CORSES : ET SI LEUR SEUL TORT ÉTAIT D'ÊTRE BLANC ?

CORSES : ET SI LEUR SEUL TORT ÉTAIT D'ÊTRE BLANC ?

 

On ne peut comprendre les problèmes qui secouent la Corse si l'on ne prend pas le problème à la racine.

Cette terre est l'une des rares colonies françaises à ne jamais avoir été considérée comme telle.

Alors que le processus de décolonisation s'est déroulé naturellement partout dans le monde, il n'a pas touché cette île de Méditerranée conquise par la force à la fin du dix-huitième siècle.

Elle n'est rien d'autre qu'un bout de France comme un autre, que l'on considère comme métropolitain quand cela arrange.

Pourtant, au même titre que la Nouvelle-Calédonie ou la Guyane aujourd'hui, ou bien l'Algérie en d'autres temps, la Corse est bel et bien une colonie.

Peut-être aurait-il fallu que la couleur de peau des Corses soit différente pour que l'imaginaire français intègre ce fait ?

Qu'est ce qu'une colonie ?

Nous prendrons, pour rester neutres, la définition de Wikipédia (dont l'on ne peut mettre en doute la fiabilité sur un sujet aussi général) : 

Une colonie est un établissement humain entretenu par une puissance étatique appelée métropole dans une région plus ou moins lointaine à laquelle elle est initialement étrangère et où elle s'implante durablement. 

Résultat d'un processus politique, économique, culturel et social appelé colonisation, et qui consiste en l'exploitation des ressources de la zone en même temps que sa mise en valeur, la colonie est généralement intégrée dans un Empire colonial marqué par le colonialisme, une idéologie dont le précepte est la conquête de nouvelles régions et la sauvegarde de celles sur lesquelles s'exerce déjà une mainmise. 

Lorsque cette dernière s'accompagne d'une migration importante depuis la métropole, on parle de colonie de peuplement.

Bien. Prenons point par point cette définition et comparons-la au cas de la Corse:

  • Une colonie est un établissement humain entretenu par une puissance étatique appelée métropole dans une région plus ou moins lointaine à laquelle elle est initialement étrangère et où elle s'implante durablement.

La Corse a été conquise ("établissement humain") à la fin du XVIIIe siècle par le Royaume de France ("la puissance étatique") après une guerre sanglante.

Cette terre, séparée de la France par des centaines de kilomètres d'eau salée que d'aucuns appellent "la mer" ("région plus ou moins lointaine") , a été Romaine, Aragonaise, Pisane, Génoise ou indépendante, mais jamais française ("à laquelle elle est initialement étrangère").

Cela fait aujourd'hui plus de deux siècles que la Corse est française ("où elle s'implante durablement"). 

  • Résultat d'un processus politique, économique, culturel et social appelé colonisation, et qui consiste en l'exploitation des ressources de la zone en même temps que sa mise en valeur

Les ressources de la Corse ont bien évidemment été exploitées par la France.

Le visage de l'île a été changé après la conquête: elle est passée d'une terre productive, tournée vers l'agriculture et la petite industrie à un territoire stérile, fortement militarisé puis au bout de quelques décennies tourné exclusivement vers le tourisme.

L'ensemble des forêts domaniales a été cédé gracieusement à l'État (en échange de quoi les Corses ont obtenu les fameux "arrêtés Miot" que l'on nous présente aujourd'hui comme un cadeau). 

De toutes ces décisions d'aménagement global, les habitants de l'île ont toujours été exclus. 

  •  la colonie est généralement intégrée dans un Empire colonial marqué par le colonialisme, une idéologie dont le précepte est la conquête de nouvelles régions et la sauvegarde de celles sur lesquelles s'exerce déjà une mainmise.

Y-a-t-il besoin de préciser que la France a été, du XVIe au XXe siècle, l'un des plus grands empires coloniaux du monde ?

  • Lorsque cette dernière s'accompagne d'une migration importante depuis la métropole, on parle de colonie de peuplement

A notre époque, plus de 5000 migrants métropolitains viennent chaque année s'installer en Corse (île de 300 000 habitants).

Dans le même temps, les conditions de sous-développement créées par l'État en Corse obligent de nombreux Corses à s'installer en métropole.

On peut même accompagner le terme "colonie de peuplement" de "génocide par substitution", expression employée par Aimé Césaire dans les années 1970 pour décrire la même situation en Martinique.

 Alors, la Corse est-elle une colonie ?

Difficile de dire le contraire.

Seulement, à l'heure où l'ensemble de la société française condamne le colonialisme passé et présent, on considère toujours les Corses comme de simples métropolitains qui "exaltent leurs différences" de manière malsaine.

Lorsque les Calédoniens demandent un statut de résident pour ne pas se faire spolier par les continentaux, c'est normal, et ils l'obtiennent.

Lorsque les Corses le demandent, ce sont de dangereux fascistes.

Lorsqu'un Algérien demande que les emplois publics ne soient plus réservés aux métropolitains, c'est normal.

Lorsqu'un Corse demande la même chose, c'est le retour des "heures les plus sombres de l'histoire".

Est-ce qu'en 2014, on serine au quotidien les habitants des colonies ou ex-colonies sur les bienfaits de la République ?

Pourtant on répète encore -à tort- aux Corses qu'ils bénéficient grassement des aides de l'État et qu'à ce titre, ils n'auraient pas le droit de se plaindre.

Le Français a vraiment la tolérance et l'indignation sélective. 

Mais pourquoi ? 

Peut-être parce que le Corse n'a pas l'air aussi "exotique" que les autres peuples colonisés.

Peut-être qu'il est trop latin, trop blanc, trop catholique.

Cela n'empêche pas qu'il soit différent, que le peuple Corse existe et qu'il mérite son autodétermination comme tous les peuples du monde.

Peut-être qu'au fond, pour le Français moyen, il faut absolument être bronzé pour ne pas partager la culture, l'histoire et l'identité parisiano-gauloise.

Et si le seul tort des Corses était d'être blancs ?

 

Source : Par Blog : Nutizie di Corsica. Dans Médiapart.

 

 

 

Photo : Écusson de la Corse. Détail d’une carte de l’île, datée de 1840, dessinée par Hyacinthe de La Pegna. Gilles Bassignac/Divergence

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