792 renonceront à leurs pouvoirs, non pas en application de la mesure de destitution signifiée par les commissaires dont l'autorité n'est pas reconnue mais, pour ainsi dire, afin de rendre la parole au peuple souverain.
Il en va de même pour les députés de l'île, membres de la Convention, dont le mandat est considéré comme achevé.
L'insolite (par rapport à la constitution française) s'installe et Paoli est salué comme généralissime avec mission de lever une armée.
Pourtant il continue à clamer son fervent et sincère attachement à la liberté que, dit-il, nous avons recouvrée et que nous défendons en association (souligné par nous) avec la grande et puissante nation de laquelle nous faisons partie depuis le début de la Révolution .
Le 5 mai, il écrivait encore :
" J'aime l'union (idem) avec la France parce que, par le contrat social qui nous unit, nous participons avec tous les autres citoyens de la République à tous les avantages et à tous les honneurs."
Mais le 9 juillet 1793, le Conseil Général renouvelé par la consulte observe déjà que la résistance à l'oppression est canonisée par la loi naturelle et par les droits de l'homme et du citoyen .
La référence explicite aux droits de l'homme, l'affirmation du concept de souveraineté populaire, l'emploi de l'expression "assemblée nationale" pour désigner les traditionnelles consultes avec lesquelles la Corse semble vouloir renouer montrent pourtant que les choses ne reviennent pas exactement comme avant.
Faut-il y voir une simple contamination formelle de la terminologie alors en usage ou le signe d'un mûrissement des concepts à la faveur de l'expérience révolutionnaire ?
Le débat est ouvert.
Les institutions à proprement parler demeurent les mêmes pour l'essentiel.
A noter pourtant les premières modifications administratives avec l'adjonction de deux délégués par district au Conseil Général.
Alors qu'à Mena par exemple, le curé Bustoro est rejeté par les paroissiens car il a prêté serment a la perversa cosntuzione francese.
La rupture n'étant pas prononcée avec la France, il n'est pas encore question de nouvelle constitution.
Pourtant, les dispositions prises par cette consulte qui ne s'est pas érigée en assemblée constituante serviront de fondement et de référence au nouveau "régime".
Les membres du Conseil Général s'en réclament en différentes circonstances... pour justifier par exemple la destitution ou la confiscation des biens des "ennemis de la patrie corse".
Par exemple aux dépens de Saliceti et de Bonaparte.
L'appellation de Conseil Général de département demeure, mais cet organe administratif devient souverain et s'arroge les pouvoirs d'un véritable gouvernement, proche de ce qu'était le Consiglio di Stato au temps de l'indépendance.
Les administrations de district restent également en place comme échelons intermédiaires entre le département et les "municipalités" qui retrouvent leur appellation de "communautés".
Plus important est le changement des hommes aux leviers de commande et de responsabilité avec l'élimination progressive d'administrateurs suspectés d'être restés fidèles au gouvernement révolutionnaire et qui sont considérés comm e traîtres à la patrie corse (entendons ceux communément désignés du nom de "républicains" durant la période) pour les remplacer par des fidèles du "parti paoliste", nouvelle phase d'un "spoil system" érigé en système de gouvernement... comme on l'avait vu lors de la mise en place du Comité Supérieur en 1790, comme on le verra encore au temps du royaume anglo-corse et, plus tard, au lendemain de la "reconquête républicaine".
La confirmation explicite du choix de Corte comme siège du "gouvernement" de l'île se veut symbolique et ne va pas sans rappeler ce qui s'était passé dans les années 60 alors que tous les présides (et pas seulement Calvi, Saint-Florent et Bastia comme en 1793) étaient occupés par "l'ennemi".
La Corse s'installe dans cette situation provisoire et voulue comme telle... en attendant une solution qui officialisera cette rupture de fait avec la France révolutionnaire et l'élaboration des convenevoli misure per lo stabilimento di un governo durevole e ben regolato , comme l'écrit Pascal Paoli dans une lettre du 15 septembre 1793, alors qu'il a déjà opté pour le protectorat de l'Angleterre.
Quelques jours auparavant, il écrivait à Drake, représentant de l'Angleterre à Gênes, dans une lettre portée par Simon Colonna : la sola comparsa délia bandiera inglese purgherà l'isola da suoi nemici ed allora si prenderanno le convenevoli misure per lo stabilimento di un governo durevole e ben regolato...
Cette situation "provisoire" (l'expression devient usuelle à partir de janvier 1794, couplée à l'ancienne appellation de Regno di Corsica d'origine génoise) devait durer plus d'un an et elle correspond à une indépendance de fait de la Corse.
En suivant l'évolution terminologique on remarquera que le Conseil Général devient en mars 1794 Consiglio générale del governo di Corsica et après même qu'ait été institué le royaume anglo-corse, on parlera encore en juin et juillet 1794 de Consiglio générale del governo provisorio di Corsica .
Il est clair dès lors -et c'est la différence avec d'autres départements continentaux rentrés en dissidence avec la Convention- que les "séparatistes"corses n'envisagent pas de s'unir à nouveau à la France, fut-elle "libérée" du jacobinisme à l'origine de la rupture.
Interprétant déjà en août 1793 les mesures prises à la consulte dans un sens "constitutif', le directoire de département évoque il popolo sovrano (réuni) per salvar la patria.
Il se propose encore de convoquer un'assemblea générale di tutte le communità che compongono il dipartimento e di rappresentanti (il y a francisation de la terminologie sur fond de pratique ancienne) muniti di poteri sufficienti dai loro cummune rispettive et d'instituer une commission pour réfléchir aux moyens de salvare la patria e la sua liberté minaciata da tante parti dall'opera dei sediziosi e dei perfidi che in questo tempo specialmente hanno cercato di rovinarla.
Dès juillet Paoli déclarait : Siamo armati e faremo rispettare la nostra liberté e indipendenza.
Le 26 avril 1794 alors que la solution anglo-corse est déjà décidée, Paoli confirme cette perspective "constitutive" : "Avremo fra breve una general consulta in quella stabîleremo il nostro governo" et peu avant l'acte d'union avec l'Angleterre le Conseil Général pouvait proclamer :
// consiglio générale depositario fedele délia porzione di autorité che gli è stata confidata dal popolo riunito si lusingave che una nuova assembled avrebbe creato un governo stabile e posto definitivamente, la base di una legislazione conforme ai principii di un popolo che voleva conservare la sua libertà sema dar l'accesso alla licenza e continuare intatta la sua divina religione, rigetandone qualunque perniciosa innovazione. Questa epoca è giunta allafine 7.
Nous sommes alors proches du point d'aboutissement d'une évolution progressive que l'on peut jalonner.
Ainsi, en matière judiciaire, il avait été décidé que les Corses ne seraient plus justiciables des tribunaux d'appel qui se trouvaient sur le continent français et le Conseil s'en était expliqué en ces termes :
Considerando che l'amministrazione générale provisoriamente incaricata dal popolo del buon governo e délia publica sicurezza deve colle sue previsioni moderare quelle leggi che per il cambiamento délie circostanze non si rendonopiù di una facile esecuzione ... i Corsi che litigano presso i tribunali di detti due distretti (Bouches-du-Rhône etVar) nonvi troverebberoquel acugtiamentofraterno che deve regnare sopra tutto nella distribuzione délia giustizia...
Dès lors / tribunali délie boche di Rhodano, del Var e di qualunque altro del continente délia Francia e di quello di Bastia dal giorno délia publicazione délia présente determinazione non sono più reputati per tribunali
d"appelli.
Autre innovation, et de taille, concernant le domaine judiciaire... la suspension des jurys dès septembre 1793, pour des raisons qui ne manquent pas de piquant lorsqu'on pense à l'indignation avec laquelle des Corses se plaindront plus tard de la même mesure prise sous le Consulat et maintenue sous la Restauration par des gouvernements "français".
L'argumentation qui sera alors rejetée comme offensante est alors prise en compte et formulée par les Paolistes lorsqu'ils dénoncent :
"questi giurati o sedoti o mal informati o intimoriti dalle minaccie dei rei (che) rinviano li deliquenti i più conosciuti e specialmente denuciati dalla publica voce efama".
Par contre les juges de paix qui rappelaient les traditionnels pacieri étaient maintenus en fonction... pourvu qu'ils ne soient pas républicains.
Durant cette année intermédiaire, alors que la Corse est divisée depuis début juillet 1793 par la Convention en deux départements, il n'y a qu'une seule administration départementale et l'exercice du pouvoir correspond à un mélange de tradition et de révolution.
Ainsi a-t-on régulièrement recours à des commissaires pour suivre des affaires particulières.
La fonction et le terme existaient déjà à l'époque génoise (cfr. les fameux commissariati, expéditions punitives) et Paoli l'avait adaptée du temps de l'indépendance sous la forme de missions ou commissions spéciales confiées à des hommes sûrs.
A son retour en Corse en 1790 le même Paoli avait adjoint aux commissaires du roi ses propres commissaires... comme l'avait déjà fait le Comité supérieur, la première instance révolutionnaire mise en place au début de cette même année.
Les commissariati du temps du governo provisorio s'inscrivent donc dans une pratique traditionnelle et ne sont pas seulement inspirés par l'exemple de la Convention.
Signalons comme commissaires : Pietri à Tallano, Panattieri et Giacomoni dans la région d'Ajaccio .
Dès le 6 juin 1793 il est question de commissarii del Consiglio Générale mandati provisoriamente dal governo à propos délia sicurezza publica dell'isola di Corsica nei distretti di Ajaccio Tallano Vico.
Comme les représentants en mission de la convention montagnarde, les commissaires du governo provisorio à Ajaccio s'occupent de tout, ont barre sur la municipalité, sur la citadelle, sur l'arrière-pays, sur les finances, sur la justice, et conduisent au besoin des opérations d'ordre public en cas de troubles, en liaison étroite avec le governo de Corte.
Vint pourtant un jour (25 novembre 1793) où un membre du Conseil Général déclara en séance que le terme de "commissaire" était "odieux" car il évoquait les re indegni soggetti délia Convenzione i quali venuti dalla Francia per fare il bene di detto popolo si rinchiusero nelle mura di Bastia ove machinarono le più tiranniche oppressioni contro la liverta del nostro paese et observait que sotto il nome di commissario del Consiglio si sono manifestati délie abusi d'autorità in alcuni cantoni.
Moment intéressant où le gouvernement paoliste prend conscience qu'il est en train de tomber dans le même travers que le centralisme jacobin !
L'intervenant propose d'utiliser plutôt le terme de deputati aussi bien au niveau du département que des districts et de fait, c'est l'expression de deputati del governo corso e del générale Paoli qui prévalut par la suite.
Autre emprunt, au moins terminologique, à la Révolution :
- dès le 30 mai 1793 était institué un Comité de Sûreté générale... mais son rôle n'est en rien comparable à celui créé par la Convention.
De même la garde nationale subsista, renforcée par de nouvelles levées et placée sous le commandement de Quenza.
Les Paolistes avaient maintenu un temps le régiment Salis-Grisons qui au moment de la rupture avait refusé d'obéir aux commissaires de la Convention et préféré se mettre à la disposition de l'administration départementale.
C'est un paradoxe de voir ce régiment de l"Ancien Régime" utilisé comme forza publica et affecté entre autres missions à la garde des forts de Vizzavona et de Vivario pour combattre sotte lo stendardo délia libertà e dell' egualianza al servizio della patria. ( juin 1794)
Le gouvernement provisoire remit très tôt en cause la Convention ingannata da quei perfidi che volevano ridurci in schiavitù et ses decreti contrati a quei pricipii di giustizia e dei sentimenti di riconoscenza dai quali il popolo corso è sempre stato animate verso la nazione francese.
En décembre 1793 les commissaires d'Ajaccio, Panattieri et Giacomoni, écrivaient plus franchement encore :
"noi avendo un governo indipendente (souligné par nous) dobbiamo riguardare la Francia corne un paese forestière" et ils proposaient alors de soumettre à la douane les produits venant de la France.
Les expressions de "nation corse" et de "peuple corse" déjà présentes au cours du "second principat" deviennent d'un usage commun et en janvier 1794 on décidait qu'au conseil général comme au tribunal on prêterait serment d'essere fedele alla nazione corsa e di vivere e morire libero e cristiano.
Dans la même logique de distanciation par rapport à la France révolutionnaire, le calendrier républicain était abandonné lors de la réunion du 28 décembre 1793 à la suite de l'intervention d'un conseiller qui déclarait :
(è) ora dirisoria e assurda la formula che fa mentione dell'erra délia Republica francese divenuta per la Corsica un nome odioso, corne ingiusti ed indegni sono stati li decreti che essa ha lanciato contro la realtà, il decoro e la gloria del popolo corso e di quell'illustre cittadino, l'eroe del secolo e il fondatore délia vera libertà del proprio paese.
Ce langage donne la mesure du changement et du retour en force du modèle nationaliste.
Le Conseil Général suivit l'intervenant considerando che la Republica francese ha dichiarato nemico il popolo corse e non cessa di tratarlo corne taie, dall'epoca in cui ha dimostrato la volontà efermezza di conservare intiera la sua libertà confidata dalla Convenzione nazionale a poteri illimitati di una commissione faziosa e dispotica.
Relevons encore comment le governo provisorio décide de proscrire l'usage du français et de revenir à l'usage officiel de l'italien qualifié de lingua naturale :
"il popolo desidera conoscere le sue leggi e le decisioni délie autorité instituite nella lingua sua naturale".
Du fait que la Corse a in una maniera solenne decretato la sua segregazione dalla sedicente Repubblica francese non si deve far più uso di quest'idioma tanto più che non è abbastanza familiare .
Sur un terrain purement symbolique mais non moins révélateur d'une volonté de sécession et de retour à l'indépendance on décida dès le 15 septembre que les Corses arboreraient à nouveau la bandiera a la testa di Moro.
Lorsque Panattieri rend compte de son expédition punitive contre les républicains du Haut Taravo, il se vante d'y avoir fait acclamer le gouvernement corse, le nom de Paoli et les couleurs nationales :
- Li canoni, écrit-il, sono serviti a far le viva per l'alberazione délia bandiera corsa e il solenne Te Deum.
Inversement tout ce qui rappelle le symbolisme révolutionnaire est banni :
- on ne portera plus la cocarde tricolore, on ne s'appellera plus "citoyen" et on abattra les arbres de la liberté considérés comme le signe d'un nouveau despotisme.
Alors que la Convention le 30 septembre 1794 demande encore aux Corses ou Français résidant dans l'île de porter la cocarde tricolore, signe de leur "régénération" et fait parvenir 3 caisses de cocardes par Capraia, Barère parlait dès mai 1793 de la tête de maure comme d'un étendard non seulement de la révolte et de la contre-révolution mais celui de l'indépendance arboré par Paoli retranché dans Corte, entouré de rebelles et de prêtres fanatiques .
Le drapeau de tête de maure fait aussi sa réapparition sur les papiers officiels et sur les pièces de procédure judiciaire tandis que les magistrats sont appelés à prononcer leurs jugements a nome délia nazione corsa .
Tandis que le thème de la "liberté retrouvée" s'impose au niveau du discours, a contrario lorsqu'il est fait allusion à la Convention et à ses représentants, on a recours à la terminologie qui servait à condamner l'Ancien Régime :
- il est dit des Jacobins qu'ils veulent ridurre il popolo corso in schiavitù ;
- ils sont considérés comme l'expression d'un gouvernement "tyrannique".
Quant à leurs partisans en Corse, ils sont accusés d'être les satellites de la fazione commisariata.
Le terme qui revient le plus souvent pour les désigner est celui de traditori , adhérents de l'infâme partito republicano et, comble du retournement du discours, c'est la République française qui est déclarée "sedicente".
LA POLITIQUE DU GOVERNO SEPARATO.
Le pouvoir est aux mains des paolistes, compagnons de la première heure, exilés de l'Ancien Régime de retour en Corse grâce à l'amnistie de 1790 ou "patriotes du lendemain", avec une forte proportion de "nordistes"12 car Paoli a toujours eu plus de partisans dans l'ancienne Terra di Comune que dans le Sud de l'île.
Citons comme membres du Conseil Général de Département Gigli, Gaffaiolli, Filippi, Cottoni, Viggiani, Campana, Mucchielli, Cruziani, Benedetti, Manfredi, Balestrino, Panattieri, Ordioni, Giacomoni, Ciavaldini, Suzzarelli, Giorgi, Sabiani, Antoni et comme procureur général syndic Pozzo di borgo puis Balestrino.
Il n'est pas indifférent de le relever par rapport au futur royaume anglo-corse où la marginalisation du vieux chef et l'ascension de Pozzo di Borgo auront pour effet d'affirmer la prépondérance des "Sudistes".
L'esprit de parti prévaut largement... les fidèles sont promus et récompensés tandis que la faction républicaine est traquée.
"Justice" est rendue à ceux qui ont eu à se plaindre de la République, les "victimes" sont indemnisées pour dommages subis et nombre de propriétés , y compris des biens nationaux, changent de main;
- Les Saliceti et les Bonaparte y sont perdants et les Panattieri ou les Muselli gagnants.
Voir la remise en question de l'achat déjà acquis par Saliceti du fort d'Aleria et de l'étang de Diana sur plainte de Hipplote Ambrosini ancien concessionnaire à 3501/an.
Mais ce pouvoir manque de moyens et il a recours aux expédients : réquisitions, confiscations et vente aux enchères des biens des "ennemis de la patrie", dons patriotiques... là encore suivant un curieux mélange de pratiques traditionnelles et de mesures d'inspiration "révolutionnaire".
Le symbolisme est accommodé aux exigences de la fiscalité et, annonçant déjà le gouvernement anglo-corse, on relève la réintroduction dès le printemps 1794 du papier timbré à la tête de Maure (carta bollata ) pour les actes notariés et l'état-civil.
En matière économique les circonstances imposent... comme autrefois, des mesures de dirigisme qui passent par la fixation des prix et l'interdiction d'exporter !
Alors que sur le continent la Convention s'engage dans la déchristianisation, le governo provisorio de Corse semble faire amende honorable et pactise avec l'Église, revenant sur les mesures consécutives à la constitution civile du clergé :
- les prêtres réfractaires ne sont plus persécutés et c'est déjà le retour à la nostra santa fede au nom du respect des traditions locales et de cette même loi naturelle qui avait justifié la condamnation du "fanatisme".
Dans ce domaine de la religion la nouvelle Corse paoline semble bien tourner le dos à la Révolution.
Les réguliers peuvent rentrer dans leurs couvents et les prêtres dans leurs cures sans avoir à prêter quelque serment de fidélité au nouveau régime14 au moment où la France célèbre ses nouveaux héros et martyrs suivant le rituel de "la fête révolutionnaire", en Corse, la mort de Clément Paoli donne lieu en janvier 1794 à un Te Deum et autres cérémonies religieuses (journées de deuil et oraisons funèbres) que les populations de toute l'île sont appelées à suivre avec dévotion.
Alors qu'à Mena par exemple, le curé Bustoro est rejeté par les paroissiens car il a prêté serment a la perversa cosntuzione francese.
Le clergé profite de ces bonnes dispositions pour remettre en question la nationalisation des biens de l'église.
A Cervione lorsque les membres du chapitre de l'évêché d'Aleria demandent la restitution de ses propriétés non encore dispersées à l'encan, il obtient satisfaction et, en octobre 1793, il en va de même pour le clergé de Borgo.
En février 1794 ce sont les procureurs de la casa délia missione de Bastia qui accomplissent avec succès la même type de démarche et à Omessa, l'acquéreur local des biens du couvent, Giuseppe Maria Santini, est invité à partager les revenus avec les réguliers.
A Corte et ailleurs, les religieux récupèrent les ornements sacerdotaux et peuvent célébrer le culte comme avant.
Plus significative encore de la rupture est la décision d'annulation de la loi du 22 septembre 1792 et la restitution de l'état-civil au clergé.
En mai 1794, le conseil départemental considère que la législation révolutionnaire concernant la religion est contraire ai nostri costumi e sopratutto al rispetto dovuto al primo dei sacramenti ed alla conservazione dello stato délie persone et qu'elle ne doit pas plus longtemps être appliquée dans une Corse qui veut stabilire la sua legislazione sopra la base inalterabile délia religione e sopra il mantenimento dell'ordine civile.
Cest aussi la suppression de la loi sur le divorce, et l'annulation des mariages illicites.
Nous sommes là plus proches des préceptes de Burke que de ceux de la France de 1789.
Dans une délibération au Conseil général du 29 avril 1794 le souhait de former un governo libero e délie leggi quali convengono ai nostri principii al nostro caratere e alla nostra località.
Autre mesure qui tourne le dos à la laïcisation... et aux "lumières", fondement de la nouvelle société issue de la Révolution, les témoins cités en justice sont invités à prêter serment seconda l'uso antico sotto la dannazione délia loro anima e toccate le sante scritture (janvier 1794).
L'attitude générale du governo provisorio reste fidèle à 1789 en donnant des garanties aux notables, à la propriété privée et à la sûreté des personnes et des biens même si elle s'en éloigne par le retour à une procédure pénale conforme aux anciens usages et peu représentative de l'esprit des lumières.
Le 9 janvier 1794 le Conseil départemental considérant qu'à la faveur de la situation le nombre de vols, troubles et crimes est allé en augmentant, décide de sostituire le pêne dei furti portate nel codice pénale quelle pronunciate dagli antichi statuti criminali di Corsica unico mezzo per prévenire ed arrestare li latrocinii cosi frequenti e scandalosi.
Il convient de cambiare le leggi secondo le circostanze et de ne plus s'en tenir à un code pénal (celui du 29 novembre 1791) dont les clauses sono troppo dolci e moderate ed incapaci a reprimere i delitti di questo génère .
On reviendra donc à la législation des statuts criminels, à l'article 25 anticamente in vigore nell'isola.
Les lois de la Constituante qui soustrayaient les débiteurs aux légitimes poursuites des créditeurs sont également abrogées et remplacées par les dispositions plus sévères de l'article 24 des statuts criminels propres à garantir les fortune private présentées comme un garant pour les pauvres.
La politique domaniale du governo separate) est ambiguë. Il est certain qu'à aucun moment n'a été envisagé jamais cessé de réclamer en se dressant contre la confiscation de l'État génois ou français et contre les particuliers auxquels elles étaient échues.
Le gouvernement paoliste n'agit pas différemment de ses prédécesseurs et ne se montre pas moins jaloux des droits de l'État surtout lorsqu'il s'agit des bois qu'il entend monnayer avec les Anglais.
Un deputato du gouvernement central est ainsi chargé de faire respecter par les populations locales l'interdiction du pacage dans le domaine du Migliacciaro et dans la région de Porto Vecchio.
Pas plus que sous son "premier principat", Paoli ne se montre très tendre à l'égard des communautés du Fiumorbo où il prend partie pour les Frediani devenus propriétaires sous l'Ancien Régime des anciens communaux.
Lorsque le 15 juin 1793 Francesco Saverio Frediani demande la restitution des terres dont il a perdu la jouissance depuis le début de la Révolution du fait des occupations "abusives", il trouve un appui auprès de l'administration départementale qui réaffirme le principe du droit de propriété sous la sauvegarde de la loi :
- la récolte étant proche il appartiendra aux autorités di proteggerla e difavorirla corne tutti quei mezzi che sono nel suo potere affine che i proprietari non vengano defraudati dalfrutto délie loro spese e dei loro sudori car una délie principali funzioni attribuite dalla legge è quella di garantire e proteggere la vita e la propriété dei cittadini d'autant que Frediani a offert une contribution patriotique de 40 stères de grain.
Comme sous l'Ancien Régime, les Fiumorbais devront payer les terratici et ordre est donné aux autorités municipales de désigner les raccoltori et les estimateurs publics.
Pour le procoio di Coasina la tâche incombera aux municipalités de Solaro et Ventiseri rendues responsables des prélèvements dus au signor Martinetti et pour le Migliacciaro sont rendues responsables les autorités d'Isolaccio et de Prunelli.
Les raccoltori auront le 1/7 pour leur peine et ils tiendront la liste de ceux qui ont ensemencé dans le procoio. Les officiers municipaux en fin de récolte dresseront procès-verbal et poursuivront ceux qui n'ont pas payé afin d'assurer à Frediani son pacifico possesso.
Rares sont les cas où sont pris en considération les droits ancestraux des communautés18 et le gouvernement provisoire, comme ceux qui l'ont précédé, favorise le processus d'appropriation privée de la terre.
Dans le Bozio en juillet 1793 : là, dans la communauté de la Rebbia, les propriétaires ont tué des chèvres qui se trouvaient sur leur territoire en vertu d'une décision qui avait été homologuée par l'intendant, mais les habitants de la communauté disent que c'est là un acte des potique et dittato dal governo passato et ils se réclament du droit traditionnel: autrefois les chèvres qui faisaient des dégâts encouraient confiscation et réparation . Ils demandent qu'il en soit ainsi et le Conseil départemental leur donne raison contre les propriétaires qui voulaient des sanctions plus sévères.
FIDÉLITÉS ET RÉSISTANCES.
En dépit de cette politique de classe en matière agraire, les soudantes verticales de type patronage/clientèle ont été plus fortes et ont contribué tout autant que l'indisposition provoquée par les mesures de la Convention à la popularité du régime dans l'intérieur en dehors de quelques noyaux
républicains également explicables en partie par des liens "partisans".
L'analyse de la répartition sur l'ensemble de 111e des zones de fidélité et de résistance demanderait autant d'approches micro-régionales et ne se laisse pas enfermer dans des distinctions globales opposant les paysans aux berges ou les cittadini aux paesani.
En quoi consiste le républicanisme bastiais ou calvais alors que les deux présides sont occupés par les armées révolutionnaires et que la part est difficile à faire entre adhésion, prudence et contrainte ?
Acceptons l'idée de la ferveur républicaine des zappaioli bastiais en suivant le témoignage de Lacombe Saint Michel;
- ils ont participé activement à la construction des batteries mais on ne peut pas en dire autant des marins.
Sur quelles réalités sociales est fondé le noyau d'opposition ajaccien dans une ville où Paoli avait de nombreux partisans dans toutes les couches de la population et surtout dans la classe dirigeante "anti-bonapartiste" qui détient le pouvoir local ?
Solidarités de parti ou solidarités de classe ? Nous retrouvons le problème.
Rappelons comment dès février 1794 la municipalité s'est indignée des accusations portées contre Paoli, comment en place d'armes fut brûlé l'arbre de la liberté et comment s'est comporté le club à la terminologie pourtant trèsrévolutionnaire des Amis incorruptibles de la liberté... créé au début de l'année 1793... pour dénoncer le jacobinisme !
C'est au niveau de l'administration du district de composition plus "rurale", là où était influent l'abbé Coti, allié des Bonaparte, que se décèle une opposition perceptible en juin 1793 à propos du licenciement des canonniers du bateau Le Vengeur échoué dans la rade.
L'administration de district s'y oppose en déclarant qu'il est intéressant pour la Nation française que le port et le golfe d'Ajaccio leur soit conservé d'autant que les ennemis de la République ont couvert la mer de leurs bateaux et peuvent de ce fait surprendre la place sans y trouver de résistance.
Mais les Paolistes avec les Peraldi et les Pozzo di Borgo sont puissants dans cette ville que les Bonaparte ont dû abandonner en catastrophe et la situation est bien prise en mains par les commissaires du governo provisorio qui destituent l'administration de district en transférant ses compétences à la nouvelle municipalité.
Celle-ci compte Paul Vincent Guitera comme maire et, comme officiers municipaux, Paul Félix Peraldi, Bonaventure Maestroni, Joseph Ponte, Charles-André Campi, Laurent Cervotti, J.B. Recco, tous paolistes.
Avec Pozzo di Borgo au département, les membres de sa famille et les Peraldi sur place (dont Mario Peraldi commandant du bataillon de la garde civique), alliés et parents des Benielli et des Stephanopoli, Ajaccio apparaît comme un bastion paoliste.
Le 6 janvier 1794, les cérémonies funèbres à la mémoire de Clément y revêtent un éclat particulier et les autorités ne manquent pas une occasion de célébrer l'alliance anglaise.
La lettre des administrateurs des districts d'Ajaccio, Tallano, Vico et des maires et officiers municipaux de la ville d' Ajaccio au commandant de l'escadre anglaise où il est fait état de l'intérêt manifeste que la nation anglaise a constamment témoigné à la Corse et (de) sa générosité et ses bienfaits envers son chef le général Paoli...
Ce serait une bien grande satisfaction pour les citoyens de cette ville etpour toute la patrie de voir dans ce port quelques navires anglais ; ils y seraient accueillis avec cet enthousiasme d'une allégresse inexprimable.
Les auteurs précisent que les habitants sont de bons patriotes disposés à mourir pour résister à la tyrannie, à l'oppression et à la férocité des ennemis ; voir également une autre lettre de février 1794 où la municipalité célèbre les succès de l'escadre anglaise et se réjouit de la prise de la tour de la Mortella et de celle de FornarL
Le 24 février une frégate anglaise vient mouiller à Ajaccio et la municipalité lui rend les honneurs.
Rares sont en fait les actes de résistance à connotation nettement "républicaine" dans l'intérieur de l'île où sont signalés pourtant de nombreux incidents.
Comment s'expliquent les troubles de la période ?
Nous manquons le plus souvent d'éléments pour le dire.
Quelle fut La part des querelles locales "de parti", voire de personnes, par rapport aux oppositions sociales liées en particulier aux questions agraires ?
Lorsqu'en été les populations de Vivario et de Bocognano occupent les forts et s'emparent des armes, des portes et fenêtres, des bois et autres "effets nationaux", le conseil de département envoie la troupe pour rétablir l'ordre.
La question agraire est mieux présente dans la vallée de la Gravona et dans la région d'Ajaccio où s'installe sous le gouvernement provisoire un climat de tension qui atteindra son apogée sous le royaume anglo-corse.
Ici les "accapareurs" des anciens communaux, terres de parcours des populations montagnardes de Bocognano de Péri ou de Tavera sont précisément les chefs paolistes, les Peraldi et les Stephanopoli, membres influents du governo qui disposent de la troupe pour étouffer dans l'oeuf une révolte en été 1793.
Peut- on parler pour autant d'opposition républicaine ?
Ce serait abusif.
Arrêtons-nous sur les événements du Taravo de janvier-février 1794, sans doute les plus graves de la période en milieu rural.
Ils sont marqués par l'influence de fortes personnalités républicaines dont l'abbé Coti de Zevaco et surtout les Abbatucci de Zicavo qui réussirent à mobiliser leurs clientèles contre les Paolistes.
En décembre 1793 l'abbé Coti, l'ancien "complice" de Bonaparte lors des incidents d'Ajaccio de Pâques 1792 et ora capitano dell'armata francese est accusé d'entretenir le trouble dans la région.
Ses partisans font la jonction avec ceux du perfido Abbatucci , occupent le couvent et participent à une assemblée en forme de consulte.
On se croirait revenu 30 ans en arrière lorsque les mêmes Abbatucci refusaient l'union sous l'égide du Général.
Il y a pourtant sur place un parti paoliste animé notamment par Francesco Sabiani de Zicavo qui mobilise ses partisans contre les insurgés.
Le clivage est une fois de plus de type vertical : notables et pastori se retrouvent dans les deux camps.
C'est au niveau des solidarités et des inimitiés de famille qu'il conviendrait de faire l'étude du conflit mais les archives sont pour cela une source insuffisante.
Abbatucci est considéré comme autore di tutti i disordini che si sono commessi nella pieve di Talavo comme dans les années 1760 !
Résurgence d'une vieille rivalité d'influence entre capi dipartito s'inscrivant dans la traditionnelle opposition entre Deçà et Delà des Monts ?
On peut y penser.
Le 18 janvier Paoli prend la décision d'une expédition punitive d'envergure :
- des renforts viendront du Deçà, depuis Ghisoni et la piève de Castello, et franchiront le col de Verde;
- Ambrosini d'Ucciani fera marche vers le Taravo à partir de la Gravone en passant par Forciolo et Zigliara où il rassemblera des volontaires.
Paoli ne faiblit pas et dans une lettre datée de Murato du 27 janvier alors que les opérations sont déjà engagées, il félicite Panattieri pour son action à la tête de l'expédition punitive et lui fait part de la détermination du governo de venir à bout de cette résistance21.
Bravo mio caro Panattieri...
ho ricevuto con il piacere e la sodisfazione che dovete supporre la relazione data in Corra il 20 corrente e l'intiera dissipazione dei traditori.
La condotta che avete tenuta in questa circostanza corne nelle altre i degna dei piu grandi elogi per la bravura ed' inteligenza dimostrata e per il servizio importante reso alla Patria ed a cotesto dilàda monti in particolare ; io vi prego di gradire e li miei ringraziamenti e li meritati elogi corne pure di communicare questi stessi sentimenti alli popoti zelati e generosi che con tanto ardore sono accorsi contra i traditori .
Suit une violente mise en cause de l'abbé Coti qui a troqué la soutane pour l'habit militaire.
Dans son rapport de campagne Panattieri relate comment il est arrivé à Frasseto avec 300 hommes suivi par Peraldi (600 hommes) et d'une arrière-garde (100 hommes).
La rencontre a eu lieu à la bocca délia Granace où l'ennemi (les traditori dit Panattieri) avait érigé des fortins de défense.
Le canon en vient à bout et les fuyards se réfugient à Olivese.
Le village de
Le village de Corrano est occupé, tandis que Zicavo subit des représailles des "forces de l'ordre"et que les maisons des rebelles, dont celle de l'abbé Coti, sont détruites.
En février, il est question d'un regroupement de pastori ribelli nelle spiaggie del Taravo et dans la région de Coti (qui est la plage de Zevaco) alors que d'autres -dont Abbatucci- réussissent à gagner Bastia et Calvi.
La question agraire apparaît en filigrane liée aux traditionnelles revendications des populations de Frasseto et de Zevaco sur les terres de la piaggia de Coti qui ne leur ont pas plus été rendues par Paoli que par les gouvernements précédents.
Le mouvement ne fait pas tache d'huile mais Panattieri regrette la "neutralité" des habitants de Sartène, de Levie et de la Rocca qui n'ont pas fourni de volontaires à l'expédition, attese le parentele che vi sono con l'Abbatucci .. confirmant ainsi la prépondérance des solidarités familiales.
Dans la poche de la résistance de Bastelica, on est sensible à l'influence de Costa, fidèle de Bonaparte, qui a tenté d'entraîner son parti dans la révolte... sans succès d'ailleurs.
La question agraire est ici aussi présente puisqu'en mai 1974 les mécontents sont ceux qui espéraient pouvoir faire paître tranquillement leurs bêtes dans le chiso de Campo dell'Oro et mettre en culture les terres des Budiccie qu'ils avaient commencé à labourer ;
- mais la magnifique municipalité d'Ajaccio soutenue par le governo s'y est opposé.
Le différend porte sur le fait que contrairement aux engagements pris, les Ajacciens ensemencent plus de 3 ans de suite les terres en question, empêchant le pacage des bêtes des Bastelicais.
Par ailleurs le montant de l'affitto du chioso qui était de 300 lires (suivant l'accord conclu en 1676 sous l'arbitrage de l'évêque d'Ajaccio) est monté à 1000 lires.
Les Bastelicais entendent aussi être les seuls à jouir de ces pacages... et de conclure : noi abbiamo perduto l'antichi dritt.
Une fois de plus, que le governo soit paoliste ou républicain, rien n'y change, les Bastelicais en révolte condamnent les signori ajaccini che cercano sempre a disturbare il riposo di quella communità, che sempre hanno cercato dei mezzi di toglierli i dovuti dritti et ils se réfèrent encore au Libro Rosso plutôt qu'à la Révolution pour faire valoir leurs droits.
On a du mal à voir clair dans la situation du Vicolais qui a été le lieu de nombreux incidents mais non point de révolte à proprement parler.
Prenons acte de la fidélité des Cargésiens à qui le governo provisorio donne des garanties pour la jouissance des terres qui leur ont été concédées sous l'Ancien Régime et qui sont toujours revendiquées par les communautés du Vicolais.
Là aussi on procède à des remaniements dans la composition de l'administration de district et à l'élimination des républicains remplacés par de fidèles paolistes.
Qui sont donc ces "mauvais patriotes", l'abbé Stephanopoli, Multedo, Alessandri, Cristinacce, Cittadella et d'autres mis en accusation comme traîtres à la patrie corse ?
On les dit républicains, partisans de la fazione commissariata et on les accuse de collusion avec l'armée de la Révolution présente à Calvi où plusieurs d'entre eux d'ailleurs se sont réfugiés pour fuir les représailles des paolistes.
La troupe intervient en novembre 1793 pour arracher les traîtres à la protection des administrateurs, mais la démarcation passe à l'intérieur même de cette administration de district dont certains membres sont paolistes alors qu'ils appartiennent au même milieu social que leurs collègues "républicains".
C'est le procureur syndic Anton Francesco Benedetti qui dénonce ses collègues.
Le clivage est-il purement idéologique ? On peut douter.
La situation n'est pas plus claire (du moins n'apparaît-elle pas plus clairement dans les archives) en janvier 1794 où le Conseil de département envoie à nouveau la troupe contre les "factieux" de Renno.
Fait-on la chasse aux acquéreurs de biens nationaux?
C'est dit explicitement à propos de Multedo mais on ne peut généraliser car les chefs paolistes font eux-mêmes figure d'accapareurs.
Qu'est-ce qui motive en 1794 le juge de paix de Sorro in Gio Domenico Antonio Versini accusé de semer la discorde et sommé de se présenter devant le Conseil de département puis soutenu par Panattieri ?
On aimerait en savoir plus.
Par contre l'hostilité du governo provisorio à l'égard des partisans de l'Ancien Régime atteste clairement qu'il n'était pas question de revenir au temps honni qu'ils rappelaient.
C'est un point important à signaler pour nuancer le qualificatif de contre-révolutionnaire que l'on serait tenté de donner à la politique de Pascal Paoli.
En rompant avec la Convention, celui-ci n'a jamais renoué avec le parti des Gaffory, Boccheciampe et Galloni dont il était venu à bout dès 1790.
Il ne veut pas de leur retour en Corse et ce sera un point de friction avec le Gouvernement anglo-corse de sir Elliot.
L'agitation "réactionnaire" entretenue en Balagne ou à Olmeto (à l'initiative des Gallo) y est réprimée sans concession.
Lorsque Gaffory lui fait des avances en septembre 1793, Paoli les rejette en déclarant non prevaleranno né i Giacobini né i fautori délia bandiera bianca.
Il se félicite du peu de partisans que les royalistes ont en Corse et met régulièrement en garde les représentants du gouvernement britannique à propos des contacts qu'ils pourraient avoir avec eux.
La politique du governo provisorio qui précède le gouvernement anglo-corse aide ainsi à mieux comprendre cette période qui va suivre.
La distanciation par rapport à la Révolution, du moins dans sa phase de 1793-1794, s'accentuera, la politique de classe au profit des notables s'inscrira dans une continuité et on verra réapparaître certains traits d'Ancien Régime qui ne seront pas étrangers à la bouderie de Paoli écarté du pouvoir.
Mais l'essentiel ne nous paraît pas être là.
Il réside plutôt dans le caractère éphémère et fragile de cette dernière recherche d'une solution dans la voie autonomiste si chère à Pascal Paoli mais appelé à être balayée par l'accélération du cours de l'histoire... le rêve passe et cette période intermédiaire avec ses résurgences du passé, son anachronisme pourtant imprégné d'expériences récentes, ses incertitudes et ses contradictions, conserve avec le recul du temps une note insolite qui en fait son attrait.
Francis Pomponi. Université de Nice.
Fait partie d'un numéro thématique : Hommage à Alain Sainte-Marie
Source : Cahiers de la Méditerranée. Persée.fr