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Corse Images et Histoire

Le comité unitaire Fium'Orbu a bien failli imploser le 28 août 1999.

le nationalisme corse repris par ses démons.
Le comité unitaire Fium'Orbu a bien failli imploser.
Par Franck JOHANNES  

Les militants en sont sortis accablés, à trois heures du matin, et 

ce n'était pas uniquement par la chaleur.

Le comité nationaliste du Fium'Orbu, qui regroupe treize des quatorze organisations nationalistes, a essuyé jeudi dans la nuit un très lourd revers politique, en dépit d'un communiqué passe-partout qui tente péniblement de donner le change.

L'Armata corsa, en tuant un petit voyou de Haute-Corse, a réussi à s'imposer dans la fragile réconciliation nationaliste (Libération du 24 août). François Santoni, l'ancien patron démissionnaire de la Cuncolta attend triomphalement qu'on lui fasse signe et le mouvement nationaliste semble plus que jamais retomber dans ses vieux démons.

Trois absents.

La réunion de jeudi était prévue de longue date.

Le comité nationaliste du Fium'Orbu s'est créé en décembre 1998 à Migliacciaru, près de Ghisonaccia, en Haute-Corse, pour tenter de réconcilier la famille nationaliste qui s'entretuait depuis 1995.

Les mouvements sont nombreux mais groupusculaires: le nationalisme corse s'est toujours reproduit par scissiparité.

A Cuncolta Indipendentista, vitrine légale du FLNC Canal historique organisation majoritaire, pèse assez lourd, surtout depuis que sa coalition électorale, Corsica nazione, a obtenu huit élus en mars à l'assemblée de Corse.

Mais Corsica nazione s'est efforcée de tendre la main aux autres organisations, qui ont fini par se dire qu'il était possible de discuter.

«Des liens se sont renoués, on peut enfin tout mettre sur la table, explique le militant d'une organisation minoritaire, et c'était déjà un pas en avant énorme.»

Il manque cependant trois poids lourds dans le comité.

Alain Orsoni, parti courir l'aventure en Amérique latine mais dont le retour est annoncé pour le printemps, François Santoni et Jean-Michel Rossi qui ont démissionné avec fracas de la Cuncolta mais qui pèsent encore lourd l'un dans l'extrême Sud, l'autre à l'Ouest, en Balagne.

Or, une nouvelle organisation clandestine a vu le jour le 26 juin: l'Armata corsa, l'«armée corse», dont les positions semblent assez proches des amis de Santoni et Rossi.

Et cette organisation a revendiqué, à la stupeur générale, l'assassinat le 21 juillet d'un commis boucher, Dominique Savelli, qui sortait d'une condamnation pour braquage.

Selon l'organisation, il «s'apprêtait à remplir un contrat en assassinant un nationaliste pour le compte d'un pseudo-responsable», qui appartiendrait au comité du Fium'Orbu.

La nouvelle a évidemment jeté un froid, et le comité s'était donné jusqu'à jeudi pour réagir.

Au cours d'une réunion à huis-clos.

Contacts secrets.

«Tous les naïfs pensaient que la condamnation claire et transparente du meurtre était acquise, raconte un participant. On est tombé de haut.»

Nombre des 70 militants ont pris la parole et on est passé à la rédaction du texte final.

La Cuncolta en avait un tout prêt.

Qui ne condamnait rien du tout.

Plusieurs organisations se sont demandées qui allait avaler une couleuvre pareille.

La Cuncolta a répondu qu'elle avait un mandat précis, et qu'il n'était pas question d'aller plus loin. Silence glacial.

«Tout le monde était livide, raconte un participant. On a compris ce que ça voulait dire: François Santoni avait passé un accord avec la Cuncolta.»

Il n'était pas question de gêner Armata, encore moins de la mettre au ban du nationalisme.

Huit organisations sur treize ont fini par protester, d'abord timidement.

Pour comprendre avec effarement qu'elles n'avaient encore rien vu: des membres du comité ont reconnu qu'ils étaient allés voir secrètement Santoni qui, bien qu'il s'en défende, attend paisiblement qu'on vienne le chercher pour siéger au comité, qu'il a apparemment les moyens de contrôler.

«Ça il n'en est pas question, assure l'un des minoritaires. S'il revient, le comité éclate.»

La Cuncolta a compris que la pilule était difficile à avaler, et a accepté quelques modifications mineures de son texte, notamment le rajout du deuxième paragraphe (lire ci-contre), et a fini par imposer sa ligne.

«On n'a pas voulu faire éclater la démarche, explique un minoritaire, on se donne le temps de voir venir. Mais c'est extrêmement inquiétant.»

La Cuncolta fragilisée.

Au final, le coup est aussi très dur pour la Cuncolta, dont la marge de manoeuvre est aujourd'hui minuscule, et spécialement pour son chef de file, Jean-Guy Talamoni, qui risque d'avoir ruiné en une soirée le statut politique qu'il commençait à acquérir.

«La Cuncolta, c'est pas un estomac qu'ils ont, c'est un gésier, raconte l'un des rares qui a encore le coeur à rigoler. On leur donne des cailloux, ils pondent de la merde.»

La reculade de la Cuncolta risque fort de donner le coup de grâce au comité, et jette une lumière crue sur l'état du Canal historique, que l'Armata corsa ne perd pas une occasion de railler.

Les militants, décomposés, ne crient aujourd'hui pas trop haut leurs désaccords pour ne pas finir comme Savelli.

Le comité a appelé à une manifestation le 4 septembre, à deux jours de l'arrivée de Jospin en Corse.

Et prie pour que ce ne soit pas celle de son enterrement.

Franck JOHANNES dans Libération.
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